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En passant, une des deux prisonnières releva une seconde son capuchon et le regarda fixement.

Le bon Carcagne bondit, effaré.

– Tripes du pape! rugit-il dans son esprit, mais c’est Perrette!… Et la demoiselle!… Eh bien mais, et Gringaille et Escargasse, que font-ils donc?… Que va dire Jehan?…

Ceci se passa comme un éclair dans son esprit. Il était fort, Carcagne, et il le savait. Il crispa les poings et jeta un coup d’œil inquiétant sur les gardes qui marchaient très dignes.

– Ils ne sont que six! se dit-il. On peut en venir à bout!

Mais, à ce moment, ses yeux se portèrent plus loin que l’escorte. À quelques pas derrière elle, venaient Saint-Julien, le visage enfoui dans le manteau, et derrière lui ses dix estafiers aux gueules de dogues. Et malgré qu’ils affectassent des allures indifférentes, il était manifeste qu’ils «gardaient les gardes».

Carcagne ne brillait pas précisément par un excès d’intelligence. Mais il est des circonstances critiques qui se chargent de donner de la décision et de la perspicacité au plus borné des humains. Carcagne, d’un coup d’œil, vit l’escorte de Saint-Julien, et, du même coup, il comprit quel était son rôle et il dit:

– Six, ça pouvait passer, mais dix-sept, outre! comme dit Escargasse, ce n’est plus de jeu! J’en découdrai bien quelques-uns, c’est certain, mais les autres auront ma peau! Libre, je peux être utile… on ne sait pas. D’autant que je me demande ce que sont devenus Gringaille et Escargasse… Est-ce qu’on me les aurait tués, par hasard?… S’il en est ainsi, tripes du pape! je ne sais pas ce que je ferai, mais…

Ayant ainsi réfléchi, Carcagne renfonça la rapière qu’il avait à moitié tirée du fourreau et s’écarta, s’effaça, se fit aussi petit que possible pour passer inaperçu. Et il eut la chance de ne pas être vu. Alors, il se mit à suivre les deux escortes.

Parvenue rue de la Heaumerie, le bailli, ses prisonnières et ses six gardes pénétrèrent dans le cul-de-sac. Saint-Julien et ses hommes restèrent à l’entrée, comme pour en interdire l’approche à quiconque.

S’il connaissait tous les uniformes des agents, Carcagne connaissait aussi bien toutes les prisons. Dès que les deux troupes s’étaient engagées dans la rue de la Heaumerie, il avait été fixé et il avait murmuré:

– Le Savot aux Dames! (Le Fort aux Dames.)

Et il s’était tenu à l’écart.

Quelques minutes plus tard, le bailli et ses hommes reparaissaient et prenaient doucement le chemin de Montmartre. Saint-Julien, alors, sortit de dessous son manteau une bourse d’apparence respectable et la lança à ses malandrins, lesquels, le partage effectué en un clin d’œil, se dispersèrent aussitôt. La besogne pour laquelle ils avaient été embauchés était terminée, paraît-il.

Saint-Julien attendit que le dernier de ses hommes se fût éloigné. Il pénétra alors dans le cul-de-sac et alla frapper à la porte de la prison, le judas s’ouvrit à l’intérieur, une face patibulaire se montra à travers le grillage. Saint-Julien exhiba un papier. La porte s’ouvrit à l’instant même et il entra.

Carcagne l’avait suivi. Il resta un long moment à méditer devant la prison. Et voici ce qu’il trouva:

«Tâchons de savoir ce que sont devenus Escargasse et Gringaille. Ensuite, nous aviserons messire Jehan.»

Et il s’éloigna.

Bertille et Perrette furent enfermées ensemble, dans une cellule relativement confortable. En effet, il y avait là deux étroites couchettes une petite table et deux escabeaux. Le guichetier qui les enferma eut soin de leur faire remarquer le luxe insolite de leur cachot. Dans certaines cellules, les prisonniers n’avaient qu’une botte de paille pour s’étendre. Dans d’autres, ils n’avaient rien du tout. Elles devaient donc s’estimer heureuses d’être soumises à un régime de faveur.

Les deux jeunes filles se montrèrent indifférentes à ces détails. La seule faveur qu’elles appréciaient comme il convenait était de voir qu’on ne les séparait pas. À deux, la prison leur paraîtrait moins pénible.

Bertille, d’ailleurs, ne se montrait pas autrement inquiète. Elle expliqua à Perrette que la seule personne qu’elle avait à redouter était Concini. Or, il était avéré que Concini n’était pour rien dans leur arrestation. Elles ne tarderaient certes pas à sortir de là. Jehan ou M. de Pardaillan les en tirerait. Au besoin, elle écrirait au roi qui saurait bien, lui, faire lâcher prise à l’abbesse.

Le soir vint. On leur servit un repas modeste, il est vrai, mais qui laissait tout de même loin derrière lui le traditionnel pain sec et la cruche d’eau. Bertille, par raison, se força à manger. Perrette, déjà souffrante le matin, ne put rien absorber, si ce n’est un doigt de vin. Encore ne le prit-elle que pour répondre à l’affectueuse insistance de sa compagne.

Elles se couchèrent. Bertille n’était pas aussi rassurée qu’elle avait bien voulu le laisser croire à Perrette. Ce qu’elle n’avait pas dit, parce que ce n’était pas son secret, c’est que, instruite par l’expérience, mise en garde par Pardaillan, avec qui elle s’était longuement et mystérieusement entretenue, elle pensait que l’abbesse n’était qu’un instrument aux mains de personnages plus puissants qu’elle. Elle se disait qu’elle n’était prisonnière des religieuses qu’en apparence.

Elle ne doutait pas que cette nouvelle violence qui lui était faite n’eût trait au trésor et aux papiers qu’on savait en sa possession. Tôt ou tard, les larrons acharnés à la poursuite de ce trésor s’apercevraient qu’ils avaient été dupés. Alors, comme ils la tenaient, ils ne la lâcheraient plus jusqu’à ce qu’elle eût dit ce qu’elle savait ou livré les papiers qu’elle possédait.

C’était une longue, peut-être une éternelle détention qu’il lui faudrait subir. Sans compter les tourments et les tortures qu’on ne manquerait pas de lui infliger pour l’amener à livrer un secret qui n’était pas le sien.

Comme on voit, l’avenir lui apparaissait sombre et chargé de menaces. Et il fallait qu’elle fût douée d’une forte dose de courage et d’énergie pour avoir réussi à montrer à sa compagne un visage relativement calme et serein.

Il convient de dire que l’essentiel pour elle était de ne pas être aux mains de Concini, qu’elle redoutait au-dessus de tout, parce qu’il représentait le déshonneur. En outre, elle savait bien que Pardaillan remuerait ciel et terre pour l’arracher à une persécution dont il était indirectement la cause. Sans compter Jehan, qui ne resterait pas inactif. Encore fallait-il qu’elle pût les aviser au moins du lieu où elle était détenue.

Malgré ces appréhensions et ces craintes, trop justifiées, elle s’endormit aussitôt qu’elle fût couchée.

Il n’en fut pas de même de Perrette, qui n’avait pas les mêmes sujets d’inquiétude et qui, pourtant, demeura longtemps à se tourner et retourner dans son lit, sans que le sommeil parvînt à la gagner. Pourtant, elle finit par tomber dans une sorte de torpeur peuplée de cauchemars affreux.

Un rêve surtout l’impressionna fortement. Le voici:

Elle se voyait morte, raide sur sa couche, les yeux fermés, et elle voyait distinctement le mur au pied de son lit. Tout à coup, ce mur s’écarta. Une lumière douce éclaira la cellule; deux moines, capuchons rabattus, s’approchèrent. L’un d’eux souleva un de ses bras, et elle eût l’impression que ce bras retombait lourdement, inerte, et cela lui parut natureclass="underline" puisqu’elle était morte.