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Acquaviva jeta un coup d’œil indifférent autour de lui et dit laconiquement:

– Visitons.

Parfait Goulard ouvrit une petite fenêtre à laquelle Acquaviva se pencha pendant que l’ivrogne expliquait:

– Petit jardin, sur le derrière. Là-bas, ce mur très élevé, c’est la rue de la Vieille-Monnaie.

– Passons, dit Acquaviva.

Goulard ferma la fenêtre et ouvrit la porte. Il y avait là comme un petit palier. D’un côté, l’escalier assez raide par où ils étaient venus. En face, une porte basse fermée avec un énorme cadenas. Au milieu, la porte de la chambrette, sur le seuil de laquelle ils se tenaient. Parfait Goulard dit, en désignant la porte au cadenas:

– Grenier. Débarras sans issue. Nul n’y pénètre.

Il s’en fut droit au mur, presque en face de la porte. Il éleva la lampe qu’il tenait à la main et montra un minuscule bouton habilement dissimulé. Il pressa dessus. Une étroite ouverture se démasqua. Ils entrèrent. C’était une chambre plus petite encore que celle qu’ils venaient de quitter. Elle était très sommairement meublée. Parfait Goulard expliqua:

– Ici, nous sommes chez les Dames de Montmartre.

Il montra le mécanisme qui permettait d’ouvrir de ce côté, comme il l’avait montré de l’autre côté.

– Passons, dit encore Acquaviva après avoir attentivement regardé. Ils revinrent sur le petit palier. Ils descendirent aux caves. Là encore, nouvelle issue secrète dont Goulard montra le mécanisme comme pour les précédentes. Ils s’engagèrent dans un étroit boyau dans lequel Acquaviva fut obligé de baisser la tête. Ils aboutirent à un escalier qu’ils montèrent et, finalement, se trouvèrent dans un vestibule.

– Ici, dit Parfait Goulard, nous sommes de l’autre côté de la rue de la Vieille-Monnaie. C ’est la maison qui fait l’angle de la rue et que vous pourrez apercevoir de votre fenêtre. Il y aura constamment ici un homme de garde. Le cas échéant, vous pourrez, de votre fenêtre, lui faire les signaux conventionnels et vous serez obéi avec toute la promptitude nécessaire.

– Parfait, déclara Acquaviva d’un air satisfait. Et il ajouta: Retournons.

Deux minutes plus tard, ils étaient de retour dans la mystérieuse demeure. Au rez-de-chaussée, Parfait Goulard demanda:

– Monseigneur désire-t-il que je lui montre les chambres machinées?

– À quoi bon! fit Acquaviva avec indifférence, remontons.

Ils regagnèrent la petite chambre sous les combles. Acquaviva s’assit dans l’unique fauteuil qui la garnissait et désigna une chaise à Parfait Goulard.

– Eh bien, mon fils, ce Ravaillac?… Voici que, grâce au fils de Pardaillan, nous avons besoin de lui, plus que jamais.

Acquaviva disait cela sans colère, sans amertume, avec cette extraordinaire douceur dont il ne se départissait que très rarement. Il ajouta:

– Après avoir eu bien du mal à le décider à s’en retourner dans son pays, vous voici obligé de lutter et de ruser à nouveau pour l’empêcher de partir. Pensez-vous réussir?

– Le plus difficile, répondit le moine, sera de l’amener jusqu’ici sans éveiller ses soupçons. J’espère y arriver cependant. Qu’il entre seulement dans cette maison et je réponds qu’il ne partira pas. On prépare tout à cet effet, dans les chambres machinées que je voulais vous faire visiter. Et je crois pouvoir assurer que le spectacle que j’ai composé à son intention lui rendra toute sa décision.

– Et ce Jehan le Brave?

Parfait Goulard répondit avec un sourire sinistre:

– Des hommes à nous le suivent pas à pas et ne le quittent pas plus que son ombre. Il en sera ainsi jusqu’au jour où… il ne sera plus à redouter.

– Le plus tôt possible, mon fils. Il y a urgence impérieuse, dit Acquaviva, d’ailleurs sans manifester aucune impatience.

– À l’heure qu’il est, la chose est peut-être faite.

– Dieu vous entende, mon fils.

Acquaviva réfléchit une seconde et, redressant sa tête pâle:

– Où en sommes-nous de ces fouilles?

– Nous approchons, monseigneur. L’autel signalé dans le papier en question est presque complètement dégagé. Dans quelques jours, nous aurons mis à découvert le bouton. Et nous serons bien près du but.

À ce moment, on gratta doucement à la porte. Goulard alla ouvrir. Un moine, taillé en athlète, parut qui, humblement, demanda les ordres de monseigneur pour son souper.

– Montez-moi un morceau de pain, des fruits et un verre d’eau, dit Acquaviva.

Et pendant que le moine athlète s’éloignait, il se remit paisiblement à parler à Parfait Goulard, à qui il donnait des instructions.

Lorsque le moine, cinq minutes plus tard, revint avec une petite table sur laquelle, dans des plats d’argent massif, se dressait le très frugal repas commandé par le redoutable chef de la sombre et terrible société de Jésus, Parfait Goulard n’était plus là. Le moine servant ne parut pas s’en étonner.

LXII

Jehan le Brave, en quittant Pardaillan, sortit de Paris par la porte Montmartre. Il passa devant la maison de Perrette la Jolie, sans s’arrêter. Il sifflotait un air de chasse. Comme il arrivait au château des Porcherons, il fut rejoint par Gringaille, sorti de derrière une haie où il se tenait caché, surveillant la porte de la petite maison.

– Eh bien? demanda Jehan.

– Tout va bien, chef. Tranquillité absolue.

– N’importe, continuez à veiller plus attentivement que jamais. Avant longtemps, mes braves compagnons, j’espère vous décharger de cette assommante garde.

– Pour assommante, avoua franchement Gringaille, c’est une corvée assommante, on ne peut pas dire le contraire. Mais, cornedieu, chef! c’est pour le service de la mignarde demoiselle, et vous savez que pour elle nous nous ferions étriper de tout cœur… Et puis, il y a aussi Perrette, ma sœur. Vous savez que Carcagne en est plus féru que jamais. Il ne trouve pas la corvée assommante, lui, pensez donc: il respire le même air que sa belle, il la voit passer quelquefois. Il est aux anges. Pas de danger qu’il oublie l’heure de la garde, lui.

Jehan eut un sourire.

– Vous nichez toujours rue du Bout-du-Monde? demanda-t-il.

– Toujours. À cause de la vue. Du moment qu’on a de quoi payer le loyer, on a eu vite fait la paix avec le propriétaire.

Rassuré de ce côté, Jehan s’en alla, après avoir serré la main de Gringaille, heureux de cette marque d’amitié.

Pendant que le Parisien reprenait sa garde, comme il disait, Jehan se mit en quête de Ravaillac. À l’auberge des Trois-Pigeons, on lui dit que le rousseau était parti en disant qu’il retournait dans son pays.

– Tout est pour le mieux, pensa le jeune homme.

Et il rentra en ville par la porte Saint-Honoré. Il était sombre et préoccupé. Il pensait à ce que lui avait dit Pardaillan au sujet du roi et il se désolait de voir que la fortune, qu’il croyait avoir saisie par son unique cheveu, s’éloignait de plus en plus. Et, par contrecoup, il ne pouvait s’empêcher de penser à cette fortune colossale qui dormait inutile, au pied de l’escalier du gibet de Montmartre.