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À la Croix-du -Trahoir, rencontre: le sire de Neuvy, grand prévôt à la tête d’une vingtaine de cavaliers, qui s’en revenait du Louvre. Nouvel arrêt, explications entre les deux chefs d’escorte. Fureur du grand prévôt en apprenant que le redoutable bandit, Jehan le Brave, était vivant. Décision de se joindre au duc. Informations.

Léonora Galigaï était rentrée chez elle. Elle y trouva Concini qu’elle mit au courant de ce qui se passait. Concini était devenu livide. Mais c’était un homme résolu. Il ne perdit pas son temps à récriminer, comme avait fait d’Épernon. Il rassembla à l’instant tout ce qu’il avait d’hommes sous la main: une dizaine.

Pendant que ces hommes passaient à la hâte la bride aux chevaux, il y eut un conciliabule entre les deux époux. Léonora, qui avait réfléchi en route, avec un calme admirable en la circonstance, expliqua brièvement:

– Le roi est sorti du Louvre. Jehan le Brave devra donc lui courir après. De deux choses l’une: il le rejoindra à temps pour l’avertir, ou il arrivera trop tard. S’il arrive trop tard, nous sommes les maîtres… Alors nous l’accuserons formellement du meurtre du roi. On le saisit, on le condamne, sa tête tombe et nous en sommes débarrassés à tout jamais.

– Oui, mais s’il arrive à temps? demanda Concini, qui écoutait, haletant.

– Nous l’accuserons plus que jamais, déclara Léonora, avec une énergie virile. Tu préviendras d’Épernon pour qu’il dise comme toi. Nous trouverons des témoins qui attesteront avoir vu Jehan se faufiler dans les écuries… Entre la parole de ce bravo et celle de braves gentilshommes, le doute n’est pas permis. Il est perdu quand même.

– Corbacco! tu as raison! s’écria Concini enthousiasmé. Avec de l’audace, nous nous en tirons et faisons coup double!… Tu es admirable!

– Quant au mobile du meurtre: la jalousie… Tu me comprends, Concini?… La jalousie qui, une fois déjà, l’a fait se ruer, le fer au poing, sur la personne sacrée du roi.

Ceci était dit avec une violence farouche. Elle ajouta doucement en l’étreignant avec passion:

– Va, mon Concinetto! sois adroit et tu nous sauves tous.

– Je le serai, santa madonna! assura Concini en s’élançant.

Le logis du Florentin était situé proche le carrefour du Trahoir. Il y arriva à point nommé pour rencontrer d’Épernon et Neuvy, au moment où ils s’informaient du chemin suivi par Jehan. Il se joignit à eux, cela va sans dire.

Il prit aussitôt d’Épernon à part et lui communiqua le plan de Léonora. Ils furent vite d’accord, d’Épernon, comme lui, ayant déclaré l’idée merveilleuse.

D’après les renseignements recueillis, Jehan avait passé rue de l’Arbre-Sec comme une avalanche, courant vers le Pont-Neuf. Dès lors, les trois chefs étaient fixés sur l’itinéraire à suivre. Ils prirent la tête de la colonne et s’élancèrent au galop vers le Pont-Neuf.

Mais tous ces menus détails, accumulés, se traduisaient par un retard d’un bon quart d’heure.

La colonne, lancée à fond de train dans la rue de l’Arbre-Sec, n’atteignait pas le chiffre de cent hommes. Ce n’était pas fait pour étonner ou inquiéter les Parisiens qui, journellement, voyaient passer des cavalcades autrement imposantes. Mais…

Concini avait été rejoint par ses quatre gentilshommes: Eynaus, Roquetaille, Saint-Julien et Longval. Tous, Saint-Julien avec son bandeau, Eynaus et Longval encore tout meurtris, tous ils avaient retrouvé forces et ardeur, dès l’instant qu’il s’agissait de courir sus au truand Jehan le Brave.

Or, Concini avait parlé adroitement, comme le lui avait recommandé sa femme. Les quatre séides avaient colporté les propos de leur maître. D’Épernon, averti par un coup d’œil significatif, avait compris. Il était venu à la rescousse.

Comme une traînée de poudre, le bruit se répandit que la cavalcade qui passait à fond de terrain courait après un redoutable truand pour tâcher de l’arrêter avant qu’il meurtrît méchamment le roi, lequel, par fatalité, se promenait paisiblement dans son carrosse, sans garde et sans escorte.

On nommait le truand Jehan le Brave. On contait l’histoire du gibet, dénaturée et amplifiée. On citait sur son compte des actes d’une cruauté inouïe, qui faisaient passer le frisson de la malemort sur l’échine des plus résolus. Une clameur formidable se levait de toutes parts: concert de malédictions et d’imprécations, à l’adresse du bandit, exhortations, bénédictions à l’adresse des vaillants qui volaient au secours du bon sire.

Le bruit sinistre volait toujours, porté par les ailes rapides de la rumeur publique. Et maintenant, il précédait la troupe. Comme toujours, en pareille circonstance, plus il avançait et plus il s’amplifiait. Maintenant, ce n’était plus un truand, c’était une bande, une armée commandée par Jehan le Brave, qui, après avoir assassiné le roi, allait se ruer à la curée, pillant, tuant, violant.

Paris, sur le chemin parcouru par Concini, d’Épernon, Neuvy et leurs hommes, prenait l’aspect terrifiant des grands jours de la Ligue. Des boutiques se fermaient précipitamment. Des gens pris de panique, s’enfuyaient à toutes jambes, en poussant des hurlements de bêtes traquées. Des bourgeois se terraient précipitamment, verrous poussés, chaînes tendues. D’autres s’armaient à la hâte et se lançaient bravement, à la suite de la cavalcade.

Et pendant ce temps, celui qui causait cette émotion fantastique arrivait à la porte Buci sans avoir encore aperçu le carrosse royal. Il lui avait semblé entendre galoper derrière lui et il s’était dit:

– D’Épernon est à mes trousses! Et probablement aussi le Concini. Il s’était retourné. Il n’avait rien vu.

Passé la porte, dans la rue de Buci même, il fut renseigné par des bruits de conversations, entendues au passage: un carrosse, dont les chevaux venaient brusquement de prendre le mors aux dents, venait de passer dans le faubourg, le long de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, et courait droit à la rivière, où il ne manquerait pas de tomber, s’il ne se brisait avant de l’atteindre.

Jehan se lança dans la rue du Colombier [7], qui longeait le mur d’enceinte de l’abbaye, à l’ouest. Là, il entendit encore galoper derrière lui. Il jeta un coup d’œil de ce côté. Effectivement un cavalier, lancé ventre à terre, semblait courir après lui, et se rapprochait de plus en plus. Il ne s’en inquiéta pas autrement – puisque ce cavalier était seul – et il continua d’exciter sa monture.

Mais le cavalier, mieux monté, gagnait sur lui. Comme il approchait du jardin clos de la reine Marguerite, il sentit que ce poursuivant acharné n’était plus bien loin de lui. Il allait se retourner pour demander si c’était après lui qu’en avait ce personnage, lorsqu’il entendit une voix qui criait:

– Hé! mon jeune ami! où diable courez-vous, de ce train d’enfer?

– Monsieur de Pardaillan! s’exclama joyeusement Jehan.

LV

Il est nécessaire d’expliquer comment Pardaillan se trouvait rue du Colombier. Pour cela, il nous faut remonter de quelques heures dans cette matinée.

À peu près vers le même moment où Jehan se promenait dans son galetas en se demandant ce qu’il allait faire, Pardaillan était sorti en se disant:

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[7] Il y avait une autre rue du Colombier plus loin, au sud-est de l'abbaye. Elle prit plus tard le nom de Vieux-Colombier, qu'elle porte encore. (Note de M. Zévaco.)