Cette inspection terminée, dans un angle, ils préparèrent un foyer avec des pierres. Ils y entassèrent des copeaux et du bois. Lorsque Carcagne apporterait les ustensiles, il n’y aurait qu’à allumer.
Gringaille inspecta la porte. Elle était très solide encore. Elle était munie d’une forte serrure fermée à clé et d’un énorme verrou. Il fit remarquer qu’il était désagréable de passer par le plafond quand on avait une porte. En conséquence, il prit la barre de fer et en quelques coups solidement assénés, il fit sauter la serrure. Le verrou était largement suffisant pour les mettre à l’abri de toute visite indiscrète.
D’ailleurs ceci n’était guère à redouter. Le sinistre monument inspirait à chacun une terreur superstitieuse. Les plus braves ne s’en approchaient qu’en tremblant.
Tout étant prêt, les deux compagnons s’assirent sur des poutres.
Devant Gringaille, il y avait un trou. Probablement les poules avaient dû gratter la terre à cet endroit. En causant avec Escargasse, machinalement, du bout de sa rapière, Gringaille fourrageait dans ce trou.
– Tiens! s’écria-t-il tout à coup.
Il s’accroupit devant le trou et se mit à écarter la terre avec ses mains. Il démasqua ainsi complètement un gros anneau de fer.
– S’il y a un anneau, il y a une dalle, dit-il à Escargasse, qui le regardait curieusement. S’il y a une dalle, c’est qu’il y a quelque chose là-dessous.
– Un caveau probablement, fit Escargasse.
– C’est ce qu’il nous faut voir… Est-ce qu’on sait ce qui peut arriver?
– Voyons! fit laconiquement Escargasse.
Sans désemparer, ils se mirent à creuser, écartant la terre. Effectivement, ils mirent à découvert une dalle carrée, qui pouvait avoir un pied et demi de chaque côté. Gringaille saisit l’anneau à deux mains et tira de toutes ses forces. La dalle ne vacilla même pas.
– Diable! dit-il.
Il prit la barre de fer et la passa dans l’anneau. À eux deux ils essayèrent de soulever la dalle. Elle ne bougea pas davantage. Elle paraissait solidement scellée.
Tous les deux, ils se penchèrent et étudièrent de près et très attentivement cette pierre récalcitrante. On voyait très nettement les quatre rainures de la dalle. Ils passèrent la pointe de l’épée dans les interstices et essayèrent encore une fois de la soulever. Nouvel échec.
Alors, au lieu de la tirer, ils appuyèrent dessus. Rien. Ils frappèrent à tour de bras sur l’anneau, toujours sans résultat.
– Pourtant, cornedieu! vociféra. Gringaille exaspéré, cela doit s’ouvrir!
En disant ces mots, il avait saisi l’anneau à deux mains et le secouait frénétiquement, dans un mouvement de va-et-vient, comme s’il avait voulu le dévisser.
– Tiens! tiens! fit-il.
Il avait senti l’anneau céder. Il recommença lentement, méthodiquement, cette fois. Il y eut le bruit sec d’un ressort qui se détend et la dalle s’abaissa lentement, d’elle-même, mettant à jour les hautes marches d’un escalier.
À ce moment, ils entendirent sur la route un pas rapide qu’ils reconnurent à l’instant. Ils entrebâillèrent la porte et regardèrent. C’était bien Carcagne. Ils lui firent signe et poussèrent soigneusement le verrou dès qu’il fut entré.
– J’ai trouvé trois flacons de vin! s’écria triomphalement Carcagne. Avec des grognements satisfaits, ils débarrassèrent le compagnon, et triomphants à leur tour, ils lui montrèrent les provisions qu’ils s’étaient procurées. Carcagne baya d’admiration.
– Comment avez-vous fait, dit-il.
Gringaille et Escargasse le regardèrent, puis ils se regardèrent et éclatèrent de rire.
– Nous avons vendu des œufs et une poule, consentit enfin à expliquer Gringaille.
– Tiens! s’écria Carcagne émerveillé, je n’y aurais pas songé, moi!
– Le pôvre, fit Escargasse d’un air faussement apitoyé.
– Il ne reste plus qu’à faire cuire le dîner sur l’heure.
– Minute, fit Gringaille qui pensait à tout. Si nous allumons du feu ici, il faudra bien que la fumée s’échappe. Elle passera donc par un de ces trous que nous voyons là-haut.
– Naturellement!
– Bien. Alors on s’étonnera de voir de la fumée jaillir du gibet… et on viendra voir… et nous serons délogés.
– Cependant, il faut bien…
– C’est un risque à courir, je le sais bien. Mais on peut l’éviter peut-être… Visitons d’abord cette cave. Nous aviserons ensuite.
– Visitons! dirent docilement les deux autres. Et ils voulurent descendre sans plus tarder.
– Minute encore! dit Gringaille. Avant de descendre tous les trois là-dedans, il faut savoir si cette plaque ne se fermera pas d’elle-même, nous murant là comme renardeaux pris au gîte.
– Diable! firent les deux autres en reculant précipitamment.
– Je descends seul, continua Gringaille. Attention, toi Escargasse, tu as vu la manœuvre pour actionner la dalle. Si je frappe, tu ouvriras. C’est compris?
– As pas peur, mon pigeon! C’est compris.
Gringaille en un tour de main, fabriqua un bouchon de paille: c’était une torche. Sa torche à la main, il s’engagea dans l’ouverture béante. Il disparut dans le sous-sol. La pierre demeurait baissée.
Il la saisit, et péniblement, car elle était très lourde, il essaya de la fermer. La pierre retomba obstinément. Il ne s’entêta pas.
– Il doit y avoir un ressort qui la ferme, se dit-il.
Il descendit en comptant les marches. En mettant le pied sur la sixième marche, il vit la pierre remonter et se refermer d’elle-même.
– Parfait! se dit-il, voici qui est on ne peut plus simple. Il s’agit de l’ouvrir maintenant.
Il était dans l’obscurité. Il alluma son bouchon de paille et se mit à chercher. Il descendit l’escalier. Il avait douze marches. N’ayant rien trouvé, il le remonta. Il remarqua que la sixième marche – la même qui fermait la trappe – était cassée à une de ses extrémités. Il y avait là une soudure grossièrement faite. Il appuya le pied sur ce morceau. La trappe s’ouvrit. La même marche servait à l’ouvrir et à la fermer. À diverses reprises, il la ferma et l’ouvrit, très facilement.
– Admirable! dit-il entre ses dents.
Dix minutes plus tard, ils avaient traîné dans cette cave tous les outils, la barre de fer, du bois, les copeaux, la paille et, bien entendu, tous les œufs, leurs provisions et leurs ustensiles. La trappe soigneusement fermée, ils étaient chez eux.
– Ici, expliqua Gringaille, nous sommes à l’abri. Nul ne viendra nous y dénicher, c’est probable. Nous pouvons faire du feu sans crainte d’être trahis par la fumée. Maintenant, visitons cette cave; après quoi nous pourrons nous occuper de notre dîner.
Ils se trouvaient dans un petit caveau qui n’avait guère plus d’une dizaine de pas de long sur sept à huit en largeur. En face l’escalier, il y avait un couloir assez large pour permettre à deux hommes de passer aisément de front. Ce couloir descendait en une pente assez accentuée.
Ils s’engagèrent dedans. Au bout d’une vingtaine de pas, ils aboutirent à une autre cave, une grotte plutôt, spacieuse, haute de voûte. Il n’y avait pas d’issue apparente. C’était un cul-de-sac. Ici, des surprises extraordinaires les attendaient.