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Vers le soir, le père et le fils rentrèrent dans Paris par la porte Montmartre. Au départ comme à l’arrivée, ils ne remarquèrent rien d’anormal aux environs de la petite maison. D’ailleurs, Escargasse, Carcagne et Gringaille devaient tour à tour veiller de loin sur les deux jeunes filles.

Pardaillan emmena son fils souper avec lui à l’hôtellerie du Grand-Passe-Partout. Jehan accepta avec joie le souper, mais refusa l’hospitalité que le chevalier lui offrait en disant:

– Je vais rentrer à mon logis de la rue de l’Arbre-Sec. Puisqu’on me croit mort, je serai en sûreté aussi bien là qu’ailleurs.

Et il avait fait comme il avait décidé.

Le lendemain matin, il était debout de bonne heure et arpentait à grands pas sa mansarde, en réfléchissant d’un air préoccupé. Il résuma ses réflexions en disant à haute voix:

– De tout cela, il ressort qu’il est grand temps de me mettre à faire fortune, si je veux conquérir le bonheur que je tiens à portée de la main.

Ce mot de fortune amena une saute dans son esprit. Il prit le papier qu’il avait trouvé dans l’étui et le considéra longtemps d’un air rêveur. Brusquement, il se mit à battre le briquet, alluma la lampe et brûla les trois papiers en murmurant rageusement:

– Ainsi, je n’y penserai plus!

Vers dix heures et demie, il était dehors. Il ne savait pas où il allait. Il ne savait pas davantage ce qu’il ferait. Une seule idée était bien arrêtée dans son esprit: c’est qu’il lui fallait trouver un grand seigneur au service duquel il pût entrer avec des chances de s’y faire une situation honorable.

Quant à savoir à quel grand seigneur s’adresser, comment se présenter, de qui se recommander, quels titres faire valoir, il n’en avait pas la moindre idée. Il y avait bien le roi… Mais diantre, c’était porter les yeux un peu trop haut. Puis, si peu rancunier qu’il fût, le roi n’oublierait sans doute jamais qu’il l’avait menacé de la pointe de sa rapière. Le roi lui avait ordonné de se faire oublier. Ce n’était pas avec l’algarade du gibet qu’il obtiendrait ce résultat. Le roi connaîtrait certainement cette affaire. Certes, elle était de nature à lui faire ouvrir des portes devant lui. Mais ces portes seraient celles du Châtelet ou de la Conciergerie ou de la Bastille, de n’importe quelle prison enfin, mais jamais celles du palais du Louvre.

En y réfléchissant bien, il était plus prudent de ne pas songer au roi. Ah! s’il avait pu lui rendre quelque signalé service qui fît oublier ses peu recommandables antécédents!… Mais voilà, quel service?… il ne savait pas.

Il allait donc à l’aventure, cherchant dans sa tête et, finalement, comptant peut-être, à son insu, sur le hasard. Il marchait avec une superbe insouciance, sans prendre aucune précaution, sans songer à se cacher. Il avait même passé devant la maison de Concini. Non par bravade, mais par distraction, et parce qu’il se trouvait dans la rue Saint-Honoré. Au surplus, s’il s’en était aperçu, il n’aurait probablement pas changé de direction pour cela.

Comme il traversait le carrefour du Trahoir, quelqu’un se campa devant lui et s’écria, avec les marques de la plus extrême surprise:

– Monsieur le chevalier Jehan le Brave!… Quoi, c’est vous que je vois?… Et bien vivant, par ma foi!…

Brusquement arraché à ses pensées, Jehan tressaillit et laissa tomber un regard sur celui qui lui parlait.

C’était un tout jeune homme: dix-huit ans à peine. Il portait un costume magnifique, d’une suprême élégance, à la dernière mode du jour. Malgré son extrême jeunesse, il avait une assurance déconcertante, un port de tête altier, un air de morgue et de hauteur des plus remarquables.

Évidemment, c’était un grand seigneur, il le savait et tenait à ce que chacun le comprît rien qu’à son air. En effet, ce tout jeune homme s’appelait Henri de Nogaret, comte de Candale. Il était le fils aîné du duc d’Épernon, l’ancien favori d’Henri III, qui avait su si bien mener sa barque qu’il était encore, à l’heure présente, un des intimes du roi régnant, Henri IV.

Cependant, pour être juste, nous devons ajouter qu’en ce moment le fils de l’ancien mignon ne songeait pas à jouer au grand seigneur. Visiblement, il était heureux de la rencontre.

Une joie puérile brillait dans ses yeux. Loin de penser à écraser son interlocuteur de la supériorité que lui donnaient le rang et la naissance, il semblait le considérer comme un héros à qui il témoignait une admiration naïve et enthousiaste.

Jehan remarqua cela et il réprima le mouvement de contrariété qu’il avait esquissé tout d’abord.

– Eh! monsieur le comte, fit-il avec un sourire un peu ironique, pourquoi ne serais-je pas vivant?… Ventre-veau! vous souhaitez donc ma mort?

– Non pas, mon cher sauveur! s’écria le jeune Candale avec une vivacité qui prouvait sa sincérité, non pas! Vous m’avez sauvé la vie, mordieu! Croyez bien que je ne l’oublie pas. On prétendait que vous étiez mort. Foi de Nogaret, j’en étais fâché.

– C’est beaucoup d’honneur que vous me faisiez, dit Jehan, sans qu’il fût possible de savoir s’il raillait ou parlait sérieusement. Mais, vous me voyez tout ébahi et fort intrigué aussi. Qui diable daigne s’occuper d’un pauvre hère tel que moi?…

– Qui! s’exclama Candale en levant les bras au ciel, mais… le roi, monsieur. Le roi lui-même, les ministres, la cour… Toute la journée d’hier, toute la cour s’est entretenue de vous. À l’heure présente, c’est toute la ville, j’en jurerais, qui parle de vous, monsieur Jehan le Brave. Vous êtes le héros du jour… et vous êtes le seul à l’ignorer.

En grand seigneur qu’il était, le comte de Candale parlait très haut et se tenait rivé devant son interlocuteur, comme pour lui interdire de continuer son chemin.

Jehan le Brave jeta un coup d’œil rapide autour de lui. D’un geste machinal, il assujettit son ceinturon et mit le poing sur la garde de l’épée. Il devinait bien dans quels termes on avait dû parler de lui. Si le roi et les ministres lui avaient fait l’insigne honneur de s’occuper de lui, ce n’était, certes, pas dans des intentions bienveillantes.

Il comprenait que, dès qu’on le saurait vivant, ce qui ne pouvait guère tarder, il aurait à ses trousses toutes les forces policières de la ville. Et ce jeune étourneau qui, dans son enthousiasme, s’avisait de crier son nom à tue-tête en pleine rue.

– Pourtant, il ne broncha pas: il ne fit aucune observation. Seulement, comme les éclats de voix de son compagnon commençaient à attirer l’attention sur eux, il l’écarta d’un geste d’irrésistible autorité et se mit à descendre la rue Saint-Honoré d’un pas nonchalant, mais l’œil au guet et se tenant prêt à tout.

Le jeune comte de Candale ne lâcha pas pied pour cela. Familièrement, il le prit par le bras et, tout glorieux, il se mit à marcher à son côté. Si Jehan fut contrarié, il n’en laissa rien paraître et, de son air le plus naïf:

– À quel sujet ces illustres personnages m’ont-ils fait le grand honneur de s’occuper de moi?

– Vous le demandez?… Mais au sujet de l’affaire du gibet de Montmartre… On ne parle que de cela, monsieur… Ah! mordieu! que ce devait être beau! que j’aurais voulu être là!… Je me serais mis à vos côtés, monsieur. Mordiable! Tudiable! Ventrediable! Un homme, seul, tenant tête à plus de cent… et en mettant je ne sais combien hors de combat! C’est prodigieux!…