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– Elles dorment! dit l’un des moines à demi-voix.

Elle fixa le mur. Il était revenu à sa place. Les moines saisirent demoiselle Bertille enroulée dans ses couvertures. Un religieux revint à la tête de son lit. Il paraissait chercher elle ne savait quoi contre le mur. Elle entendit un brut sec et elle vit que le mur, en face, s’ouvrait de nouveau. Les moines saisirent Bertille et l’emportèrent. Derrière eux, le mur se referma et elle se trouva dans l’obscurité.

Elle faisait des efforts désespérés pour crier à l’aide, se remuer, se réveiller. Et elle sentait que ses membres, lourds comme du plomb, se refusaient à tout service. Elle demeura dans cet état un temps qui lui parut long.

Tout à coup, elle entendit grincer les verrous, et la porte, la vraie porte, l’unique porte de son cachot s’ouvrit. De nouveau, il se trouva faiblement éclairé: deux moines – les mêmes peut-être – s’approchèrent de son lit et l’enlevèrent, comme ils avaient enlevé Bertille. Et ces deux moines étaient accompagnés d’un geôlier qui, une lampe à la main, les éclairait.

On l’emporta par la porte, que le geôlier ferma. Presque en face de cette porte, il y avait un escalier. Les moines se mirent à le monter. À l’étage au-dessus, ils tournèrent à droite. Le geôlier ouvrit la première porte, qui se trouvait sur la gauche. Elle sentit qu’on la déposait à terre, sur une botte de paille. Et les trois fantômes, moines et geôlier s’évanouirent, et elle se trouva plongée dans d’épaisses ténèbres.

Quelques moments s’écoulèrent. La porte s’ouvrit encore une fois. Le geôlier, seul cette fois, entra. Il portait un paquet qu’elle reconnut: c’étaient ses hardes. Il les laissa tomber à ses pieds et se retira sans bruit, L’obscurité redevint compacte et, sans doute le rêve, le cauchemar plutôt, s’était heureusement dissipé, car elle perdit toute conscience.

Lorsqu’elle se réveilla, le jour pénétrait dans son cachot par une étroite ouverture, munie de solides barreaux. Elle se sentait la tête singulièrement lourde. Elle promena autour d’elle des regards agrandis par l’étonnement. Elle se vit couchée sur une botte de paille, ses vêtements en désordre, à ses pieds.

Elle considéra sa cellule et ne la reconnut pas. Elle se trouvait dans un vrai cachot noir et sale, où régnait une odeur infecte qui paraissait se dégager de la muraille. Ce cachot avait à peine trois pas de large sur six de long. Heureusement, il était assez bien éclairé et aéré par la petite lucarne, sans quoi on n’eût pu y tenir à cause de l’odeur nauséabonde. Pas le moindre meuble, même pas un escabeau. Dans un coin, une cruche; sur la cruche, une boule de pain noir.

Perrette se mit à fondre en larmes. Et elle se disait:

– Ce n’était pas un rêve, hélas!… Pauvre demoiselle Bertille!… Pauvre Jehan!…

Elle aurait aussi bien pu dire: Pauvre Perrette!

Il paraît qu’elle n’y pensa pas.

LXIX

Il était quatre heures passées lorsque Saint-Julien sortit de la prison des religieuses. Il attendit jusqu’à six heures. C’était l’heure fixée par Léonora Galigaï, parce qu’elle savait que son époux, Concini, ne serait pas à la maison en ce moment-là. Il fut immédiatement introduit auprès de la dame d’atours.

– Eh bien, interrogea Léonora avec une certaine vivacité, est-ce fait?

– C’est fait, madame!

– Tous les deux?

– Tous les deux!

Léonora eut un sourire de satisfaction. Et ce sourire était tel que Saint-Julien, qui ne la quittait pas des yeux, se sentit frémir d’une joie furieuse, à la pensée de ce qui attendait l’homme qu’il haïssait.

Léonora s’accota commodément dans son fauteuil et, avec un calme sinistre:

– Racontez, dit-elle. La jeune fille d’abord.

Saint-Julien fit le récit de l’arrestation de Bertille et Perrette que nous connaissons. Quand il eut terminé, Léonora s’informa:

– Lui, maintenant!… Est-il mort?

– Non, madame. Il est bien vivant.

– Ah! fit Léonora d’un air rêveur. Pourtant à ce qu’on m’a dit, le puits est profond. La chute devait être mortelle.

– En effet, madame. Mais il se trouvait, au fond de ce puits, un amas de brindilles, de feuilles sèches, qui ont amorti la chute. En sorte que là où un honnête homme eût infailliblement péri, le matamore s’en est tiré avec une simple syncope, produite par l’ébranlement de la secousse.

– Et pas de blessure!

– Une, insignifiante. La tête a porté sur un quartier de roche. Il a repris connaissance à la prison. Il est maintenant complètement remis. Il a dû être bien étonné quand il s’est vu vivant, entre les quatre murs d’un bon et solide cachot.

– Vous avez bien suivi mes instructions?

L’espion se mit à rire d’un rire effroyable.

– Peste, madame, je n’aurais eu garde d’y manquer! Puisqu’il n’a pas voulu crever là où il était, c’est que lui-même a trouvé sans doute que cette mort eût été trop douce! On l’a consciencieusement désarmé. On lui a retiré jusqu’à ses éperons. Il n’a plus rien sur lui avec quoi il pourrait se donner la mort et se soustraire au supplice qui l’attend.

– Tant pis pour lui! déclara Léonora glaciale. Voyons, donnez-moi des détails.

Saint-Julien fit un nouveau rapport, spécialement sur la manière dont avait été capturé Jehan le Brave. Léonora l’écouta attentivement. Quand il eut terminé, elle le complimenta et le congédia en disant:

– Maintenant, vous pouvez prendre les dispositions nécessaires à l’exécution des ordres de monseigneur, au sujet de ces deux jeunes gens. Allez, monsieur de Saint-Julien, je suis contente de vous.

Saint-Julien se garda bien de sourire à la recommandation de sa maîtresse. Léonora parlait sur un ton grave et convaincu des plus significatifs. Il se contenta de s’incliner respectueusement et sortit.

Dehors, c’était cette lueur imprécise qui n’est pas encore la nuit, qui n’est déjà plus le jour et qu’on appelle: entre chien et loup. Saint-Julien tourna à droite, dans la rue Saint-Honoré. Il marchait sans hâte, sans chercher à se cacher, plongé dans une rêverie qui devait être agréable, à en juger par le sourire de satisfaction qui fleurissait ses lèvres.

De fait, le misérable supputait le nombre respectable de pistoles que lui avait rapporté sa trahison. Sans compter celles qu’il s’était appropriées sans scrupules sur les sommes que lui avaient confiées Léonora et Concini en vue des opérations dont il venait de mener à bien l’une. Il se voyait sur le chemin de la fortune et faisait des rêves dorés.

Il venait de s’engager dans la rue d’Orléans, lorsqu’une main s’abattit sur son épaule. Il fit un bon de côté, la main sur la poignée de la rapière, replié sur lui-même, tel le fauve qui s’apprête à bondir.

Une voix très calme lui dit:

– Eh bien, Saint-Julien, qu’y a-t-il donc?

Celui qui venait de parler ainsi n’était autre que Concini.

Saint-Julien fouilla d’un regard de flamme la physionomie de son maître. Concini était calme, souriant, un peu étonné de l’extraordinaire émotion du jeune homme. Il se rassura et passa une main machinale sur son front moite:

– Excusez-moi, monseigneur, dit-il. J’étais très absorbé et vous m’avez surpris.