Выбрать главу

– Oui, monsieur.

– Ah! pardieu! rugit le chevalier dans son esprit, je commence à voir clair dans cette affaire!… Pourvu que j’arrive à temps maintenant!

Il s’informa du nom du capitaine de service. C’était M. de Vitry. Il le connaissait. Il se fit conduire à lui. Coupant court aux interminables préambules de politesse, il lui dit à brûle-pourpoint:

– Monsieur de Vitry, il faut que je rattrape au plus tôt Sa Majesté qui vient de sortir sans escorte, m’a-t-on dit. Il me faut un cheval rapide… Il n’y a pas une seconde à perdre.

Vitry connaissait Pardaillan. Il comprit que quelque chose de très grave se passait. Sans interroger, sans hésiter, il dit simplement:

– Venez, monsieur de Pardaillan, je vais vous donner mon meilleur cheval.

Quelques secondes plus tard, Pardaillan sautait en selle et filait ventre à terre par les quais.

C’est ainsi que nous l’avons vu derrière son fils rue du Colombier, le long du jardin clos de la reine Marguerite, femme répudiée du roi Henri IV.

LVI

En quelques foulées, Pardaillan, mieux monté, se trouva côte à côte avec son fils. En galopant, il répéta sa question:

– Où diable courez-vous ainsi?

Jehan, d’un geste, désigna la campagne et répondit laconiquement:

– Le roi!

Dans l’angoisse qui l’étreignait, dans son ardeur au sauvetage, il ne pensa pas à s’expliquer plus clairement. Il ne parut pas s’étonner de voir que Pardaillan avait compris quand même.

Ils continuèrent de galoper silencieusement. Au bout de la rue du Colombier, passé le mur d’enceinte de l’abbaye, ils perçurent à leur gauche, le carrosse royal.

Les quatre chevaux qui le traînaient étaient lancés à une allure folle. Le cocher, debout sur son siège, désespérément cramponné à ses guides, tirait dessus de toutes ses forces, décuplées par l’imminence du péril. Il s’épuisait vainement, sans parvenir à maîtriser les bêtes affolées.

Le carrosse venait de dépasser la chapelle des Saints-Pères. À partir de là, la rue devenait route. Sur sa gauche se trouvaient encore quatre ou cinq maisons, puis c’était la campagne piquée d’arbres çà et là. Un peu plus loin, les fourches patibulaires de l’abbé. Plus loin encore, la Seine, dont la berge – comme l’avait fait observer la Galigaï – était à pic et élevée de plusieurs toises.

Sur sa droite, les jardins non clos de la reine Marguerite. (Ces jardins, ainsi que l’hôtel, occupaient une grande partie de l’ancien Pré aux Clercs.) Ces jardins étaient dominés par une petite éminence, sur laquelle se dressait un moulin.

Les chevaux filaient droit devant eux, avec cette rigidité de ligne suivie, particulière aux chevaux emballés. Ils allaient tout droit à la rivière et l’on eût pu croire qu’ils y étaient attirés par quelque force irrésistible, car ils avaient tourné d’eux-mêmes, à diverses reprises, pour se maintenir dans cette direction.

Il est probable que la liqueur qu’on leur avait fait boire avait excité leur soif. Ils sentaient l’eau à proximité et ils s’y ruaient d’instinct, sans que rien pût les faire changer de direction.

Ils étaient obligés de passer au pied du moulin. Un peu plus loin, sur leur gauche, se trouvaient deux gros arbres, deux chênes touffus. Ensuite, c’était le gibet. Si le carrosse ne se brisait pas contre ces deux obstacles, plus rien ne se trouvait pour lui barrer la route. C’était la culbute inévitable, le saut dans la rivière, la mort certaine.

Pardaillan et son fils lancèrent leurs montures sur le jardin de la reine. Ils le traversèrent en trombe, sans s’occuper, comme bien on pense, des dégâts qu’ils causaient dans les parterres admirablement entretenus. En galopant, Pardaillan, qui se trouvait à la gauche de son fils, expliquait avec son calme imperturbable:

– Nous piquons droit aux fourches. Nous y arriverons avant le carrosse. Nous sautons à terre et nous l’attendons. Nous bondissons ensemble à la tête des chevaux. Je prends celui de gauche; vous, celui de droite.

– Bien monsieur.

Jehan le Brave, qui ne recevait d’ordre de personne, trouvait tout naturel que Pardaillan prît la direction et commandât.

Pardaillan, très froid, comme toujours au moment de l’action, jeta un coup d’œil sur lui, à la dérobée. Il le vit aussi froid, aussi résolu qu’il était lui-même. Et il eut un mince sourire de satisfaction.

Du carrosse cependant, on avait aperçu les deux cavaliers. Deux bustes émergèrent de la portière. Deux voix crièrent:

– À l’aide!… À nous!…

– Le roi!… sauvez le roi!…

Henri IV n’était pas seul dans le carrosse. Il avait avec lui les ducs de Bellegarde et de Liancourt. Deux ennemis de Concini. Les deux ducs appelaient à l’aide. Le roi ne se montrait pas.

– Courage!…

– On vient à vous! répondirent Pardaillan et Jehan en même temps.

La manœuvre s’accomplit comme l’avait indiqué Pardaillan. Les deux cavaliers atteignirent le gibet avant le carrosse. Ils sautèrent à terre et se placèrent résolument sur sa route, bien calés, repliés sur eux-mêmes, prêts à bondir. Pardaillan avait expliqué en quelques mots ce qu’il fallait faire.

Les chevaux, à une allure vertigineuse, venaient droit à eux. Le cocher, qui n’avait pas perdu son sang-froid, voyant ces deux braves et quelle était leur intention, s’efforçait de leur venir en aide en brisant à coups de saccades réitérées la résistance opiniâtre de ses bêtes.

Le roi avait mis la tête à la portière. Il voulait voir. Il était très pâle, mais il avait toute sa présence d’esprit. Il ne prononça pas une parole, mais il se disait:

«Ces deux malheureux vont se faire écraser… inutilement!»

Au même instant les chevaux arrivaient à la hauteur des deux hardis gentilshommes. Ils bondirent en même temps. D’une main ils se cramponnèrent aux guides; de l’autre, ils étreignirent les naseaux fumants. Ils ne cherchèrent pas à immobiliser les bêtes. Ils ne se laissèrent pas traîner non plus. Simplement, ils se mirent à courir à côté.

Seulement, les poignes de fer meurtrissaient les naseaux. Henri IV, qui se trouvait du côté de Jehan, vit le cheval secouer frénétiquement la tête, cherchant à se débarrasser de cette entrave vivante, puis il hennit de douleur.

L’espace d’une quarantaine de pas, les deux hommes durent courir ainsi, suspendus aux naseaux des chevaux qui, meurtris par l’étreinte puissante, hennissaient de douleur, ralentissaient de plus en plus l’allure.

– On peut sauter sans danger, fit remarquer le duc de Bellegarde. Et il implora aussitôt: Au nom du ciel, Sire, descendez.

En même temps, il ouvrait la portière pendant que le duc de Liancourt appuyait.

– Ces deux braves n’auront certainement pas la force d’arrêter ces quatre bêtes furieuses. Descendez, Sire, descendez.

C’était ce que pensait aussi Henri IV. Sans discuter, il sauta à l’instant. Il le fit d’ailleurs sans précipitation, posément, adroitement.

– Ouf!… il était temps! murmura-t-il, quand il se vit à terre. Liancourt et Bellegarde, pâles et défaits, n’attendaient que ce geste. Ils se hâtèrent de le suivre avec un soupir de soulagement.

Ils auraient aussi bien pu attendre tranquillement dans le carrosse, car, quelques secondes plus tard, les deux bêtes domptées, tremblant de tous leurs membres, couvertes d’écume, s’arrêtaient.