Выбрать главу

Pardaillan approuva d’un sourire et:

– Coucherez-vous rue de l’Arbre-Sec?

– Sans doute.

Pardaillan réfléchit une seconde et:

– Passe encore pour aujourd’hui, dit-il. Ils n’auront pas eu le temps de rien machiner là. Mais voulez-vous que je vous donne un conseil?… que vous ne suivrez pas, comme de juste.

– Donnez toujours, monsieur, dit Jehan en riant.

– Eh bien, dès demain, décampez de ce logis. Allez-vous-en coucher à Montmartre, dans cette grotte que vous connaissez. Vous n’y aurez qu’une botte de paille, mais du moins, vous y serez en sûreté.

– Je ne dis pas non, fit Jehan rêveur. En tout cas, ce soir, je couche rue de l’Arbre-Sec.

– Je passerai vous chercher vers une heure de l’après-midi. Nous irons ensemble voir votre fiancée.

Jehan lui saisit les deux mains et, avec une émotion poignante, s’écria:

– Vraiment, monsieur, vous êtes d’une bonté pour moi!… Un père n’agirait pas mieux que vous ne le faites.

Pour la première fois de sa vie, Pardaillan ne put supporter le regard humide de reconnaissance qui se fixait sur lui. Pour la première fois, gêné, il dut se détourner. Et tandis que son fils s’éloignait de ce pas allongé qui était le sien, du haut du perron, il le suivait d’un œil rêveur, vaguement attendri et murmurait:

– Un père n’agirait pas mieux!… Pourquoi ne lui ai-je pas dit que je suis son père?

Il frappa du pied avec humeur et rentra dans l’auberge en grommelant:

– Il ira, morbleu, j’en suis certain!… Car enfin, il sait où sont les millions, et lui qui me dit tout, il ne m’en a soufflé mot! Pourquoi?… Corbleu, que je voudrais donc être fixé. Cette indécision est énervante!

LXI

Pardaillan ne s’était pas trompé en disant à Jehan que le moine Acquaviva devait avoir quitté le couvent des capucins.

En effet, dès sa rentrée à la capucinière, il avait eu un court entretien avec le père Joseph. Moins d’une demi-heure après, la porte du couvent s’était ouverte à nouveau et il était sorti, monté sur une mule. Le père Joseph, qui l’avait accompagné jusque-là, lui dit à haute voix:

– Bon voyage, mon révérend Père!

– Au revoir, mon frère, répondit Acquaviva, et grand merci de votre généreuse hospitalité.

La lourde porte se ferma en grinçant, et, le capuchon rabattu sur les yeux, il s’éloigna au pas cadencé de la mule indolente.

Comme il approchait de la rue de Gaillon, un religieux parut sur cette manière de terrasse qui précédait l’entrée de la chapelle Saint-Roch, descendit l’escalier d’un pas nonchalant et se campa au milieu de la chaussée de l’air indécis de quelqu’un qui se demande s’il ira à droite ou à gauche.

En approchant de ce religieux, Acquaviva esquissa un signe mystérieux auquel l’autre répondit par un signe identique. Acquaviva passa sans s’arrêter, répondant par un léger signe de tête au salut de ce confrère. En passant, il laissa tomber ce seul mot:

– Ruilly [9].

Il se trouva que l’indécision du religieux cessa comme par enchantement. Il s’éloigna aussitôt du côté de la ville, marchant plus vite que la mule d’Acquaviva qu’il laissa derrière lui.

Celui-ci traversa la ville dans toute sa largeur, depuis la porte Saint-Honoré jusqu’à la porte Saint-Antoine. Jusque-là, il avait marché doucement, au pas, sans que nul fît attention à lui. Dans le faubourg Saint-Antoine, il piqua sa monture du talon et la mit au trot.

Il alla ainsi jusqu’au mur d’enceinte de l’abbaye Saint-Antoine. Là, il tourna brusquement à droite et parvint en peu de temps au bourg de Ruilly. Il n’y avait là qu’un très petit nombre de maisons espacées au hasard. Il s’arrêta devant une ferme isolée. C’était l’ancien manoir royal de Ruilly. Il y entra comme chez lui.

Un quart d’heure plus tard, il y était rejoint par le moine Parfait Goulard, avec lequel il eut un long et mystérieux entretien, en suite de quoi il le congédia en disant:

– Allez, mon fils, n’oubliez rien. N’oubliez pas, surtout, qu’il faut que ce jeune homme meure au plus tôt… Il y va de l’existence de notre ordre.

– Il mourra, assura Parfait Goulard avec une froide implacabilité.

Le jour même, sur la brune, Acquaviva enfourcha sa mule et repartit dans la direction de l’abbaye Saint-Antoine qu’il contourna. Il passa à la Croix-Faubin, descendit vers Popincourt, gagna la Courtille, longea Montfaucon et parvint au faubourg Saint-Laurent, ayant ainsi tracé un vaste quart de cercle autour de l’enceinte de la ville.

Dans le faubourg, à une centaine de pas de la porte Saint-Martin, il aperçut un moine qui attendait. Acquaviva mit pied à terre. Le moine s’empara de la mule et partit sans avoir prononcé une seule parole.

Acquaviva, à pied, le capuchon toujours rabattu sur les yeux, rentra dans Paris quelques instants avant la fermeture de la porte. Par des voies détournées, les moins fréquentées, il parvint à la rue de la Heaumerie.

C’était une petite rue étroite qui, à l’époque, était très animée. Elle s’étendait parallèlement et au sud de la rue des Lombards. Elle allait de la rue Saint-Denis à la rue de la Savonnerie, à droite, et la rue de la Vieille-Monnaie, à gauche. Au bout de cette rue, près de la rue de la Vieille-Monnaie, se trouvait un cul-de-sac qu’on appelait du Fort-aux-Dames, parce que Mme de Montmartre y avait sa prison.

La prison se trouvait presque au fond de l’impasse. C’était une antique bâtisse de trois étages, sombre, obscure, sinistre, comme toute prison. On se tromperait singulièrement si on se figurait que c’était une prison pour rire. C’était une prison très sérieuse au contraire, munie de tout ce qui peut constituer une bonne prison: portiers, guichetiers geôliers, gardes, bourreau et ses aides, chapelle et chapelain; bons et solides cachots, munis de fortes chaînes, de fers épais, depuis les combles jusqu’aux caves, qui s’enfonçaient de plusieurs étages dans les entrailles de la terre; chambre de torture: rien n’y manquait.

Seulement, comme la place était un peu exiguë, vu la quantité de prisonniers, comme les Dames n’étaient pas très riches, les malheureux qu’on y enfermait étaient un peu plus mal là qu’ailleurs. Voilà tout.

Ces détails peuvent paraître superflus. On reconnaîtra par la suite qu’ils étaient nécessaires. Il est même probable que nous serons obligé d’y revenir.

Plus avant dans l’impasse, accotée à la prison, se trouvait une maison plus petite, élevée de deux étages. Elle paraissait se dissimuler là. Avec ses fenêtres et sa porte toujours closes, elle semblait plus triste, plus morne, plus lugubre encore que la prison, sa voisine. Encore la prison s’animait-elle, elle. On y sentait palpiter la vie. La porte s’ouvrait et se fermait fréquemment. C’était un va-et-vient incessant de religieux, de religieuses, de geôliers qui entraient et sortaient. Tandis que, de mémoire de voisins, on n’avait vu s’ouvrir la porte massive de la petite maison qui passait pour inhabitée et appartenait à on ne savait qui.

Ce fut vers cette porte que se dirigea Acquaviva, la nuit étant complètement venue. Elle s’ouvrit sans bruit devant lui, et sans qu’il eût besoin de frapper. Et celui qui ouvrait, c’était encore frère Parfait Goulard. Il conduisit son chef tout en haut de la maison, sous les combles, et le fit entrer dans une petite chambre assez confortablement meublée.

вернуться

[9] Aujourd'hui, nous disons: Reuilly (Note de M Zévaco.)