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– Cependant, mon révérend, intervint Léonora inquiète, il vaudrait mieux agir tout de suite. Ce jeune homme semble être extraordinairement favorisé par le hasard. Qui sait s’il ne sera pas trop tard dans un instant?

– Non, madame, fit doucement Acquaviva. Croyez-moi, il attendra patiemment l’audience promise. Et nous avons pour l’instant des affaires autrement importantes à débattre.

LIV

Léonora n’osa pas insister. Néanmoins, il était visible qu’elle ne partageait pas la confiance du moine. S’il n’avait tenu qu’à elle, l’arrestation eût été effectuée avant toute autre chose. D’Épernon, complètement désintéressé d’une question qui ne le concernait en rien, attendait avec quelque impatience qu’ils eussent décidé. Jehan se disait:

– Tout ce que j’ai entendu jusqu’ici n’était qu’un préambule, à ce qu’il paraît… Écoutons, mordieu! écoutons ces choses importantes que ce trio de coquins doit débattre.

Comme si l’incident était définitivement clos par sa décision, Acquaviva dit, avec un air de souveraine hauteur:

– Duc, je parle en ce moment au nom de S. M. la reine de France et de Navarre. Et je vous demande: la reine peut-elle compter sur vous… sans réserve?

– Sa Majesté sait que mon dévouement lui est tout acquis.

D’Épernon dit cela sans chaleur. Il se réservait, c’était évident. Jehan le comprit, car il murmura avec un sourire railleur:

– Pardieu! le dévouement sera proportionné à l’os qu’on lui donnera à ronger!

Acquaviva eut une imperceptible moue de dédain. Il attendait le marchandage, c’est certain: tout de même, il ne pensait pas qu’il se manifesterait avec autant de cynisme. Il attaqua résolument, avec son habituelle douceur:

– Le titre de duc pour votre fils aîné… Un régiment pour le cadet… Le chapeau rouge pour le plus jeune… Les fonctions, avec les traitements afférents, qu’il vous plaira de leur attribuer dans vos gouvernements: voilà pour vos trois enfants. Pour vous: un million en espèces, confirmation dans vos charges et emplois actuels, plus le gouvernement de la Normandie… le premier de France. Enfin, voix délibérative au conseil de régence secret qui sera institué. Cela vous semble-t-il suffisant?

«Outre! comme dit Escargasse, songea Jehan, l’os me paraît de taille respectable!»

Une lueur s’alluma dans l’œil de d’Épernon. On lui offrait plus qu’il n’aurait osé demander. Néanmoins, il demeura impassible et se contenta de dire:

– Cela me paraît raisonnable!… Quel service attend de moi Sa Majesté?

– D’abord, exiger de la cour du Parlement qu’elle confère la régence à la reine-mère, sans aucune des restrictions et conditions imposées par le roi.

– Mais… ceci n’est pas, que je sache, du ressort de cette cour.

– C’est un précédent à créer… voilà tout, dit froidement Acquaviva.

– Bien, bien!… Avec une compagnie de gardes-françaises et de gardes-suisses, avec une centaine de mes gentilshommes, je me charge d’obtenir tout ce qu’on voudra de ces messieurs. Je sais le langage qu’il convient de leur tenir, ricana d’Épernon en frappant sur le pommeau de son épée.

– Et il ajouta:

– Quand le moment sera venu, la reine pourra compter sur moi.

Il y eut un bref moment de silence. Léonora souriait doucement en regardant Acquaviva qui dit enfin avec une tranquillité sinistre:

– Le moment est venu, monsieur.

D’Épernon sursauta, soudain très pâle. Il bégaya:

– Le roi?…

– Le roi, monsieur le duc, répondit Acquaviva avec le même calme effroyable, le roi est mortel comme le plus humble de ses sujets.

Il prit un temps et continua:

– En ce moment, précisément, le roi sort du Louvre, dans son carrosse, et sans escorte. Le roi va à Saint-Germain-des-Prés. On a négligé de donner à boire à ses chevaux… ou peut-être les a-t-on trop abreuvés… de liqueurs fortes… je ne sais trop, au juste.

Il paraissait interroger la Galigaï du regard.

– Je crois qu’ils ont plutôt trop bu, rectifia celle-ci avec un mince sourire.

– Oui?… Au fait, madame, puisque, aussi bien c’est vous qui avez préparé cet… événement – avec une habileté et un courage auxquels je me plais à rendre hommage – expliquez donc à M. le duc ce qui va se passer.

– C’est bien simple, dit Léonora avec un calme égal à celui du moine, ces chevaux vont se comporter convenablement jusque vers l’enceinte. À partir de ce moment, la surexcitation produite par la trop forte dose de liqueur se manifestera. Le cocher ne sera plus maître de ses bêtes. Elles iront briser le carrosse sur le premier obstacle qui se présentera… À moins qu’elles n’aillent le précipiter dans la rivière, dont la berge, précisément, est assez élevée, dans ces parages.

Jehan le Brave s’était redressé, frémissant de colère et d’indignation, en grondant:

– Oh! les scélérats!…

L’espace d’une seconde, il se demanda s’il ne devait pas entrer brusquement et massacrer le duc et le moine. C’eût été une folie qui eût consommé sa perte sans sauver le roi. Et en ce moment son unique pensée était de faire avorter l’attentat. Heureusement, la bonne inspiration lui vint:

– Le roi sort du Louvre… les chevaux se tiendront tranquilles jusqu’à l’enceinte, à peu près… On peut peut-être arriver à temps pour empêcher ce lâche assassinat!… Allons!…

Voilà ce qu’il se dit. Et à l’instant même, sans plus réfléchir, il se rua en tempête et s’engouffra dans l’escalier. Il avait bonne mémoire et il avait eu soin de repérer son chemin. Et c’était fort heureux, sans quoi il se serait égaré dans la vaste demeure seigneuriale. En pareille occurrence, une minute perdue pouvait être fatale.

Quant à ce qu’il allait faire, il n’avait pas encore d’idée précise. Il avait dit: «Allons!» et il allait. Il ne courait pas d’ailleurs. Il marchait de ce pas allongé, souple et ferme à la fois, qui lui était particulier dans les circonstances critiques.

Rapidement, il atteignit la cour. Il ne pensait guère aux estafiers de Concini. De même qu’il avait oublié qu’en ce moment peut-être d’Épernon donnait l’ordre de l’arrêter. Il ne pensait qu’au roi… son père à elle.

À quelques pas de la porte, un peu sur le côté, près du carrosse de leur maîtresse, Roquetaille, Longval et Eynaus riaient et plaisantaient. Ils avaient mis pied à terre et tenaient leurs chevaux par la bride.

Jehan le Brave embrassa ces détails d’un coup d’œil, en marchant droit à la porte. Dans le va-et-vient incessant, nul ne faisait attention à lui. Nous avons dit qu’il n’avait pas d’idée précise. La vue des spadassins et de leurs chevaux en fit jaillir instantanément une dans son esprit:

«Pardieu! se dit-il, puisque Concini veut assassiner le roi, il me paraît juste que ses chevaux servent à le sauver!»

Et aussitôt, changeant de direction, il se dirigea vers les trois gentilshommes qui, tout à leur conversation, ne s’occupaient guère de ce qui se passait autour d’eux. En marchant, avec un sang-froid merveilleux, il étudiait les bêtes d’un œil expert. Celle de Roquetaille lui parut la meilleure. Il alla droit à lui.