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Saint-Julien s’en fut droit à l’abbaye. Il n’y était sans doute pas attendu, car, malgré l’heure matinale, il fut admis séance tenante auprès de l’abbesse, Marie de Beauvilliers.

Lorsqu’il en sortit, il était en compagnie du bailli de l’abbesse, lequel était escorté de six gaillards, salade en tête, épée au côté, pique à la main. Et cela représentait tout à la fois, la justice, la police et la force armée des religieuses.

Saint-Julien laissa le bailli et ses six gardes à la chapelle, au bas de la butte. En revanche, il y trouva une dizaine de chenapans en tout pareils à ceux qui étaient restés à l’affût devant l’entrée de la carrière.

C’étaient ses hommes à lui, spécialement engagés pour cette expédition. Des hommes que ne connaissait pas Concini, cela va sans dire.

Il emmena sa troupe jusqu’à la maison de Perrette la Jolie et posta ses hommes en différents endroits qu’il avait préalablement repérés. Ces préparatifs étaient terminés avant l’heure de l’ouverture des portes de la ville.

Lorsque ces portes s’ouvrirent, Gringaille et Escargasse sortirent par la porte Montmartre, voisine de leur taudis. Ils allaient garder les deux jeunes filles, ainsi qu’ils faisaient chaque jour.

Dans le faubourg, parvenu à hauteur de la Grange-Batelière, Escargasse se sépara de Gringaille. À travers des terrains vagues et des marais, il se dirigea vers l’enclos de cette Grange-Batelière qui se trouvait un peu avant et sur les derrières de la maison de Perrette, laquelle avait de ce côté une porte dérobée.

L’égout coulait à découvert le long du mur de cette maison.

Des planches jetées de loin en loin sur cet égout établissaient la communication entre les terrains et les maisons situées au pied de la butte.

Escargasse venait garder la porte de derrière, par où Jehan et Pardaillan pénétraient quand ils venaient voir les deux jeunes filles. Gringaille allait garder celle de devant.

Escargasse allait dépasser le mur de clôture de la Grange-Batelière. À ce moment, il trébucha dans un obstacle dissimulé dans l’herbe. Il s’étala tout du long, non sans proférer force jurons. Il n’eut pas le temps de se relever. Quatre gaillards bondirent de derrière le mur et tombèrent sur lui comme la foudre. En un clin d’œil, il fut saisi, ficelé des pieds à la tête, bâillonné, emporté au pas de course et déposé dans un réduit obscur attenant à la chapelle du Martyr.

Dix minutes plus tard, comme il se livrait à des réflexions qui n’étaient pas précisément folâtres, on jeta près de lui, sans ménagement, un autre colis humain, aussi convenablement ligoté et bâillonné que lui-même. C’était Gringaille qui avait eu le même sort que son compagnon.

Saint-Julien, infatigable, après le double enlèvement si dextrement et si heureusement réussi, reprit ses jambes à son cou, laissant la maison étroitement assiégée par ses dix gaillards invisibles. Il retourna à la carrière.

Le même homme auquel il avait eu déjà affaire se dressa de nouveau devant lui. Comme la première fois, Saint-Julien interrogea:

– Eh bien?

– Rien encore, répondit laconiquement l’homme.

– Diable! gronda Saint-Julien, est-ce qu’il nous échapperait?

– Patience, mon gentilhomme, il faudra bien qu’il sorte!

– Êtes-vous sûr qu’il n’y a pas d’autre issue à cette carrière?

– Dame, depuis des années et des années que les travaux sont abandonnés, personne aujourd’hui n’est à même de dire jusqu’où et dans quelle direction les galeries souterraines ont été poussées. Les vieux qui y ont travaillé autrefois et qui pourraient nous renseigner sont tous morts. Cependant, je n’ai jamais entendu dire qu’il y eût une entrée autre que celle-ci.

– Attendons, décida Saint-Julien assombri.

Guidé par l’homme, il alla lui aussi se terrer dans un trou. Pardaillan lui-même passant par là n’aurait pas été capable d’éventer les six hommes qui maintenant gardaient l’entrée.

Ici, il nous faut revenir à Jehan le Brave que nous avons laissé un instant puisant d’une main avide dans le tas de pierreries et, par contrecoup, à Pardaillan qui se disposait à le prendre sur le fait.

Jehan contempla d’un air hagard sa main pleine des prestigieux cailloux. Il eut ce geste machinal de voleur qui cherche où il pourra cacher le produit de son larcin. Et brusquement, en un mouvement d’une violence inouïe, il rejeta les pierres dans le compartiment où il les avait prises, en disant:

– Eh bien, non, je ne ferai pas cela!

Pardaillan avait déjà passé une jambe dans le trou. En entendant ces mots, il la retira doucement et se rencogna derrière le tas de terre. Sa physionomie glaciale redevint pétillante et il murmura:

– Je me disais aussi: il n’est pas possible que je me sois si grossièrement trompé sur son compte. Mais mordieu! voilà une chaude alerte! De ma vie, je crois, je n’éprouvai émotion pareille!

Jehan reprenait d’une voix lente se parlant à lui-même:

– Autrefois, il m’est arrivé de détrousser le passant attardé… J’avais une excuse: je ne savais pas. On m’avait dit: c’est la reprise de celui qui n’a rien sur celui qui possède trop. Et je l’avais cru parce que tout le monde autour de moi pensait ainsi et agissait en conséquence. Aujourd’hui, je sais. Bertille m’a dessillé les yeux. M. de Pardaillan a exalté devant moi les sentiments nobles et généreux, et devant la bienveillante amitié qu’il me témoignait, il m’est arrivé de rougir en pensant à ce que j’avais été. Si je commettais cette abominable action, je n’oserais plus serrer sa loyale main. Je n’oserais pas regarder en face celle que j’aime et qui est tout pour moi. À quoi me servirait d’être riche, puisque j’aurais empoisonné mon existence? Mieux vaut cent fois la pauvreté, la misère même, avec l’estime et l’affection des deux seuls êtres que j’aime.

Pardaillan approuvait énergiquement de la tête, et ses yeux, dans l’ombre, pétillaient plus que jamais, et son sourire malicieux se nuançait d’une pointe d’attendrissement, car il songeait:

«Dieu me damne, il tient autant à mon amitié et à mon estime qu’à l’estime et à l’amour de sa fiancée!… C’est curieux! Il ne soupçonne pourtant pas que je suis son père!»

Décidément, Pardaillan était indécrottable. Toute sa vie, il devait s’ignorer.

Maintenant, le remords et la honte se traduisaient chez Jehan par un accès de colère furieuse contre lui-même.

– Je mériterais qu’on réduisît en bouillie informe ce cerveau qui a osé concevoir cette pensée infâme!… Le bourreau devrait brûler à petit feu cette main qui a esquissé le geste ignoble!…

Pardaillan, qui avait retrouvé toute sa gaieté, railla dans son esprit: «Belle idée, ma foi! C’est pour le coup que tu serais bien empêché de serrer la «loyale main» que voici!»

– Je mérite une punition terrible et me l’infligerai moi-même, continuait Jehan.

– Holà! marmotta Pardaillan inquiet, ce maître fou ne va pas, j’imagine, attenter à ses jours?

– Je leur ferai l’aveu de mon crime, reprenait Jehan et s’ils se détournent de moi avec mépris, je n’aurai que ce que je mérite.