Выбрать главу

– Bon! si ce n’est que cela, dit Pardaillan rassuré, on verra! Jehan referma brutalement le coffre, remit en place la sciure qu’il avait entassée sur les dalles et revissa de son mieux les deux couvercles du double cercueil. Il demeura une seconde songeur, et l’apaisement s’étant fait dans son esprit, il étendit la main, comme pour un serment et prononça:

– J’ignore à qui appartiennent ces richesses, mais s’il n’y a que moi pour les voler, leur propriétaire peut être assuré de les retrouver sans qu’il y manque une maille!

Pardaillan fut sur le point de crier: «Ces richesses sont à toi!» Mais la matinée s’avançait, il était grand temps de se mettre à la besogne qu’il s’était imposée, s’il voulait parer à la catastrophe qui guettait son fils.

Il escalada lestement le tas de terre et il se dirigea vers le mur, à quelques pas de l’escalier. Il y avait là, au ras du sol, un trou béant, dans lequel il se glissa. De l’autre côté, il remit en place l’énorme pierre, montée sur un pivot invisible, qui servait de porte. Il se redressa à moitié et mit son œil à un autre trou de la dimension d’une brique. Au fond de cette petite excavation, des petits trous habilement dissimulés permettaient de voir et d’entendre tout ce qui se passait dans le caveau.

Il vit donc Jehan occupé à remettre la dalle en place. Il pouvait partir en toute quiétude. L’épreuve était achevée maintenant à l’honneur de son fils. Il boucha ce trou comme il avait bouché l’autre et il partit. Il vint sortir par une carrière qui se trouvait au pied de la butte des Cinq-Moulins que nous avons signalée. Et à grandes enjambées, il se dirigea vers la ville en se disant de cet air si froidement résolu, qu’il avait en de certaines circonstances:

– À nous deux, monsieur Claude Acquaviva!

Ceci se passait à peu près vers le même moment que Saint-Julien revenait pour la seconde fois à la carrière abandonnée par où Jehan devait sortir. Il était environ sept heures du matin.

Pendant ce temps, Jehan remettait toutes choses en place et poussait la précaution jusqu’à piétiner la terre longuement et consciencieusement pour effacer toute trace des fouilles qu’il venait de faire. Ce travail l’occupa une bonne heure. Il avait commencé vers les quatre heures du matin. Cela représentait donc un labeur pénible d’environ quatre heures.

Il était brisé physiquement et moralement. Il retourna dans la grotte et se jeta sur la paille. Il dormit tout d’une traite jusqu’à onze heures. Quand il se réveilla, il se sentit frais et dispos, remis d’aplomb par ce somme réparateur. L’esprit enfin délivré de l’affolante contemplation à laquelle il avait failli succomber, il ne se sentait plus le même et il allait et venait en fredonnant une chanson.

Il alluma le feu, fit sauter une omelette, y adjoignit une large tranche de jambon, quelques ronds de saucisson, et dévora le tout avec cet appétit robuste que ni les peines, ni les dangers, ni les émotions ne parvenaient à émousser. Le pain était bien un peu dur, mais le vin frais et si vieux, si généreux qu’il eût réveillé un mort. Ce repas achevé, il se sentit fort comme Sanson.

Il réfléchit:

– Il ne doit pas être loin de midi, maintenant!

Ses traits prirent cette expression de surhumaine tendresse qu’il avait chaque fois qu’il pensait à Bertille et il dit doucement:

– Allons la voir!

Il partit. Dans la carrière, tant qu’il fut dans l’obscurité, il marcha avec précaution, sondant le terrain du bout du pied, fouillant les ténèbres de son œil perçant, l’oreille attentive, la main sur la garde de l’épée. À mesure qu’il approchait de l’entrée, que la clarté se faisait plus vive, il eut plus d’assurance et pressa le pas.

À l’entrée, avant de sortir, il jeta un coup d’œil circulaire autour de lui: personne. Il s’élança de ce pas souple et rapide qui lui était particulier.

Il fit trois ou quatre pas. Brusquement, il étendit les bras en un geste d’instinctive défense et lança un grand cri.

Le sol venait de manquer soudain sous ses pieds. Il se sentit tomber avec une rapidité vertigineuse dans une sorte de puits sans fin. Il cria de nouveau:

– Bertille!…

Il ressentit un choc effroyable. Il lui sembla que ses jambes venaient de lui rentrer jusque dans la poitrine. Un inappréciable instant, il demeura immobile, l’esprit submergé d’un étonnement sans nom; l’étonnement de se sentir vivant encore malgré l’épouvantable secousse, malgré l’atroce douleur qui le mordait aux entrailles.

Puis, il vacilla et s’abattit comme un jeune chêne foudroyé par la tempête. Sa tête porta violemment sur un quartier de roche pointu et il demeura immobile, sans connaissance, tandis qu’un mince filet rouge coulait lentement de sa blessure et lui couvrait peu à peu le visage d’un masque sanglant.

Là-haut, sur le chemin, Saint-Julien et ses hommes sortirent de leur trou, s’approchèrent en rampant, pareils à d’immondes bêtes de ténèbres. Saint-Julien se pencha, regarda dans le noir, écouta, et un rictus féroce, hideux, retroussa ses babines et il grinça, avec un accent de haine assouvie:

– Son compte est bon!… Le tranche-montagne ne pourra plus défigurer personne!

Il se tourna vers les hommes et d’un ton bref:

– Vous savez ce qu’il vous reste à faire. Allez!…

Encore une fois, il s’élança, tandis que ses hommes s’activaient à l’accomplissement d’une mystérieuse et terrible besogne tracée d’avance.

Il revint à la chapelle du Martyr. Le bailli et ses six gardes l’attendaient sans manifester aucune impatience. D’un accent bref, autoritaire, Saint-Julien dit:

– En route!

Et le bailli, qui, sans doute, savait, lui aussi, ce qu’il avait à faire, prit la tête de sa petite troupe.

Saint-Julien leur laissa prendre une faible avance et se mit à les suivre de l’air innocent d’un flâneur heureux de respirer l’air de la campagne.

Le bailli descendit le chemin raide qui aboutissait à la croix.

Là, il tourna à gauche, puis à droite, et s’enfonça dans le faubourg Montmartre.

LXVIII

Entrons dans la maison de Perrette la Jolie. Il est midi. C’est le moment où Jehan le Brave se met en route pour aller voir sa fiancée.

Nous voici dans l’atelier de la petite ouvrière parisienne, atelier qui sert de parloir et de salle à manger. Près de la fenêtre grande ouverte sur le jardin fleuri, par où le soleil entre à flots, Bertille est assise.

Perrette, les manches retroussées jusqu’aux coudes, manie le fer chaud avec quoi elle repasse la fine lingerie de ses clientes. Dame Martine, ouvrière et servante, va et vient, dessert la table que les deux jeunes filles viennent de quitter.

Et de cet intérieur si simple, égayé par la présence des deux jeunes filles, aussi adorables l’une que l’autre, de la grâce souriante et tranquille de leurs attitudes, il se dégage une impression de calme et de paix reposante.

– Perrette, dit Bertille de sa voix mélodieuse, vous êtes bien pressée de vous mettre à l’ouvrage! Ne pourriez-vous vous reposer un peu? Vous vous disiez souffrante, et c’est à peine si vous sortez de table.

De son petit air sérieux, sans aucune amertume, comme une chose qui lui paraît très naturelle, Perrette répondit:

– Il faut bien travailler, quand on est pauvre.