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– Je te dirai cela demain, Saêtta. Pour l’instant, sache qu’un homme à moi, Saint-Julien, s’occupe du bravache et de sa péronnelle. Demain, Saint-Julien me rendra compte de ce qu’il a fait. Et s’il a exécuté intelligemment mes ordres, comme j’ai tout lieu de le croire, je tiendrai les deux amoureux.

Jusque-là, tout marchait au gré de Saêtta qui exultait. Mais Léonora ajouta:

– La vengeance que je compte tirer d’eux est telle que ce que tu as rêvé, toi, Saêtta, te paraîtra puéril et bénin à côté de ce que je leur réserve.

Or, Léonora Galigaï, en prononçant ces paroles, commettait une faute énorme qu’elle n’aurait pas commise, si elle s’était donné la peine d’étudier l’état d’âme de son confident.

Depuis le jour où il s’était emparé du fils de Pardaillan, c’est-à-dire depuis dix-huit ans, Saêtta rêvait de faire finir cet enfant sur un échafaud, comme était morte sa fille. À la longue, cela était devenu une idée fixe, une manie, une folie spéciale. Il ne concevait pas sa vengeance autrement. Au point que nous venons de l’entendre dire qu’il avait failli se suicider parce que le fils de Pardaillan était mort autrement qu’il n’avait décidé.

Léonora Galigaï avait une confiance absolue en Saêtta. On a pu s’en rendre compte par les confidences que nous l’avons entendue lui faire. Cette confiance, d’ailleurs, était pleinement justifiée. Le bravo se fût fait hacher plutôt que de la trahir.

Cependant, nous avons vu qu’il n’avait pas hésité à aller trouver le ministre Sully et à le mettre sur la piste des millions convoités par les Concini. Compétition redoutable qui pouvait être fatale à sa maîtresse.

Il n’avait pas hésité, parce qu’il craignait que Concini ne frappât Jehan le Brave d’une manière autre que celle qu’il rêvait.

Ceci était singulièrement significatif et aurait donné fort à réfléchir à Léonora si elle l’avait su. Et voici que maintenant elle s’avisait de heurter le maniaque dans sa manie, à laquelle il tenait plus qu’à la vie. Ceci était terriblement dangereux et pouvait faire crouler toutes ses combinaisons laborieusement échafaudées.

En l’écoutant, Saêtta avait eu un froncement de sourcils inquiétant. Il fut sur le point de protester violemment. Une idée subite l’arrêta et il eut une sorte de grondement farouche qui pouvait être interprété comme on voulait. Naturellement, Léonora le considéra comme une approbation. Elle demeura un moment rêveuse et reprit pour elle-même, oubliant Saêtta:

– Qui aurait cru que cette fille que Concini convoite si ardemment et que ce truand défend si âprement est la propre fille du roi?… Qui sait, ce Jehan savait peut-être la vérité, lui? Ce prétendu amour qu’il affiche n’est peut-être qu’un calcul d’ambitieux?… Qui sait s’il n’y a pas quelque chose à tirer de ce secret?

Et elle se replongea dans une effroyable méditation.

Saêtta avait entendu. Et lui aussi, il réfléchissait profondément.

– Signora, fit-il au bout d’un instant, il me semble que grâce à cette jeune fille, qui est la fille du roi, à ce que vous venez de dire, on pourrait faire d’une pierre deux coups.

– Comment cela? demanda Léonora attentive.

– Je ne sais pas trop bien encore… je cherche… Vous dites que demain cette jeune fille sera entre vos mains… si Saint-Julien exécute bien vos ordres.

Léonora fit signe que oui de la tête.

– Eh bien, reprit Saêtta, on pourrait, par exemple, la conduire dans un endroit écarté… aux environs de Paris. Maintenant… oui, tenez, les choses se précisent dans mon esprit. Écoutez: le roi s’intéresse à cette jeune fille. C’est indéniable, nous le savons bien. D’autre part, il ne tient pas à ce qu’on sache la vérité… puisqu’il s’est caché pour aller la voir.

– Le roi, interrompit Léonora, ne veut pas faire connaître qu’il est le père de cette enfant. Ceci me paraît certain. Quant à dire qu’il s’intéresse à elle… il ne le prouve guère. Car enfin, elle a disparu pendant tout un mois et il ne s’en est pas inquiété.

– Parce que la jeune fille n’a pas eu recours à lui. Mais si elle s’était adressée à lui, si elle lui avait fait connaître qu’elle était séquestrée, violentée, croyez-vous que le roi n’aurait pas cherché à lui venir en aide?

– Peut-être! fit Léonora rêveuse. Où veux-tu en venir?

– À ceci: la jeune fille est enfermée dans une maison à trouver aux environs de Paris. Elle avise le roi, son père. Elle l’appelle à son secours.

– Rien ne dit qu’elle le fera.

– Elle le fera signora, dit froidement Saêtta. Ou si vous aimez mieux, nous le ferons pour elle.

– Je commence à comprendre.

– La jeune fille appelle donc son père à son secours. Il n’osera plus se dérober. Comme il ne veut pas faire connaître cette paternité, comme il adore ces aventures relevées par une pointe de mystère et de danger, il n’hésitera pas. Il répondra à l’appel de sa fille, mais en prenant des précautions, en se cachant, pour tout dire. Donc pas d’escorte – c’est l’essentiel, notez bien -, un ou deux de ses confidents intimes l’accompagneront et c’est tout. Croyez-vous qu’il en sera ainsi?

– C’est probable.

– Eh bien, signora, triompha Saêtta, supposez qu’on avise Jehan le Brave de façon à ce qu’il arrive sur les lieux en même temps que le roi. Supposez qu’un malheur arrive au roi. Ces choses-là sont possibles, surtout si on sait s’arranger pour aider le hasard. Nous arrivons, nous, juste à point pour cueillir Jehan et le charger du meurtre du roi. Son compte est bon!… Vous êtes arrivée à vos fins… et moi aux miennes! Qu’en dites-vous, signora?

– Je ne dis ni oui ni non, dit froidement Léonora. Attendons à demain. Maintenant, va, Saêtta. Je n’ai pas besoin de te dire qu’il importe essentiellement que Concini ignore mes projets… Nous n’avons pas du tout les mêmes vues à ce sujet.

Saêtta s’inclina silencieusement et sortit. Il était sombre et mécontent. Il lui semblait que Léonora avait un plan bien arrêté dont elle ne voulait pas se départir. Et dans ce plan il n’entrait pas de faire monter Jehan sur l’échafaud.

Il passa le reste de la nuit à méditer, dans son taudis. Un combat violent se livrait en lui. Il se trouvait acculé à une action qui lui répugnait. Il voyait bien qu’il n’avait pas d’autre issue pour arriver à ses fins, comme il disait, et cependant il hésitait.

Le jour vint. Sa résolution enfin prise, ses hésitations et ses scrupules balayés, il ceignit sa rapière et sortit.

Il s’en fut droit rue Saint-Honoré, chez Concini. Mais ce ne fut pas auprès de Léonora qu’il pénétra. Ce fut auprès de Concini lui-même. Il y demeura un quart d’heure environ. Quand il en sortit, il paraissait très satisfait.

LXVI

Les scènes que nous retraçons se déroulent à peu près simultanément. C’est ce qui nous met dans l’obligation d’aller de l’un à l’autre de nos personnages.

Lorsque Acquaviva eut disparu, Jehan le Brave s’éloigna à grandes enjambées. Nous savons qu’il n’était pas facile à impressionner. Cependant le ton du moine était tel qu’il avait senti un froid le saisir à la nuque.

– Diable! se disait-il, m’est avis que j’aurais mieux fait de laisser ces truands expédier proprement ce moine confit en douceur et qui me paraît pratiquer la reconnaissance d’une singulière façon! Oui, mais moi, j’aurais ainsi été complice d’un assassinat. Fi donc!… Il n’en est pas moins vrai que je suis loin d’en avoir fini avec lui. Et peut-être ne serai-je pas toujours servi par la chance, comme je l’ai été jusqu’à ce jour. Bah! arrive qu’arrive, nous verrons bien! Mais pourquoi diable me veut-il la malemort? Il sait bien que je ne m’abaisserai pas à le dénoncer. Il le sait si bien qu’il n’a pas hésité à me faire connaître sa demeure!… Hum! au bout du compte, est-ce bien sa demeure? Qui me dit qu’il n’aura pas déguerpi demain matin? N’importe, je ne le connais pas, je ne lui ai rien fait, et il veut ma mort. Pourquoi? Il y a quelque chose là-dessous… Mais quoi?