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– Il y a là, derrière et dessous ce mur, un brasier gigantesque. De fait, au pied de ce mur, la plaque prenait maintenant la teinte du fer rougi à blanc. Et cela constituait une barrière de feu qui interdisait l’approche de ce mur. Et cela s’étendait peu à peu, gagnait du terrain de plus en plus. Si bien qu’il voyait approcher le moment où il ne saurait plus où mettre le pied.

Il se tenait le plus près possible de la porte. Il arpentait son étuve, dans le sens de la largeur, à pas furieux, cherchant dans son esprit une issue à cette effroyable situation. Et, en marchant, il guignait du coin de l’œil la plaque, du côté où se trouvait le foyer, pour se rendre compte des progrès du feu.

Tout à coup, il gronda:

– Ah! ça!… Est-ce que je deviendrais fou, par hasard?… Mais si!… Mais non!… Oh! mais c’est elle!… Tonnerre du ciel!… Mais c’est le Concini, que l’enfer l’engloutisse!…

Voici ce qui motivait ces exclamations par quoi se traduisaient tour à tour le doute, l’angoisse, la terreur et la colère poussée jusqu’au délire.

En allant et venant, les yeux obstinément fixés sur le mur infernal, il lui avait semblé voir, à travers ce mur, encore confuse et indistincte, l’image de Bertille. Cela apparaissait et disparaissait suivant la place où il se trouvait.

Après Bertille, il vit Concini. Puis il les vit tous les deux, ensemble, il ne savait où.

Alors, il demeura cloué sur place par la terreur et la fureur. Et l’apparition se précisa.

Le mur avait disparu. À sa place, une lueur rougeâtre, trouble et imprécise, semblait sourdre de quelque mystérieux abîme de feu. Et cela faisait comme une tranchée qui lui parut large de plusieurs toises.

Au-delà de cette ligne, en se penchant à droite et à gauche, il voyait, nettement éclairé, l’intérieur d’une petite chambre. Il voyait une petite table en bois blanc, un escabeau et une étroite couchette. Tous ces détails, nous insistons, il ne les voyait que suivant la position qu’il occupait lui-même. De la place où il était, il voyait la table qui devait se trouver au milieu de la mystérieuse pièce. En se penchant à gauche, il voyait Bertille, pâle comme une morte, droite, immobile, semblant surveiller les gestes de quelque invisible ennemi. Il la voyait à sa droite, elle était près du lit, l’escabeau était placé devant elle. En se penchant sur sa droite, il voyait, à sa gauche, Concini, immobile lui aussi, les bras croisés sur la poitrine, l’œil allumé d’une flamme de luxure semblant couver sa proie. Derrière lui, une partie de porte dont il distinguait très bien la serrure.

Bertille se trouvait donc face à face avec Concini, en son pouvoir, à n’en pas douter. La petite table en bois blanc les séparait.

Tout à coup, il vit les lèvres de Concini s’agiter et il entendit sa voix faible, comme très éloignée, et cependant très nette.

Et Concini disait:

– Eh bien, tu ne t’attendais pas à me voir?… Tu croyais m’avoir échappé… Je te tiens et, porco Dio! cette fois-ci, je te réponds que tu ne m’échapperas pas!

Bertille cingla:

– Lâche! misérable lâche!

Jehan le Brave demeurait pétrifié, muet d’horreur, la sueur de l’angoisse au front, les cheveux hérissés. Il se demandait s’il ne devenait pas fou. S’il n’était pas le jouet d’un abominable cauchemar, ou s’il ne se trouvait pas en présence d’une vision infernale.

Si sain d’esprit, si dénué de la plupart des préjugés de son époque, si peu croyant enfin qu’il fût, il ne pouvait pas se soustraire complètement à l’emprise de la superstition. De là un moment de terreur compréhensible.

Mais ce n’était pas un cerveau détraqué, un illuminé toujours prêt à se suggestionner soi-même, comme Ravaillac. C’était un esprit très ferme et très lucide, qui semblait avoir hérité de son père ce don d’observation qui le faisait si redoutable. Il eut tôt fait de remarquer, lui, une foule de petits détails significatifs qui avaient complètement échappé à Ravaillac, lequel d’ailleurs, avait l’esprit engourdi par les drogues qu’il avait absorbées, sans s’en douter. C’est ce qui fait que Jehan se ressaisit et se dit:

– Je suis dans un local machiné. Il y a ici des jeux de glace, une acoustique particulière, toute une installation savante et compliquée qui me permet de voir et d’entendre des choses qui se passent peut-être très loin de moi!

Comme pour lui donner raison, Concini reprenait, d’une voix rauque, que la passion faisait trembler:

– Où est-il, ton chevalier, ton truand? Veux-tu que je te le dise?…

– S’il était ici, vous prendriez la fuite.

Concini eut un ricanement effroyable et comme s’il n’avait pas entendu, il reprit:

– Il est par là, muré dans une tombe chauffée à blanc, où il cuit lentement… C’est déjà joli, cela! Mais ce n’est rien. Écoute ceci. Il est loin de nous, un abîme de feu le sépare de nous… Et cependant, il nous voit. Il nous voit, entends-tu? Et moi, ici, sais-tu ce que je vais faire?… Eh bien, je vais te prendre, de gré ou de force… Et ton truand le verra, entends-tu?… Et il ne pourra pas intervenir, il ne pourra pas voler à ton secours!… Il lui faudra assister impuissant à ton déshonneur et il continuera de cuire cependant… et j’espère bien qu’il en deviendra fou!… Qu’en dis-tu? Est-ce bien imaginé?… Crois-tu que je sais me venger?

En entendant ces abominables paroles, Jehan sentit son cerveau se détraquer. Il jeta autour de lui un regard où luisait un commencement de cette folie espérée par Concini et sans savoir ce qu’il disait, en labourant sa poitrine de ses ongles, il cria éperdument:

– Oh! pas cela!… pas cela! c’est trop horrible!… Grâce pour elle!… Bertille!… Bertille!…

Mais s’il entendait fort bien, lui, on ne l’entendait pas. Il le comprit, car Bertille pas plus que Concini n’avaient sourcillé. Il hoqueta:

– Comment faire?… Comment l’arracher à l’immonde malfaiteur?…

– Finissons-en, reprenait Concini, tu es à moi…

Et Jehan le vit qui se mettait en marche. Concini prit la table et la jeta derrière lui. Et il s’avança encore vers elle, trébuchant, haletant, défiguré, hideux, effroyable et sinistre avec son rictus menaçant.

Et Bertille le regardait venir, les yeux rivés sur le fauve déchaîné comme si elle avait espéré le dompter. Et voyant qu’elle n’y réussissait pas, elle se pencha, saisit le tabouret de ses mains débiles, le leva et l’abattit en un geste foudroyant.

Mais Concini la guettait. Il saisit le tabouret au vol, le lui arracha d’une brusque saccade, le jeta derrière lui, comme il avait jeté la table.

Et ses lourdes pattes s’abattirent sur les épaules de la jeune fille qui ployèrent, et il eut un hurlement de joie triomphante:

– Je te tiens!… Tu es à moi!… Et il nous voit, tu sais, il nous voit! Bertille se raidit en une suprême révolte et ce cri fusa de ses lèvres crispées:

– À moi, Jehan!… À moi!

– Me voici! tonna Jehan.

Et oubliant tout, il fit un bond prodigieux en avant. Et il ne vit plus rien… Rien qu’une fournaise ardente, un abîme de feu infranchissable au bord duquel il put s’arrêter par suite d’il ne savait quel miracle.