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En route, ils réfléchirent que la discussion donne soif. Ils achetèrent une petite cruche qui ne contenait guère plus de six pintes de certain petit clairet des environs de Paris. C’était un vin qui avait un petit goût de pierre à fusil et vous râpait la langue, pour lequel ils avaient un faible prononcé. La petite quantité de liquide qu’ils emportaient prouvait bien qu’ils étaient résolus à discuter sérieusement.

L’un d’eux fit remarquer, très judicieusement, que boire sans manger est souverainement mauvais pour l’estomac. Les autres furent de cet avis. En conséquence, ils complétèrent leurs emplettes. Carcagne prit une oie qui lui parut agréablement juteuse. Escargasse jeta son dévolu sur certain quartier de porc piqué d’ail, de mine fort appétissante. Gringaille s’empara d’un joli jambonneau auquel il adjoignit un saucisson convenablement fumé.

Ils s’aperçurent alors que, pour un en-cas, c’était un peu trop. Pour un souper, au contraire, c’était un peu maigre. Ils n’hésitèrent pas: ils ajoutèrent un respectable pâté de bécasse, plus quelques tranches de venaison. Bien entendu, ils n’oublièrent pas une demi-douzaine de chapelets de pain tendre, bien croustillant et doré.

Pour compléter le tout, ils ajoutèrent trois flacons de vouvray, le vin préféré de messire Jehan. Naturellement, pour accompagner dignement le vouvray, il fallut ajouter un petit flan, plus quelques menues pâtisseries sans conséquence.

Chargés comme des baudets, ils se hâtèrent vers leur logis. Ils habitaient rue du Bout-du-Monde. Cette rue touchait aux remparts et allait depuis la porte Montmartre, jusqu’à la rue Montorgueil. Comme de juste, ils logeaient sous les combles.

Ce logis, qu’ils disaient des plus confortables, était un misérable taudis. Le mobilier se composait d’un grand coffre qu’ils laissaient au milieu de la pièce parce qu’ainsi il leur servait de table. Il y avait un banc en bois de pin et deux escabeaux dont l’un était amputé d’une jambe.

Dans un coin, trois paillasses étaient posées côte à côte, à terre. Elles étaient munies de couvertures, mais les draps brillaient par leur absence. Il y avait une grande cheminée. Elle était bien étonnée quand, par hasard, on y faisait du feu.

Enfin, et ceci c’était la merveille, il y avait deux lucarnes qui donnaient sur les derrières. Ce qui fait que, du haut de leur perchoir, ils découvraient des vergers, les remparts gazonnés et les fossés, le long desquels s’étendaient des jardins, des guinguettes, des jeux. Un peu plus loin, ils voyaient la Villeneuve-sur -Gravois [2], dont une partie (celle qui avoisinait la porte Saint-Denis) était alors couverte des ruines occasionnées par l’artillerie du roi, lorsqu’il assiégeait sa bonne ville. Puis des marais, des vergers, des champs, des moulins, dont les ailes tournaient joyeusement. La campagne enfin, et la campagne présentement fleurie et embaumée. Tout un merveilleux panorama des environs du Paris d’alors dont, si fruste que fût leur nature, ils ne pouvaient pas ne pas sentir la beauté.

Chez eux, ils étalèrent leurs provisions sur le coffre-table. Il n’y avait guère plus de deux heures qu’ils avaient dîné. Mais ils venaient de subir une des plus rudes émotions de leur vie. Et on sait que les émotions ont le don de creuser. Il leur semblait que leur estomac était creusé à un tel point que jamais ils ne parviendraient à combler le trou. Ils s’installèrent et attaquèrent les victuailles, comme s’ils eussent été à jeun depuis la veille. En même temps, ils tinrent conseil.

De leurs observations réunies, ils tirèrent cette conclusion que Jehan devait être bien malade. Carcagne, qui avait failli se faire moine et qui avait de l’instruction, alla même jusqu’à dire qu’il le croyait possédé de quelque méchant démon qui s’acharnait à le persécuter. À son avis, quelques bonnes messes, dites à propos, suffiraient à expulser le démon. Ceci leur parut tellement évident, à tous trois, que, séance tenante, ils prélevèrent les fonds nécessaires aux messes.

– Et quant à nous, n’avons-nous pas toujours été d’honnêtes garçons, tripes du pape?

– À preuve: quelqu’un s’est-il jamais avisé de dire devant nous que nous étions des voleurs?… Non, n’est-ce pas?… Alors?…

– Oui, mais, c’est son idée… Alors!…

Il est à noter que la pensée ne leur vint pas de se dérober aux exigences de leur chef et de continuer leur genre d’existence habituel. Ils avaient promis. Ils se fussent crus déshonorés en manquant à leur parole. C’est très sincèrement qu’ils dressaient des plans pour devenir honnêtes, puisque Jehan le voulait ainsi.

Ceci les amena tout naturellement à faire le compte de leur fortune. Ils trouvèrent qu’ils possédaient environ quatre cents livres. Somme considérable.

Ce n’était pas tout. Ils avaient des bijoux qu’ils avaient soutirés à Concini. Ils allèrent les vendre. Ils en tirèrent la somme de deux mille huit cents livres qui, jointes aux quatre cents, faisaient trois mille deux cents livres. De quoi vivre largement toute une année. Mais…

Gringaille avait une sœur: Perrette la Jolie, dont nous lui avons entendu parler. Perrette allait maintenant sur ses dix-sept ans. Elle méritait grandement son surnom, car elle était en effet idéalement jolie. Fille d’une ribaude et d’un truand, élevée Dieu sait comme, cette étrange fille ne s’était-elle pas avisée de demeurer honnête et de vivre péniblement de son travail?

Frêle et délicate, elle s’était astreinte au dur labeur de lavandière. Avec un courage rare, une volonté extraordinaire, elle s’était gardée chaste, pure de toute souillure, sage, comme ne l’étaient pas bien des filles de bonne bourgeoisie. On ne lui connaissait même pas d’amoureux.

Elle en avait un cependant: c’était Carcagne, qui était profondément et sincèrement épris de la jeune fille. Carcagne était un truand, un mauvais garçon, un spadassin, un bravo, un bandit, enfin. Que pensez-vous que fit ce bandit amoureux? Il s’en alla trouver Gringaille, lequel, à tout prendre, était le chef de famille et bonnement, honnêtement, il lui demanda la main de sa sœur. Nous vous avions bien dit que Carcagne était un simple. Vous voyez bien que nous n’avions pas menti.

Gringaille transmit la demande de son ami en l’appuyant de toute son autorité. À sa grande stupeur et au grand désespoir de Carcagne. Perrette avait catégoriquement refusé le parti qui se présentait. Elle ne se sentait aucun goût pour le mariage, dit-elle. Sans se décourager, Gringaille était revenu à la charge avec acharnement. De guerre lasse, Perrette avait fini par dire qu’elle verrait plus tard, dans quelques années.

Force avait été à l’amoureux de se contenter de cette vague promesse. Dans son for intérieur, tant les amoureux sont tenaces, il se considérait comme le fiancé de la jeune fille. Il s’avançait peut-être beaucoup.

D’ailleurs, si réel et si profond que fût cet amour, il n’empêchait nullement Carcagne de bien boire, bien manger, bien dormir, de mener en somme une existence assez dissolue. Il pensait qu’il serait temps de se ranger et d’être fidèle quand il serait uni en justes et légitimes noces. Avait-il tort ou raison? Ceci n’est pas notre affaire.

Quoi qu’il en soit, lorsqu’ils se virent à la tête d’une petite fortune, Carcagne se souvint à propos que Perrette était trop faible et délicate pour continuer son métier de lavandière. Son rêve était de posséder mille livres avec quoi elle s’établirait, prendrait quelques ouvrières et se réserverait le lissage de la fine lingerie des nobles dames. C’était là un travail plus délicat, plus en rapport avec ses forces physiques et auquel elle excellait.

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[2] Aujourd'hui quartier et boulevard Bonne-Nouvelle. (Note de M. Zévaco.)