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– Expliquez-vous, monseigneur, fit respectueusement l’un d’eux. Concini parut se plonger dans quelque effroyable méditation, et redressant sa tête pâle:

– Si j’accorde cinq ou six jours de répit au drôle, si je lui permets – et Dieu sait ce qu’il m’en coûte – (en effet, il paraissait souffrir atrocement) si je lui permets d’aller faire la roue auprès de sa belle en toute quiétude, c’est pour lui inspirer confiance, pour lui faire croire que la menace du roi a produit son effet sur moi et que je renonce à le molester… Mais pendant ce temps, avec votre aide, je tends mon filet… dans lequel il viendra se prendre de lui-même. Et je vous jure que les mailles en seront si solides et si serrées que nulle puissance humaine ne pourra le dégager!

La satisfaction des quatre spadassins éclata, aussi bruyante et sincère que leur dépit et leur colère l’instant d’avant!

– Je me disais aussi! – Ventre du pape! – Nous sommes des cuistres! – Taïaut! taïaut!… sus à la bête!

– Écoutez, fit Concini en leur faisant signe d’approcher plus près de lui.

Et d’une voix basse et ardente, il expliqua son idée à ses quatre fidèles attentifs, dont les visages s’éclairaient à mesure qu’il parlait.

Nous verrons sous peu quelle était l’idée de Concini. Disons, pour l’instant, que lorsqu’il eut fini de parler, la joie éclata, bruyante et sauvage, et que les approbations admiratives ne lui furent pas ménagées. Après quoi ils se mirent en selle et s’en retournèrent à une allure modérée au logis de Concini.

Pendant ce temps, Pardaillan et son fils arrivaient au Louvre et prenaient congé du roi qui se montra très bienveillant pour tous deux.

La première personne que le chevalier avait vue en arrivant, était le capitaine de Vitry, qui se trouvait à la porte comme par hasard, et qui les suivit jusque dans la cour d’honneur.

Pardaillan avait eu un sourire narquois en l’apercevant. Et, comme le roi s’éloignait en s’appuyant amicalement sur le duc de Bellegarde, il dit assez haut pour être entendu:

– Eh! monsieur de Vitry, je vous ramène votre cheval… Bonne bête, ma foi! J’ai pu, grâce à elle, rattraper assez facilement le roi. Et, voyez l’heureuse fortune, juste à point nommé pour arrêter ses chevaux, lesquels, altérés, s’étaient emportés. En sorte que, indirectement il est vrai, le roi vous doit un peu la vie.

Vitry loucha du côté d’Henri IV. Celui-ci, sans s’arrêter, tourna la tête et cria avec un sourire:

– Et je ne l’oublierai pas, soyez tranquille, Vitry. Et il disparut sans attendre la réponse.

Vitry s’approcha de Pardaillan et, lui serrant la main d’une manière significative:

– Pardieu, monsieur de Pardaillan, vous êtes le plus galant homme que je connaisse!… Je vous prie de faire état de moi comme d’un ami très dévoué.

– Monsieur, dit sérieusement Pardaillan, croyez que je me trouve très honoré de l’amitié que vous voulez bien m’offrir.

Et avec une imperceptible pointe de raillerie:

– Il m’a paru très légitime de faire connaître au roi la part que vous avez eue dans cette affaire.

– Au fait, s’écria étourdiment Jehan le Brave, ceci me fait penser que moi aussi j’ai dû emprunter cette monture!… un peu contre le gré de son propriétaire, par exemple.

– Je m’étonnais aussi de vous voir si riche, fit Pardaillan avec un bon sourire.

Vitry avait fort bien remarqué que Jehan chevauchait à la portière du carrosse royal. C’était un honneur que les plus grands enviaient. Ce jeune inconnu ne devait pas être le premier venu assurément. Et il regardait tour à tour Jehan et Pardaillan d’une manière expressive. Celui-ci comprit et se hâta de faire les présentations en règle.

– Quoi! s’écria Vitry tout éberlué, Jehan le Brave!… Monsieur serait-il, par hasard, le héros de cette prodigieuse aventure du gibet de Montmartre?

– Lui-même, en personne, confirma Pardaillan goguenard. Et d’un air détaché, il ajouta:

– Ce jeune homme, qu’on a quelque peu calomnié, a eu la bonne fortune de rendre quelques signalés services à Sa Majesté, qui veut bien l’honorer d’une estime et d’une bienveillance toutes particulières, ainsi que vous avez pu le remarquer.

Pardieu, oui! Vitry l’avait remarqué. Et il n’en fallut pas davantage pour qu’il se montrât très aimable avec ce jeune homme honoré de la faveur royale.

– Monsieur de Pardaillan, dit-il de son air le plus engageant, puisque ce cheval ne vous paraît pas trop mauvais, faites-moi la grâce de l’accepter comme un faible témoignage de ma profonde estime et de ma vive gratitude.

Pardaillan allait refuser. Il lui sembla que son fils contemplait la bête offerte avec une certaine convoitise. Il eut un sourire malicieux, et sans façon:

– Ma foi, monsieur, il m’est impossible de refuser ce que vous m’offrez de si bonne grâce.

Et de son air le plus ingénu, il ajouta aussitôt:

– Seulement, comme je possède déjà un cheval et ne suis pas assez riche pour m’offrir le luxe d’en avoir plusieurs, souffrez que je repasse celui-ci à mon jeune ami, qui n’en a pas et qui doit être monté comme tout bon gentilhomme.

Et, son sourire malicieux aux lèvres, il se tourna vers son fils. Celui-ci avait eu un geste de protestation. Mais son regard brillant trahissait la joie qu’il aurait à se voir le maître d’une aussi magnifique bête.

De son fils, il passa à Vitry. Celui-ci trouvait peut-être le sans-gêne du chevalier un peu excessif. Il se garda bien pourtant de le laisser voir. Et il dit, de bonne grâce:

– Ce cheval vous appartient, chevalier. Vous êtes donc libre d’en faire ce que bon vous semblera.

– Mais, monsieur, s’écria Jehan, partagé entre son désir et la crainte de paraître indiscret, je ne sais vraiment si je dois accepter un aussi riche cadeau!

– Morbleu! se courrouça Pardaillan, me feriez-vous l’injure de refuser?

Jehan regarda Vitry d’un air perplexe. Le capitaine fit contre mauvaise fortune bon cœur:

– Acceptez, monsieur, fit-il rondement. Après M. de Pardaillan, vous êtes l’homme entre les mains duquel je serai le plus honoré de voir passer cette noble bête.

Cette fois, Jehan s’inclina et, les yeux brillants d’une joie puérile qu’il ne cherchait pas à dissimuler, il s’en fut aussitôt étudier de près la superbe monture qu’il devait à la malice de Pardaillan.

Celui-ci profita de ce qu’il était ainsi éloigné. Il se pencha vers Vitry et lui glissa à l’oreille:

– Voulez-vous que je vous dise, monsieur? Eh bien, arrangez-vous de manière à faire savoir au roi que vous avez donné ce cheval à ce jeune homme… Vous verrez que ce sera là une manière de faire votre cour dont vous n’aurez pas à vous plaindre.

– Décidément, vous êtes un charmant compagnon! murmura Vitry, qui ne regretta plus de voir passer son cheval aux mains de ce jeune inconnu.

Ils revinrent à Jehan, qui s’extasiait toujours devant son cheval.

– Qu’allez-vous faire de cette autre bête empruntée contre le gré de son propriétaire? demanda Pardaillan.

– J’avais l’intention de la lui renvoyer. Mais, monsieur, vous me voyez assez embarrassé… Elle appartient à Concini.

– Tiens! tiens! s’exclama Pardaillan qui répondait par un sourire entendu au sourire malicieux de son fils.