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Pardaillan eut un sourire aigu. Le roi était venu là où il le voulait. Au lieu de répondre à ce qu’il lui disait, il dit paisiblement:

– Le roi, qui veut bien s’intéresser à mon fils et à moi, ne demande pas le nom de la mère de cet enfant?

– Au fait, dit le roi non sans quelque curiosité, qui est-ce?

– La princesse Fausta, dit Pardaillan en le fixant de son œil clair.

Tout d’abord, le roi ne prit pas garde à ce nom. Ou plutôt il ne pensa pas à ce que Pardaillan cherchait indirectement à lui rappeler: le trésor de Fausta que son ministre, Sully, avec son assentiment, avait entrepris, sans scrupule, de faire entrer dans les coffres royaux. Non, la passion furieuse qu’il avait toujours eue pour les femmes se manifesta seule chez le Vert-Galant.

Il fixa sur Pardaillan, très froid, des yeux où s’allumait une flamme, et avec un léger sifflement d’admiration:

– Malepeste! s’écria-t-il. Belle femme!… à ce qu’on m’a assuré, du moins… Car je n’eus point l’heur de la voir. Mes compliments, mon ami!

– Belle femme, oui, Sire, répliqua Pardaillan sans sourciller, et que vous n’avez point connue… fort heureusement pour vous.

Et d’un air négligent:

– Fabuleusement riche.

Henri tressaillit et sentit un malaise l’envahir. Maintenant, la pensée du trésor lui venait. Et dame, il était forcé de s’avouer que cette affaire n’était pas à son honneur… Il s’en fallait de beaucoup. Aussi le coup d’œil qu’il coula sur Pardaillan et sur son fils marquait-il quelque inquiétude.

Pardaillan, sans paraître remarquer ce trouble subit, continua imperturbablement:

– Si riche qu’elle a pu cacher, aux environs de Paris, dix millions destinés à son fils, sans que l’abandon de cette somme énorme parût avoir diminué ses immenses revenus.

En parlant, le chevalier tenait ses yeux rivés sur ceux du roi. Celui-ci réfléchissait et ses réflexions étaient plutôt amères. Il était clair que Pardaillan était au courant de l’objet des fouilles qu’il faisait effectuer à la chapelle du Martyr. Certainement, il allait lui rappeler que, tout roi qu’il fût, il n’avait aucun droit sur ces millions et, avec tout le respect auquel il avait droit, le mettre en demeure d’y renoncer.

Lâcher ces millions au moment où il les tenait presque, c’était pénible, très pénible. Mais quoi?… Pardaillan et son fils étaient dans leur droit. Ceci ne pouvait être contesté d’aucune manière. Et quand bien même c’eût été possible, pouvait-il, après toutes les obligations qu’il lui avait, après l’exceptionnel désintéressement qu’il avait toujours montré, pouvait-il s’abaisser jusqu’à disputer son bien à cet homme? Fi donc! Henri était beau joueur et savait perdre sans sourciller. Il considéra cette affaire comme une partie perdue. Certes, la pilule était amère, mais il fallait savoir l’avaler sans trop faire la grimace. Cela étant décidé, non sans déchirement intérieur, il fallait aussi s’éviter l’humiliation d’un rappel au respect de la propriété d’autrui.

Et il prit bravement les devants, en affectant un air enjoué et fort détaché.

– Oh! diable! mon ami, fit-il, savez-vous que j’étais en train de vous détrousser?

Il s’attendait peut-être à ce que Pardaillan se récriât, jouât la petite comédie de la surprise, et peut-être avait-il intentionnellement employé le mot détrousser. Il n’en fut rien. Pardaillan se dit à lui-même:

«Allons donc! tu y viens enfin!»

Et tout haut, de l’air le plus simple du monde:

– Oui, je sais. Sur la foi de certain document écrit en italien contenant des indications très précises, M. de Sully fait faire des recherches à la chapelle du Martyr.

– Comment savez-vous ce détail? s’écria Henri stupéfait.

– J’étais là quand on a remis ce papier à M. de Sully, sourit Pardaillan.

– Il ne m’en a rien dit!

– Il n’aurait eu garde de le faire… Pour la bonne raison qu’il ignore que j’ai assisté à son entretien avec l’homme qui lui a remis le papier en question.

Pardaillan dit cela de son air le plus ingénu. Henri le considéra un moment, tout éberlué, et murmura, non sans une secrète admiration:

– Diable d’homme! Et tout haut:

– Comment, dès le premier jour vous avez su que Sully cherchait à s’approprier le bien de votre fils et vous avez laissé faire?… Vous n’avez rien dit?…

– Je m’en serais bien gardé!

– Pourquoi? Jarnicoton!

– Parce que, fit Pardaillan avec un flegme admirable, parce que les millions ne sont pas où on les cherche… Parce que les renseignements sur lesquels on s’est basé sont faux… Vous comprenez, Sire. Tandis qu’on cherchait les millions sous la chapelle, avec la conviction absolue qu’on les y trouverait, on ne pensait pas à chercher ailleurs… J’étais bien tranquille.

– Ventre-saint-gris! marmotta le roi avec dépit, et ce sont mes deniers qui dansent!… Belle opération que m’a fait faire là Sully!

– Oh! fit Pardaillan avec une ironie imperceptible, rassurez-vous d’ailleurs, Sire. Même si les millions s’étaient trouvés où on les cherche, l’opération n’eût pas été plus fructueuse pour vous… attendu que vous n’eussiez rien trouvé du tout.

– Que voulez-vous dire?

– Que d’autres seraient arrivés avant M. de Sully et auraient soufflé ces millions à son nez et à sa barbe.

– Ventre-saint-gris! Voici qui est trop fort, par exemple!

– Sire, expliqua complaisamment Pardaillan, mon fils est venu au monde dans un cachot du château Saint-Ange, à Rome. S’il en est sorti vivant, c’est que le pape, Sixte Quint, connaissait l’existence de ce trésor. En même temps qu’il laissait partir l’enfant et celle qui devait remplacer sa mère, il mettait à leurs trousses toute la moinerie de France et d’Italie… Par cette femme, ou par l’enfant, il comptait bien arriver au trésor sur lequel il aurait mis la main.

– Je commence à comprendre.

– Il y a vingt ans de cela. Et les gens d’Église n’ont pas perdu l’espoir de s’emparer de ces millions tant convoités… Et ils seraient arrivés avant vous… Et c’est une des raisons aussi pour lesquelles on s’acharne à perdre cet enfant aux yeux de Votre Majesté.

– Oui, oui. Je comprends maintenant. Ces prêtres sont insatiables; ils se glissent partout et ne reculent devant rien pour arriver à leurs fins, murmura le roi assombri.

Et avec une sourde inquiétude, il laissa échapper l’aveu de sa terreur secrète en ajoutant:

– Ils me tueront, mon ami!… Car c’est eux qui me tueront, n’en doutez pas!

Il était si pâle, si défait, que Pardaillan en eut pitié. Et pour changer le cours de ses idées, il répliqua avec une assurance qu’il n’avait peut-être pas au fond:

– Bah! ils ne vous tiennent pas encore. Vous avez des amis dévoués qui veillent dans l’ombre… puisque c’est dans l’ombre que les scélérats opèrent. Mais, Sire, vous comprenez maintenant pourquoi mon fils a besoin de surveiller les terres de Mme l’abbesse et par conséquent d’aller au village de Montmartre. Il garde son bien… et c’est son droit strict.