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Tout en monologuant de la sorte, il était parvenu à la porte Montmartre. Il fit appeler le sergent de garde, lui montra discrètement l’insigne remis par Acquaviva et prononça le mot: «Ruilly».

Jusque-là, il n’était pas bien sûr que le moine n’avait pas voulu se gausser de lui. Il dut bien reconnaître qu’il s’était trompé en voyant le sergent ouvrir le guichet lui-même et lui témoigner un respect dont il fut tout éberlué.

Dans la carrière abandonnée, où il ne pénétra qu’après maints détours, il avança à tâtons avec d’infinies précautions, sondant le sol à chaque pas, s’attendant à tout moment à se heurter à quelque obstacle mortel. Il ne respira vraiment que lorsque la porte secrète franchie, il se trouva dans le souterrain qui aboutissait à la grotte. Là il se sentait en sûreté.

Parvenu dans cette grotte, il alluma une torche et s’assit sur un coffre. Il resta là longtemps à rêver. Il avait rempli une bouteille à l’un des tonneaux et il la vida à petits coups sans s’en apercevoir. Il se leva et se mit à marcher de long en large. Il passait et repassait ainsi devant l’entrée du couloir qui aboutissait au caveau… le caveau et son escalier sous lequel se trouvaient des millions. Et chaque fois, il jetait un coup d’œil de ce côté. Mais il n’y entrait pas…

Brusquement, il s’arrêta devant cette entrée et avec un mouvement d’épaules furieux, il mâchonna:

– Pourquoi n’irais-je pas?… Je ne vois pas quel mal je ferais!…, Il saisit la torche et pénétra dans le caveau. Il s’arrêta devant l’escalier et le contempla longuement, sans bouger. Il s’accroupit et se mit à étudier de près la première marche en murmurant:

– C’est là-dessous que sont les millions… si les indications que j’ai eues en main sont exactes.

Il jeta les yeux autour de lui et il eut un sursaut. Dans un coin, à côté de l’escalier, se trouvaient divers outils pêle-mêle. Et au premier rang, tirant l’œil, une pelle et une pioche.

– C’est bizarre, dit-il tout haut, je n’avais pas remarqué ces outils!

Il prit la pelle et la pioche et les examina. Elles étaient en fort bon état. Seulement, les fers étaient couverts d’une épaisse couche de rouille. Évidemment ces outils devaient se trouver là depuis un long temps, des années peut-être. Il réfléchit:

– Pardieu! j’étais préoccupé, j’avais vraiment autre chose à faire à ce moment-là… Rien d’extraordinaire à ce que je n’aie pas remarqué ces outils. Après l’explosion, je suis revenu ici. J’ai trouvé le maudit papier et sa lecture m’a troublé. Depuis je n’ai plus remis les pieds ici. D’ailleurs, quelle apparence que quelqu’un se soit introduit ici?…

Cependant, le soupçon était entré dans son esprit. La torche à la main, il étudia le sol de tout près. Et il se redressa, rassuré, en disant:

– Le sol n’a pas été fouillé depuis fort longtemps, c’est visible. Les idées mauvaises qui me hantent m’affolent et me font divaguer.

Il quitta le caveau, s’enroula dans son manteau, éteignit la torche et se coucha sur la paille. Il dormit très mal, d’un sommeil haché, coupé de réveils en sursauts, peuplé de cauchemars hideux.

Au matin, la tête lourde, les membres brisés, au lieu de s’éloigner vivement comme il avait fait la veille, il demeura encore un moment à rêver. Brusquement, sa résolution fut prise. Il se leva, alluma la torche et se dirigea résolument vers le caveau, en disant:

– Il faut que je voie!… Je serai plus tranquille après… Et puis, qui sait?… Il n’y a peut-être rien du tout.

Il était un peu pâle. Il serrait les dents à les briser et il jetait autour de lui des regards inquiets. Il saisit la pioche et il eut une dernière hésitation. Il se secoua furieusement comme pour jeter bas le lourd fardeau de vains scrupules et il attaqua le sol.

Il y avait plus d’une heure qu’il travaillait avec acharnement et il était en nage. De temps en temps, il s’arrêtait pour souffler et avalait une lampée de vin. Il commençait à croire que ce fameux trésor n’était qu’un leurre. En effet, la fosse était profonde d’une bonne demi-toise et il ne trouvait rien que de la terre qu’il entassait méthodiquement de chaque côté.

Tout à coup, le fer de la pioche heurta un corps dur. Il fouilla plus loin, à différents endroits, et il rencontra partout la même résistance.

– C’est la dalle! se dit-il.

Et il se remit à l’œuvre avec plus d’ardeur. Bientôt la dalle se trouva complètement dégagée. Il fallut la desceller. Il se trouva devant un trou noir. Il prit la torche et la plongea dans le trou noir. Il vit un tout petit caveau en bonne et solide maçonnerie. Il jeta les outils dedans et, la torche à la main, se laissa glisser. Sa tête dépassait le trou et il dut se baisser.

– Le cercueil! dit-il tout haut.

En effet, un cercueil en cœur de chêne occupait tout un côté du minuscule caveau, il n’y avait pas autre chose là-dedans. Il l’examina de près. Il ne paraissait pas trop détérioré. Avec la pointe de la pioche, il se mit en devoir de faire sauter le couvercle. Une réflexion l’arrêta.

– Il n’y a peut-être qu’un squelette là-dedans!

Il eut un long frisson. Il était brave, certes, on le sait du reste. Mais ce qu’il allait faire lui apparaissait comme une odieuse profanation.

Puis, il faut bien le dire, puisqu’il en était ainsi, sa pensée de derrière la tête, qu’il n’osait pas s’avouer tant il en avait honte, cette pensée était de s’approprier les millions qui gisaient là. Et naturellement, il éprouvait l’inexprimable malaise de l’homme qui sait qu’il commet une abominable action.

Joignez à cela le décor: ce caveau sinistre, où il était obligé de se tenir courbé, ces murs couverts de salpêtre, ces dalles qui résonnaient lugubrement à chacun de ses pas, ce cercueil à demi pourri, tout cela à la lueur rougeâtre et vacillante de la torche fumeuse paraissait plus sinistre encore, prenait des aspects mystérieux et menaçants. Par là-dessus, la conscience qui hurle et proteste. C’était plus qu’il n’en fallait pour exaspérer les nerfs, débrider l’imagination. La sienne se mit incontinent à peupler les lieux de visions fantastiques, de spectres et de fantômes.

Malgré tout son courage, Jehan sentit ses cheveux se hérisser, ses oreilles s’emplir de bourdonnements confus. Puis ces bourdonnements devinrent des clameurs de mépris. Il lui semblait que des milliers de voix hurlaient un seul mot, toujours le même: «Voleur!… Voleur!…»

Il s’était accroupi devant le cercueil, cette impression devint si forte qu’il leva la tête pour voir d’où venaient ces voix qui lui reprochaient son infamie avant qu’elle ne fût accomplie.

Il leva la tête et en même temps la torche aussi et il demeura pétrifié, livide, hagard, muet, les yeux rivés à la voûte du caveau. Car il voyait là, penché sur le trou démasqué par la dalle, une tête qui l’observait avec des yeux réprobateurs et tristes… si tristes qu’il sentit un sanglot lui déchirer la gorge et ses yeux, à lui, s’embuer de larmes qui le brûlaient comme du plomb fondu. Et il rugit dans sa pensée: