Выбрать главу

– Mais, répliqua vivement Bertille, si je ne suis pas riche, moi, Dieu merci, je ne suis pas pauvre non plus! Ce que je possède est suffisant et au-delà pour nous faire vivre largement tous! Je ne vois pas pourquoi vous vous tuez ainsi à la besogne.

– Mais, vous-même, qui prêchez, mademoiselle, pourquoi vos doigts de fée s’actionnent-ils si vivement après cette tant jolie broderie?

– Moi, dit Bertille en riant, c’est pour me distraire.

– Et moi aussi, assura Perrette. Et plus bas, pour elle-même, elle ajouta:

– Le travail console! Savez-vous, reprit-elle tout haut, que vous êtes une habile ouvrière en broderies? Je connais des dames de noblesse qui payeraient fort cher le travail que vous faites là.

– Oui, répondit Bertille en riant de plus belle, mais pour or ni argent elles n’auront l’écharpe que voici. Attendu qu’elle est déjà vendue, ma chère!

– À qui donc? Jésus Dieu! fit Perrette étonnée.

– À quelqu’un qui n’est pas loin d’ici! Ne trouvez-vous pas, Perrette, que cette écharpe ferait bien autour de votre cou?

– Moi? suffoqua Perrette, ce sont là affiquets de grande dame, dont ne saurait se parer une pauvre fille comme moi!

– Pourquoi donc? s’étonna Bertille. (Et avec un sourire malicieux.) Il vous faudra cependant consentir à vous en parer, puisque c’est pour vous que je la fais… Et me refuser serait me faire une injure grave que suis femme à ne pas tolérer.

Et se levant, elle courut embrasser de tout cœur la jolie Perrette, qui lui rendit son étreinte.

Nous avons esquissé ce tableau pour montrer que la quiétude des deux mignonnes jeunes filles était absolue, tant leur confiance était grande en ceux qui, elles le savaient, veillaient sur elles de près comme de loin.

De Jehan le Brave, elles ne parlaient pour ainsi dire pas. À quoi bon? Elles le sentaient toujours présent dans leur pensée et cela leur suffisait. Une heure environ s’écoula ainsi en propos d’une adorable ingénuité. Ce qui n’empêchait pas les mains de s’activer à la besogne, au contraire.

Tout à coup, on frappa à la porte de derrière.

– C’est la manière de frapper de M. Jehan, vint dire dame Martine, avec un gros rire malicieux. Faut-il aller ouvrir, demoiselle?

Et sans attendre la réponse, elle s’élança en riant de la bonne plaisanterie qu’elle croyait avoir faite.

La pièce dans laquelle se tenaient les deux jeunes filles donnait sur le devant. Elles ne pouvaient donc pas voir arriver le visiteur. Elles n’avaient d’ailleurs aucune inquiétude. Si elles avaient eu le moindre soupçon, Martine ne serait pas allée ouvrir. Elles continuaient paisiblement leur ouvrage.

Tout à coup, un cri perçant retentit. C’était la voix de Martine. Elles se regardèrent interdites. Et d’un même mouvement, elles s’élancèrent.

La porte s’ouvrit avant qu’elles n’y fussent arrivées. Un homme âgé, tout de noir vêtu, entra comme chez lui, le chapeau sur la tête. Derrière, quatre gardes, la pique à la main, portant le casque aux armes de Mme l’abbesse de Montmartre. À la fenêtre qui était au rez-de-chaussée, deux autres gardes se montrèrent, coupant la retraite. C’était le bailli et ses acolytes.

À cette vue, les deux frêles jeunes filles demeurèrent saisies. Et, pareilles à deux pauvres oiselets qui voient fondre le vautour, elles se blottirent l’une contre l’autre, Perrette enlaçant Bertille en un geste gracieux d’instinctive protection.

Sans saluer, gravement, d’un air très important, comme il convenait à un personnage de son importance, le bailli ânonna sur le ton de quelqu’un qui récite une leçon:

– Au nom de la très haute, très puissante et très sainte dame Marie de Beauvilliers, abbesse de Montmartre, jeunes filles, je vous arrête!

Et il les toucha du bout de sa baguette en signe de prise de possession, en ajoutant, toujours très digne:

– Gardes, emparez-vous des criminelles.

Et les quatre gardes, très gravement, entourèrent les deux criminelles.

Bertille, on a pu le voir, était une fille de résolution et d’énergie. Elle se dégagea doucement de l’étreinte de Perrette et se redressant, d’un air de souveraine dignité:

– Vous m’arrêtez au nom de Mme l’abbesse… Eh, qu’ai-je affaire avec l’abbesse?… Prenez garde, monsieur, vous violentez une fille de noblesse, qui est elle-même haute et puissante dame. L’égale en tous points de celle au nom de qui vous agissez. Je n’ai donc rien à voir avec la justice de Mme l’abbesse, dépendant uniquement de celle du roi; auquel je me plaindrai.

Sans se troubler le moins du monde, du même air rogue et entendu qui paraissait lui être particulier, le bailli répliqua:

– Ceci est un point que vous pourrez plaider, plus tard, quand viendra votre procès. Pour l’instant, il vous faut me suivre à la prison de notre sainte mère l’abbesse.

– Et si je refuse de vous suivre?

– En ce cas, dit froidement le bailli, ne vous en prenez qu’à vous-même de la violence à laquelle vous m’obligerez de recourir. De plus, remarquez que vous aggravez singulièrement votre cas par cet acte de rébellion.

Il paraissait très convaincu et très résolu, le digne bailli. Bertille comprit que toute résistance serait vaine.

– Soit, dit-elle, je cède à la force et vous suivrai, monsieur. Mais tenez pour assuré que je me plaindrai au roi.

Le bailli eut un mouvement d’épaules qui signifiait qu’il n’en avait cure. Il avait des ordres formels, il les exécutait; le reste ne le regardait pas.

Bertille et Perrette s’enveloppèrent dans leurs mantes, dont elles rabattirent les capuchons, et se tenant par le bras, elles suivirent les gardes qui les encadraient.

À la porte dérobée, Martine, à demi évanouie, était solidement maintenue par deux estafiers de Saint-Julien. D’un air digne et sévère, le bailli ordonna:

– Relâchez la servante. Et qu’elle n’y revienne plus!

À quoi ne devait plus revenir la servante? Le bailli ne le disait pas. Martine n’eut garde de s’informer. Sans demander son reste, elle fila, emportée par les ailes de la peur, et ne respira que lorsqu’elle se vit à l’abri, toutes portes dûment et solidement verrouillées.

Aux environs de la porte Montmartre, un homme s’avança, le nez au vent, bayant aux corneilles. C’était Carcagne, qui s’ennuyait tout seul et qui s’en allait tenir compagnie à ses deux compagnons: Gringaille et Escargasse. Visite un peu intéressée, car plus épris que jamais, il caressait l’espoir d’apercevoir le joli minois de Perrette, ne fut-ce qu’une seconde, en passant.

En bon badaud, il s’arrêta pour dévisager l’escorte et les deux prisonnières, en se disant:

– La justice de Mme de Montmartre!

Carcagne, comme ses deux compagnons, connaissait sur le bout du doigt tous les uniformes de toutes les justices seigneuriales de Paris, pour l’excellente raison que, peu ou prou, ils avaient eu maille à partir avec toutes.

Autrefois, en reconnaissant des agents d’une autorité quelconque, Carcagne se serait empressé de tirer au large, prudemment. Mais, maintenant qu’il était honnête, tripes du pape! il pouvait les regarder passer sans crainte. C’est ce qu’il faisait avec la satisfaction un peu étonnée de ne pas se trouver lui-même prisonnier au milieu des gardes.