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Jehan s’inclina respectueusement et dit simplement:

– C’est que vous êtes son père!

LVII

Henri comprit parfaitement le sens de ces paroles. Deux minutes plus tôt, la réponse l’eût piqué et il l’aurait vertement relevée. Ses sentiments à l’égard de Jehan s’étant modifiés, ces paroles le rassurèrent plus que n’eussent pu faire les protestations les plus chaleureuses. Il se disait avec raison que le dévouement qui s’adressait au père de Bertille de Saugis serait autrement ardent que celui qui s’adresserait au roi. Son égoïsme y trouvait son compte et partant, comme la première, cette réponse eut le don de lui plaire.

Cependant, il demeura un moment rêveur, les yeux fixés sur le fils de Pardaillan, sans le voir. Il pensait à sa fille.

Pourquoi n’avait-il pas tenu la promesse qu’il lui avait faite de s’occuper d’elle? Il avait tant de soucis en tête, se disait-il.

Le vrai est que l’accueil qu’elle lui avait fait l’avait déconcerté et rebuté. Il s’était senti singulièrement gêné devant cette étrange enfant qui avait osé s’ériger en juge devant lui. Qui n’avait pas témoigné plus de respect au père qu’elle n’avait été troublée par la majesté royale. Qui avait, enfin, repoussé avec la même souveraine hauteur, titres, honneurs, fortune, et, par surcroît, l’affection qu’il lui offrait. Si bien qu’il n’avait pas eu le courage de se représenter devant elle.

Maintenant, il se disait qu’il devait s’occuper d’elle. Il lui devait bien cela. Quand ce ne serait que pour lui avoir suscité ce défenseur dont il appréciait la force prodigieuse et la folle bravoure.

Il se le disait de bonne foi. De là à le faire, il y avait de la marge. Le sentiment paternel était très vague en lui. De plus, Bertille, fille qu’il ne pouvait avouer, se trouvait être un caractère déconcertant – pour lui – devant lequel il se sentait mal à l’aise.

Il était à présumer que, rentré au Louvre, il l’oublierait comme il l’avait déjà oubliée une fois. Et il s’en excusait d’avance, en se disant que, somme toute, c’était ce qu’elle demandait.

Depuis quelques instants, nos personnages percevaient, du côté de l’abbaye, le bruit sourd d’une cavalcade, qui allait se rapprochant. Ils n’y avaient pas pris garde. À part Jehan le Brave, qui se doutait bien de ce que c’était.

Au moment où Henri allait répondre, la troupe, à la tête de laquelle se trouvaient d’Épernon, Concini et Neuvy, contournait la chapelle des Saints-Pères, courait bride abattue le long du jardin non clos de la reine. Il se retourna au bruit et vit cette longue file de cavaliers qui passaient en trombe sous le moulin.

Il se sentit réconforté. Un sourire de satisfaction éclaira sa physionomie rusée, et il oublia de répondre à Jehan.

Les différents personnages qui se trouvaient avec lui s’étaient retournés comme lui. Tous regardaient la cavalcade qui approchait ventre à terre.

Jehan le Brave avait fait comme les autres. Seulement, Pardaillan, qui ne le perdait pas de vue, le vit se hérisser soudain, une flamme de colère et de défi aux yeux. En même temps, d’un geste rapide, il assujettissait le ceinturon, dégageait la rapière, se tenait prêt à la lutte imminente.

Pardaillan vit tout cela d’un coup d’œil. Et il comprit. Ses yeux allèrent tour à tour de Jehan à la troupe, puis au roi. Il ne dit rien. Mais il eut un de ses sourires en lame de couteau et, lui aussi, d’un mouvement vif, il dégagea son épée et se tint prêt.

Cependant, Concini, d’Épernon et de Neuvy venaient d’apercevoir le roi, qui se tenait en avant de son petit groupe. D’un même mouvement, ils levèrent les chapeaux et crièrent à pleins poumons:

– Vive le roi!

Et la troupe tout entière en une formidable clameur, répéta:

– Vive le roi!

Et plus loin, là-bas, derrière les cavaliers, plus assourdi, le même cri se fit entendre comme un écho. C’était la foule des curieux, rués au pas de course derrière la cavalcade, c’étaient les habitants des faubourgs, instruits par la rumeur qui courait plus rapide que les chevaux, et qui, tous, répétaient l’acclamation de confiance, sans savoir encore pourquoi.

Le roi, tout joyeux, remercia de la main, à différentes reprises, et cria:

– Merci, mes amis!

Et se tournant vers ceux qui l’accompagnaient, le visage épanoui, il ajouta:

– Ventre-saint-gris! s’il est des misérables qui nous veulent la malemort, il est, Dieu merci! des braves gens, plus nombreux, dont le dévouement se manifeste toujours au moment opportun. Vrai Dieu! cela réchauffe le cœur!

Henri IV avait à ce moment, à sa droite, Bellegarde et Liancourt. À sa gauche, Pardaillan et son fils. Pardaillan s’était arrangé de manière à ce que Jehan fût placé à côté du roi. Ce fut à lui qu’il adressa ces paroles en les accompagnant d’un sourire gracieux qui signifiait qu’il avait le droit d’en prendre une bonne part pour lui.

Jehan, sans rien dire, s’inclina avec une froide ironie. Pardaillan perçut encore cette nuance, de même qu’il vit le regard étincelant qu’en se redressant il dardait sur les trois cavaliers en tête de la colonne. Henri ne remarqua rien parce qu’il fixait les cavaliers qu’il ne parvenait pas encore à reconnaître, un peu parce qu’ils étaient trop loin, beaucoup parce que sa vue baissait de jour en jour. Il recommanda vivement:

– Messieurs, silence, je vous prie, sur cette affaire, Il ne s’agit que d’un accident. Ne l’oubliez pas.

Et sans attendre la réponse, il fit deux ou trois pas en avant. C’était un vif-argent qui ne pouvait demeurer longtemps en place.

Par suite de ce mouvement, Pardaillan et Jehan se trouvèrent à l’écart, derrière le roi et à quelques pas des deux ducs. Eux aussi, ils fixaient des regards menaçants sur les trois cavaliers qui accouraient.

C’est que, maintenant, ils étaient assez près pour qu’on pût les reconnaître. Et nous avons dit que les deux ducs étaient des ennemis mortels du Florentin. Ils pensaient qu’il était peut-être un des auteurs de l’attentat qui venait d’avorter. Ils ne se trompaient pas, comme on sait. Ils pensaient, en outre – et c’est cela surtout qui déchaînait leur fureur – que c’était peut-être grâce à lui que leur était échue la périlleuse faveur d’être désignés pour accompagner le roi dans cette promenade qui devait être mortelle. Peut-être ne se trompaient-ils pas davantage.

Pardaillan profita de cet isolement momentané. Comme il aurait répondu à des paroles claires et précises, il répondit aux jeux de physionomie de son fils, et dans un souffle à peine perceptible, répétant les propres paroles du roi:

– Parmi ces braves gens dont le dévouement se manifeste toujours au moment opportun, se trouve le meurtrier.

Jehan ne s’étonna pas de se voir si bien compris sans qu’il eût besoin de s’expliquer. Plus rien ne l’étonnait maintenant de la part de Pardaillan. Il répondit sur le même ton, en désignant du regard toute la colonne:

– Dites les meurtriers!… Sans compter ceux qui sont rentrés prudemment au logis… et ceux qui se sont terrés au couvent.

À ces mots, Pardaillan comprit que son fils en savait aussi long, sinon plus, que lui-même.

– Quoi! reprit-il, même le grand prévôt?

– Non, pas celui-là!… Je n’en jurerais pourtant pas.

– Diable! murmura Pardaillan qui jeta sur Henri IV un coup d’œil apitoyé.