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Carcagne se souvint de tout cela. Il le rappela à Gringaille et proposa bravement de donner à eux deux, douze cents livres à la jeune fille, avec quoi elle pourrait réaliser son rêve. L’idée parut admirable à Gringaille, qui l’accepta sans hésiter.

L’argent fut aussitôt divisé en trois parts. C’était leur manie, innocente au bout du compte. Escargasse les vit prélever chacun six cents livres sur leur part et déposer le reste dans le coffre. Comme ils avaient les mines réjouies de gens qui se disposent à faire une bonne farce, il s’informa. On lui dit naïvement de quoi il retournait. Il arriva qu’Escargasse se fâcha tout rouge et prétendit contribuer pour sa quote-part au bonheur de Perrette. Et il allongea, lui aussi, ses six cents livres. C’étaient trois chenapans qui ne valaient pas la corde qui, un jour ou l’autre, les hisserait au haut de quelque maîtresse branche d’où ils se balanceraient pareils à des fruits monstrueux.

De ce fait, Perrette la Jolie eut dix-huit cents livres, au lieu de mille qu’elle ambitionnait, pour s’établir. Gringaille alla les lui porter sur-le-champ. Car cette fille étrange et fière n’eût pas accepté d’un autre que de son frère.

De ce fait aussi, les trois sacripants n’eurent plus que quatorze cents livres. Mais bah! c’était de quoi vivre tranquille six bons mois.

XXXVII

Les quatorze cents livres durèrent quinze jours. Pas plus.

Est-ce à dire que les trois gaillards s’amusèrent à jeter leurs écus dans la Seine?… Ou qu’ils firent des emplettes considérables?… Ou qu’ils se livrèrent enfin à des orgies sans, nom? Point. Ils ne firent aucune acquisition et ils vécurent assez raisonnablement. Au train qu’ils avaient adopté, ils auraient pu faire durer leur magot deux ou trois mois. Ce qui, en somme, eût été assez gentil.

Mais ils s’avisèrent de jouer dans les cabarets qu’ils fréquentaient. Et comme, maintenant qu’ils étaient devenus honnêtes, ils se figuraient naïvement que tout ce qu’il y avait de larrons dans Paris s’étaient convertis comme eux, ils ne songèrent pas à se méfier.

Un soir – soir de guigne noire – ils tombèrent sur un trio de maîtres pipeurs. Les choses ne traînèrent pas. En moins d’une heure, ils perdirent jusqu’à leur dernière maille. Il leur fallut fuir, courbant l’échine sous la raclée de coups de triques de l’hôtelier furieux de voir la dépense non réglée. Car les trois fripons s’étaient défilés à la douce emportant leur butin.

La catastrophe était terrible. Autrefois, une soirée passée à l’affût, au coin d’une rue, eût à peu près réparé le dommage. Mais aujourd’hui qu’ils étaient honnêtes, c’était la misère noire, les jours de famine et d’expédients prévus par leur chef.

Ils vendirent les armes et les costumes magnifiques payés par Concini. Ils ne gardèrent que leur bonne rapière et le costume qu’ils avaient sur le dos. Heureusement, ces vêtements étaient en excellent drap, presque neufs, et ils étaient ainsi encore présentables.

Ménagés avec une économie sordide, quoique un peu tardive, les quelques écus qu’ils tirèrent de cette vente durèrent une semaine. Jehan, qui les vit toujours très propres, insouciants à leur habitude, ne soupçonna pas leur détresse. Ils se gardèrent bien de l’avouer.

Au moment où nous les retrouvons, il était quatre heures de l’après-midi. On était aux premiers jours de juin. Le temps était radieux et le soleil versait à flots son éclatante lumière. C’était un de ces étincelants après-midi où tout respire la joie de vivre.

Ce jour-là, Gringaille, Escargasse et Carcagne avaient serré leur ceinture d’un cran. Déjeuner peu substantiel, on en conviendra. Et ils allaient, par les rues de la grand’ville, le nez au vent, l’œil au guet, à l’affût de l’occasion propice qui leur permettrait de dîner autrement que d’un nouveau cran à la ceinture.

Mélancoliques, mais non résignés, ils erraient sans but précis. Ils comptaient sur le hasard qui, jusque-là, ne se montrait guère favorable. Ils étaient parvenus au carrefour du Trahoir. Machinalement, ils s’engagèrent dans la rue de l’Arbre-Sec, se dirigeant vers la rivière.

Tout à coup, Carcagne s’administra sur le crâne un coup de poing à assommer un bœuf, et il beugla:

– J’ai trouvé!

– Quoi? firent les autres, palpitants.

– Le moyen de dîner sans avoir rien à débourser et peut-être… qui sait?… la pitance assurée pendant quelque temps. Vite, compères, la voici, entrez dans le cul-de-sac et n’en bougez pas jusqu’à ce que je vous appelle.

Ceci se passait devant la maison de dame Colline Colle. En la reconnaissant à travers les vitraux de sa fenêtre, Carcagne venait brusquement de se rappeler les avances qu’elle lui avait faites.

La matrone, depuis l’enlèvement de Bertille, passait la majeure partie de son temps à cette fenêtre. Elle était extraordinairement tenace et n’avait pas renoncé à son idée de tirer profit de cet enlèvement.

Elle avait cherché La Varenne. Mais le confident du roi se cachait chez lui. Il ne pouvait se résigner à montrer son visage avec sa balafre qui ressemblait par trop à un coup de cravache. Colline Colle n’avait pu le rencontrer. Elle avait concentré ses espoirs sur Carcagne.

Mais le bon jeune homme, comme elle disait, ne paraissait pas se décider à venir la voir, comme elle l’en avait prié. Et voici que, au moment où elle commençait à désespérer, elle l’apercevait, arrêté devant sa maison. Elle n’avait pas hésité à ouvrir sa fenêtre et l’avait appelé sans vergogne. C’est ce qui avait fait dire à Carcagne: «la voici!»

Gringaille et Escargasse avaient reconnu la vieille, eux aussi. Ils avaient compris la pensée de Carcagne et l’espoir avait pénétré en eux. Ils étaient allés se poster sous l’œil-de-bœuf de l’impasse, bien résolus à n’en pas bouger tant que Carcagne ne leur ferait pas signe.

Colline Colle ouvrit la porte juste comme Carcagne montait majestueusement les marches du perron. Il pénétra dans le sanctuaire – nous entendons la cuisine, qui servait de salle à manger. Lorsqu’ils se trouvèrent, seuls, face à face, la matrone crut devoir prendre un air confus et baissa pudiquement les yeux. Carcagne comprit qu’il lui fallait dire quelque chose de galant, qui lui conquît d’emblée les bonnes grâces de la femme. Il trouva ceci:

– Belle dame, depuis que je vous ai vue, je me suis aperçu que j’avais oublié mon cœur ici. Je ne viens pas vous le réclamer. Si vous l’avez trouvé, gardez-le… Mais, pour Dieu, donnez-moi le vôtre en échange, ou je meurs… Voyez, je dépéris, je me dessèche, je me consume!…

Ayant dit, il retroussa sa moustache d’un air conquérant, trouvant le compliment assez bien troussé et la déclaration décisive.

Le plus fort, c’est que Colline Colle, peu habituée à un si beau langage, baya d’admiration. Elle laissa tomber sur cet amoureux qui s’exprimait si bien un regard attendri qui se chargea de compassion en le regardant de plus près.

Il est de fait que Carcagne, à jeun depuis la veille, avait un petit air dolent des plus intéressants. De plus, il était dévoré d’inquiétude au sujet de sa tentative désespérée. Toucher le cœur de la vieille mégère n’était rien… si elle n’ouvrait le garde-manger. Cette inquiétude se lisait sur son visage. Colline Colle la prit pour l’angoisse de l’amoureux qui attend que son sort soit fixé. Elle en fut touchée.