Выбрать главу

– M. de Candale est bien jeune, fit observer le moine.

– Je vous entends, mon révérend. Aussi ne soupçonne-t-il même pas à quoi je veux employer l’homme qu’il m’a amené.

– Ce Ravaillac devient inutile… et par conséquent dangereux, fit remarquer Léonora.

– Aussi, dit Acquaviva, nous allons le renvoyer dans son pays… à Angoulême… ville dont vous êtes le gouverneur, monsieur le duc. Vous comprenez?…

– Parfaitement, répondit d’Épernon avec un sourire livide. Et dès qu’il sera de retour dans sa ville natale… il ne sera plus dangereux pour personne. J’en réponds.

Acquaviva approuva doucement de la tête. Léonora sourit. Jehan se dit:

«Bon!… Moi, je m’arrangerai pour que ce pauvre diable de Ravaillac ne remette pas les pieds dans cette ville dont le sieur d’Épernon est gouverneur.»

– Qui est cet homme résolu dont vous parlez? demanda Acquaviva après un court silence.

– Un truand terrible dont on parle fort en ce moment. On l’appelle Jehan le Brave.

Cette fois, Jehan, aux écoutes derrière sa portière, ne manifesta ni surprise ni indignation. Il s’attendait à entendre prononcer son nom. Seulement, ses yeux fulguraient dans l’ombre, ses lèvres se pinçaient, et avec un sourire terrible il murmurait:

– Vrai Dieu! je n’aurai pas perdu ma journée!

– Jehan le Brave! dit Acquaviva impassible. Ne dit-on pas qu’il s’est enseveli sous les décombres du gibet des Dames de Montmartre?

– Il est donc vivant? demanda Léonora, malgré elle.

– Vivant, parfaitement vivant, ricana d’Épernon. Sans une égratignure, à ce que m’a dit Candale. C’est à croire que le diable se change en providence pour ces hommes de sac et de corde. Là où un brave capitaine et une quinzaine de soldats et de volontaires ont misérablement péri, ce sacripant s’est miraculeusement tiré d’affaire. Et c’est fort heureux pour nous, en somme.

Léonora et Acquaviva échangèrent encore un furtif coup d’œil. Et sans doute le regard de la jeune femme contenait une muette interrogation que le jésuite comprit, car il répondit oui en cillant. Et avec le même calme que rien n’ébranlait, froid et méthodique, ne négligeant aucun détaiclass="underline"

– Comment M. de Candale se trouve-t-il connaître ce… personnage? dit-il.

– C’est une histoire assez plaisante, expliqua d’Épernon, en riant. Nous étions au Louvre, hier, lorsqu’on a fait au roi le récit des événements qui s’étaient déroulés la veille, sur les terres de Mme de Montmartre. Entre nous, l’exploit est remarquable, et ce Jehan le Brave est un rude homme. Le roi n’a pu se tenir de le dire tout haut. J’imagine qu’il ne l’aurait pas fait s’il avait su que le rebelle était vivant encore. Mais, à ce moment, chacun croyait bien qu’il avait été réduit en bouillie par l’explosion.

– Oui, dit Léonora, et je n’arrive pas à comprendre comment il a pu se tirer de là.

En disant ces mots, elle fixait Acquaviva avec insistance. Le chef des jésuites eut un geste qui signifiait que peu importait. Mais, en lui-même, il pensait:

«Il y a quelques chose là-dessous. Il faudra que je fasse explorer les décombres du gibet.»

– Candale est jeune, reprit d’Épernon et l’admiration manifestée par le roi l’a vivement frappé. Et il s’est emballé. Moi, voyant cela, par plaisanterie et sans songer à ce qu’il en pourrait résulter, je lui ai fait je ne sais quel conte, d’après lequel ce Jehan serait de naissance illustre. Une histoire sombre et mystérieuse que le roi serait seul à connaître.

Une fois encore, Léonora et Acquaviva se communiquèrent leurs impressions par un regard échangé. Quant à Jehan, dont l’esprit s’était mis à travailler sur les paroles prononcées par le fils du duc, il étouffa un soupir de déception.

«Aussi, c’était trop beau! songea-t-il non sans amertume. J’ai fait comme le fils de ce sacripant de duc: je me suis sottement emballé. Ma parole, je crois bien que je cherchais déjà de quel puissant prince je pouvais être le fils… On n’est pas plus niais et plus naïf que je l’ai été.»

D’Épernon, qui ne se doutait pas qu’il côtoyait la vérité, reprit d’un air railleur:

– Cette plaisanterie, que j’ai faite sans intention précise, n’a fait que redoubler l’enthousiasme de Candale, qui est quelque peu romanesque. Aussi ce matin, lorsque le hasard l’a mis en face de notre homme, bien vivant, il a sauté dessus. Et il me l’a amené triomphalement, se figurant naïvement que je vais lui donner un grade dans l’armée.

– Vous avez vu ce jeune homme? demanda Acquaviva d’un air indifférent.

– Pas encore. Je le recevrai après votre départ.

– Il est donc encore chez vous?

– Sans doute, Candale lui a assuré que j’obtiendrai sa grâce et le pousserai. Il n’aurait garde de s’en aller avant de m’avoir vu.

– Où est-il?

– Mais… dans une antichambre, je présume.

– Il ne faut pas qu’il sorte de chez vous, dit vivement Léonora, incapable de se contenir plus longtemps.

– Bah! fit d’Épernon surpris. Pourquoi? Et il interrogeait le moine des yeux.

– Madame a raison, appuya celui-ci. Il ne faut pas que ce jeune homme sorte d’ici.

Ceci était dit sur un ton net, tranchant comme un coup de hache. Jehan en fut secoué, et regardant avidement le moine, il songea:

«Que Mme Concini me veuille faire saisir, je le comprends, ventre-veau! Mais ce frocard?… Mortdiable! je ne le connais pas!… Que lui ai-je fait?… Pourquoi me veut-il meurtrir?… Car c’est ma mort qu’il veut, le scélérat, avec ses airs tout confits en douceur!»

– Vous oubliez, mon révérend, dit d’Épernon, que je compte sur lui pour accomplir la besogne devant laquelle Ravaillac recule.

– Je n’oublie rien, répliqua sèchement le moine. Nous n’avons pas besoin de ce jeune homme – qui, d’ailleurs, sachez-le, n’acceptera pas vos suggestions – nous n’avons plus besoin de Ravaillac. Et plus encore que Ravaillac, ce jeune homme est un danger pour nous. Il ne faut donc pas qu’il sorte vivant d’ici.

– Ventre-veau! grommela Jehan, furieux, l’abominable cafard que voilà!… Mais, frocard du diable et duc assassin, vous ne me tenez pas encore!…

Cependant, le duc d’Épernon n’avait pas eu une parole d’indignation, pas un geste de protestation. C’était un puissant seigneur, qui n’aimait pas les moines, à ce qu’avait dit la Galigaï, et il acceptait sans sourciller les injonctions de ce moine d’apparence si paisible.

Avec une indifférence sinistre, il dit simplement:

– Comme vous voudrez. Je vais donner l’ordre d’arrêter ce brave. Jehan, hérissé, tira à moitié son épée du fourreau et mit résolument la main sur la porte, en grondant:

– Minute!… Si tu bouges, j’entre et je vous extermine tous les trois!

Le duc, en effet, fit un mouvement pour se lever.

– Tout à l’heure, monsieur, dit Acquaviva, avec son calme imperturbable.

– Bon! mâchonna Jehan, en renforçant la lame dans le fourreau, nous avons réfléchi, paraît-il? Attendons la suite.

– Puisque ce brave attend un emploi de vous, reprenait le moine, comme vous le faisiez justement remarquer tout à l’heure, il ne s’en ira pas avant de vous avoir vu. Dès que nous aurons terminé, vous le ferez saisir.