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Le Béarnais roublard avait trouvé ce stratagème pour mettre un frein à la rapacité des nombreuses maîtresses qu’il entretenait.

Marie de Médicis fut vite rassurée, car le roi, redevenu aimable, lui dit:

– À Dieu ne plaise, ma mie, que je vous empêche de participer à une œuvre aussi édifiante et qui ne peut, en effet, qu’attirer sur nous les bénédictions du ciel. M. de Sully vous remettra donc la somme que vous demandez. Seulement, j’y mets une petite condition.

– Laquelle, Sire?

– Cette œuvre me paraît si vénérable que je veux faire plus et mieux que donner mon obole. Je me réserve de faire surveiller et, au besoin, diriger les travaux qui vont être entrepris. Dites-le, je vous prie, de ma part, à Mme de Montmartre.

Marie de Médicis ne pouvait soupçonner qu’Henri IV avait une arrière-pensée. Elle le crut de bonne foi. Trop heureuse d’en être quitte à si bon compte, elle se hâta de dire:

– Le roi est le maître! Partout et toujours.

Elle sortit et courut porter la bonne nouvelle à Léonora et à Concini qui la poussaient.

Ni Concini ni sa femme ne se doutèrent qu’ils allaient se trouver aux prises avec le roi et Acquaviva et que ni l’un ni l’autre de ces redoutables compétiteurs ne les laisserait s’approprier le trésor convoité, le trésor qu’ils croyaient déjà tenir.

XXXVI

Ce même jour, à l’heure du dîner, Jehan le Brave avait emmené Carcagne, Escargasse et Gringaille au cabaret. Il voulait leur offrir un dîner qui, dans son esprit, était un dîner d’adieu.

Malgré les manières rudes qu’il affectait à leur égard, l’affection qu’il leur portait était réelle. Ce n’était pas sans un secret déchirement qu’il s’était résigné à se séparer d’eux.

Les trois ignoraient l’intention de leur chef. En conséquence, ils se livrèrent à la bombance et à la joie, sans contrainte et sans arrière-pensée. Jehan, pour ne pas les attrister, s’efforça de se montrer gai et insouciant.

Lorsque, le repas terminé, ils se trouvèrent dans la rue, les trois braves étaient fortement éméchés. Jehan, qui s’était montré plus sobre, avait tout son sang-froid. Avec une émotion qu’il ne parvint pas à maîtriser, il leur dit alors:

– Mes braves compagnons, nous ne pouvons plus vivre ensemble de notre vie d’autrefois. Il faut nous séparer. Tirez à droite, moi je vais à gauche… et que Dieu vous garde!

Et il voulut s’éloigner. Mais les trois, comme s’il n’avait rien dit, demandèrent:

– Les ordres, chef?

Ils n’avaient pas compris. Cependant leur gaieté était tombée. Ils pressentaient que quelque chose de grave et de douloureux allait se décider. Jehan ne voulut pas les quitter sur un malentendu. Il dit avec douceur:

– Je n’ai plus d’ordres à vous donner. Je ne suis plus votre chef. Comprenez-vous?… C’est fini entre nous. Il faut nous dire adieu et pour toujours.

Ils se regardèrent effarés. Ils étaient livides. Leur commencement d’ivresse était tombé d’un coup. Et brusquement, ils éclatèrent en accents douloureux:

– Alors, vous nous chassez?

– Qu’est-ce que nous avons fait?

– Que voulez-vous que nous fassions sans vous?

– – Je ne vous chasse pas, reprit Jehan avec la même douceur. Je n’ai rien à vous reprocher… Mais il faut nous séparer quand même.

Maintenant, ils comprenaient. Après la douleur, ce fut l’indignation et, pour la première fois, la révolte:

– Pourquoi nous séparer? Cornes de Dieu! rugit Gringaille. Quand on condamne les gens, on leur dit au moins pourquoi!

– C’est vrai! appuyèrent les deux autres, pourquoi?

– Parce qu’avec le nouveau genre d’existence que j’ai résolu d’adopter, si vous restiez avec moi, vous risqueriez fort de crever de faim.

Ils se regardèrent, ébahis. De nouveau, ils ne comprenaient plus. L’un après l’autre, ils demandèrent:

– Pourquoi crèverions-nous de faim?

– N’avons-nous pas toujours ceci?

Ils frappaient sur la poignée de la rapière.

– Et ne trouverons-nous pas toujours de ceux-là?

Il montrait un bourgeois et faisait le geste de dévaliser.

– Justement, dit vivement Jehan, c’est ceci que je ne veux plus faire. Ceci s’appelle: voler.

– Voler!…

L’exclamation jaillit des trois bouches en même temps. Maintenant l’inquiétude se lisait sur leurs visages et ils avaient des airs de dire: «Il est malade!»

Et Jehan qui les comprit, s’écria avec violence:

– Oui, vous ne comprenez pas!… Comme vous, j’ai longtemps cru qu’il était juste et légitime de prélever sur le riche la part du pauvre. Je sais que j’ai été un voleur!… oui, un voleur, moi!… Et je sens le rouge de la honte me monter au front à cette pensée… et, plutôt que de recommencer, j’aimerais mieux me couper le poignet et le jeter aux chiens!…

C’était sérieux, hélas! Ils le comprirent cette fois. Et ils s’effarèrent. Ce diable d’homme avait toujours des idées bizarres, auxquelles ils ne comprenaient rien.

Ils se consultèrent du coin de l’œil. Ils se virent d’accord. Puisque c’était son idée, ils feraient ce qu’il voudrait. Ils se feraient honnêtes, ils se changeraient en petits saints, ils claqueraient du bec avec lui. Enfin, il commandait: ils obéiraient. C’était très simple. Et ils le dirent simplement.

Jehan fut touché de leur insistance et de leur soumission. Mais il se faisait un scrupule de leur imposer sa misère.

Sans lui, les pauvres diables, dénués de scrupules, se tireraient toujours d’affaire. Il le leur fit remarquer loyalement.

– Bon! dit Gringaille avec insouciance, mourir de ceci ou de cela, il faut y passer quand même!…

Et avec une gravité soudaine:

– Quant à moi, si vous persistez à nous chasser, je vous donne ma parole que je vais de ce pas me jeter du haut du Pont-Neuf, la tête la première.

– Et moi, de même! firent les deux autres d’une même voix. Jehan s’était déclaré vaincu.

Il avait été convenu qu’ils continueraient comme par le passé à venir prendre ses ordres tous les jours. Ils étaient à lui corps et âme, plus que jamais. Et en attendant qu’il eût fait fortune – ce qui ne pouvait tarder – ils assureraient eux-mêmes leur pitance. Honnêtement, bien entendu. C’était juré.

D’ailleurs, pour l’instant, ils étaient riches des libéralités de Concini. Bien nippés, bien équipés, un logis confortable, de l’or et des bijoux en poche. C’était plus qu’il n’en fallait pour attendre la fortune.

Jehan ne se séparait d’eux que parce qu’il lui était impossible de les entretenir. Rassuré sur leur sort, il s’en alla bien tranquille, content, au fond, qu’il n’y eût rien de changé, bien résolu à les prendre à sa charge dès qu’il le pourrait.

Escargasse, Gringaille et Carcagne demeurèrent dans la rue, le regardant s’éloigner d’un œil mélancolique. Quand ils ne le virent plus, ils se regardèrent avec des mines graves. C’est que la situation leur paraissait telle. D’un commun accord, ils se dirigèrent vers leur logis; ils éprouvaient le besoin de se concerter.