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La tentation était trop forte. Le valet fit prestement disparaître l’écu tentateur et se retira avec force remerciements.

Jehan saisit incontinent une des bouteilles et se mit en devoir de la déboucher. Une réflexion l’arrêta:

– Non, dit-il tout haut, puisqu’il vient me chercher à une heure, nous la viderons ensemble. C’est bien le moins, ventre-veau!

Il s’en fut rue du Bout-du-Monde voir Escargasse, Gringaille et Carcagne et s’assurer que tout était tranquille chez Perrette la Jolie.

À une heure battant, Pardaillan frappait à sa porte. Tout de suite, le jeune homme le remercia avec effusion de son envoi.

– Je ne vous ai rien envoyé du tout, déclara nettement Pardaillan. Et avec inquiétude: j’espère que vous n’avez pas déjà goûté à ce vin et à ces gâteaux?

– Il n’a tenu qu’à un fil… Je vous attendais pour vider ensemble la première bouteille.

Ils étaient un peu pâles tous les deux. Pardaillan se fit expliquer comment le cadeau suspect était arrivé à destination. Jehan y ajouta le récit de son aventure de la veille. Quand il eut terminé, le chevalier dit simplement:

– Trouvez-vous toujours que j’ai exagéré en parlant d’Acquaviva?

– Non! ventre-veau! C’est donc un démon d’enfer que ce moine scélérat?

– Ceci n’est qu’un commencement, dit froidement Pardaillan. Attendez la suite.

– Oui?… gronda Jehan qui sentait la colère le gagner. Eh bien, c’est ce que nous verrons! En attendant, si ce prêtre papelard me tombe sous la main, je vous réponds qu’il n’aura plus jamais l’occasion de molester personne!

Pardaillan sourit doucement. Sans rien dire, il prit les bouteilles. Il en mit une de côté et alla vider les autres dans les cabinets. Les gâteaux prirent le même chemin. Ceci fait, ils partirent, emportant la bouteille mise de côté. Ils allèrent droit à l’auberge du Grand-Passe-Partout. Le valet qui avait apporté le vin empoisonné était là, vaquant paisiblement à sa besogne accoutumée. Pardaillan le fit appeler.

En apercevant le chevalier avec Jehan, le valet se troubla. Pardaillan nota ce trouble. Tranquillement, il plaça un verre devant l’homme.

Il prit la bouteille qu’il avait apportée, la déboucha et remplit d’abord à ras bord.

– Mon garçon, dit-il ensuite, tu as porté ce matin, de ma part, six bouteilles de vin à M. Jehan le Brave, que voici.

– Oui, monsieur le chevalier, répondit le valet, qui paraissait retrouver son assurance.

– Le vin que je viens de verser, reprit Pardaillan, est le même que celui que tu as porté ce matin. Tu m’entends: le même vin.

– J’entends bien, monsieur, dit le valet avec un calme parfait.

– Bon! maintenant que te voilà averti, j’ajoute: M. Jehan le Brave tient essentiellement à ce que tu goûtes à ton vin.

Et impérieusement, en le fixant:

– Bois!

Le garçon parut un instant étonné. Puis un large sourire fendit sa bouche jusqu’aux oreilles, et sans la moindre hésitation, les yeux brillants de gourmandise, il saisit le verre. Avec une grimace de jubilation, il dit:

– Je bois respectueusement à votre santé, monsieur le chevalier, et à la vôtre, mon gentilhomme!

Ceci dit, il porta délibérément le verre à ses lèvres. Pardaillan et Jehan échangèrent un furtif coup d’œil. Évidemment, le malheureux ignorait qu’il allait absorber la mort. Au moment où les lèvres touchaient le bord du verre, Pardaillan le saisit par le bras et dit doucement:

– Ne bois pas!

– Pourquoi? fit l’autre étonné et déçu.

– Ce vin est empoisonné, dit froidement Pardaillan.

L’homme fut saisi d’un tremblement convulsif; il devint d’une pâleur de cire, ses yeux s’effarèrent. Le verre échappa à sa main et alla se briser sur le parquet. Comme s’il avait eu peur que le liquide mousseux répandu à ses pieds ne le brûlât, il fit un bond en arrière et gémit:

– Ah! le méchant moine!

L’explication fut brève. En l’absence de Pardaillan, un moine avait apporté ces bouteilles, lui avait remis une pistole et ordonné de les porter à Jehan de la part du chevalier empêché. Il avait obéi sans penser à mal.

Quand on lui demanda de dépeindre le moine qui l’avait chargé de cette commission, le valet, comme les deux malandrins, la veille, répondit qu’il n’avait pu le dévisager, parce que son capuchon lui tombait jusque sur le nez.

Fixés sur ce point, Pardaillan et son fils s’en allèrent voir Bertille. Inutile de dire qu’après ce qui venait de se passer, ils prirent les précautions les plus grandes pour dépister les espions au cas, très probable, où ils en auraient eu à leurs trousses. Ils crurent y avoir réussi.

Nous ne dirons pas non plus ce que furent ces quelques heures que les deux amoureux passèrent ensemble. On s’en doute bien un peu. Le soir vint, sans que rien d’anormal se fût produit. Jehan, malgré le conseil de Pardaillan, regagna sa mansarde de la rue de l’Arbre-Sec.

Il défit sa couverture pour se coucher, ainsi qu’il faisait chaque soir. Il bâilla en s’étirant. Dans ce mouvement, la tête rejetée en arrière, ses yeux se portèrent au plafond. Il fit:

– Oh!…

Ce qu’il regardait ainsi, c’était une grosse poutre placée au-dessus de son lit, dans toute sa longueur. Il alla vivement prendre la lampe, monta sur un escabeau et regarda de plus près. Il murmura:

– Bizarre! je n’avais jamais remarqué cette fente. Et pourtant, Dieu sait combien d’heures j’ai passées à rêver, allongé sur ce lit, les yeux fixés sur cette poutre.

Il regarda encore et écouta attentivement. Il crut entendre comme un craquement lent, irrégulier, à peine perceptible. Il descendit précipitamment de son escabeau, saisit son manteau et son épée, souffla la lampe et fila prestement.

Dans la rue, il s’arrêta et leva le nez en l’air. Il entendit un craquement sinistre, un grondement violent, suivis d’un fracas épouvantable, comme si la maison s’était écroulée. Et, à l’endroit où se trouvait sa mansarde, la seconde d’avant, un trou noir, duquel s’échappaient des tourbillons de poussière. Il se dit:

– Diable!… Il était temps!

Il s’enveloppa de son manteau et partit à grands pas, en bougonnant furieusement:

– Ah! mais cela n’est plus de jeu, monsieur Acquaviva!… Ventre-veau! la plaisanterie a assez duré!… Elle devient assommante!

Il était parti au hasard. Il s’arrêta brusquement et se dit:

– Ah! çà, où vais-je aller passer ma nuit? Il réfléchit un instant et décida:

– Allons demander l’hospitalité à Gringaille.

Et il s’engagea dans la rue Montmartre et parvint à la rue du Bout-du-Monde sans qu’il lui fût rien arrivé de fâcheux. Tout le long du chemin, il s’était attendu à chaque instant à être assailli. Il passa la nuit sur la paille, aux côtés de ses trois compagnons. Cela ne l’empêcha pas de ne faire qu’un somme jusqu’au jour.

Vers les neuf heures du matin, il quitta ses compagnons. La maison où il venait de passer la nuit était présentement entourée d’un échafaudage. La porte d’entrée se trouvait sous cet échafaudage. Cela constituait comme une espèce de pont au-dessus de cette porte.