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Le mur avait repris sa place, l’obscurité s’était faite à nouveau autour de lui. Maintenant, le feu gagnait toute la plaque. Il n’avait plus qu’une étroite bande sur laquelle il pouvait encore tenir.

Il s’accula lui-même dans un coin. Il sentait que c’était la fin. Déjà il s’était demandé s’il ne ferait pas bien d’essayer de se briser le crâne contre le mur. Mais alors, que deviendrait Bertille?

– Non, ventre de veau! se dit-il, je dois résister tant qu’il me restera un souffle de vie!

Brusquement, dans le coin où il s’était placé, il sentit le mur se dérober. Il se retourna. Il vit un trou derrière lui et de ce trou jaillissait une pâle lueur. Il ne réfléchit pas, il n’hésita pas. D’un bond, il franchit l’ouverture. Le mur se referma de lui-même aussitôt.

Il avait changé de cachot simplement. Mais ici il y voyait. Ce n’était qu’un vague crépuscule, mais, comparé aux ténèbres opaques d’où il sortait, cela lui parut bon comme une éclatante lumière. Ensuite, il ne sentait plus l’atteinte du feu. Ici, le plancher ne lui brûlait pas la plante des pieds.

Voilà ce qu’il vit tout d’abord, et il ne vit pas autre chose.

Ce premier moment de bien-être passé, il étudia plus attentivement son nouveau cachot, et alors il ressentit une impression de malaise affolante.

– Quel diable de cachot est-ce là? songea-t-il.

Ce cachot était rond. On eût dit un puits de vastes dimensions. Le plafond, le plancher, les parois étaient d’un métal uni et brillant comme une glace. Pas de porte, pas de fenêtre, pas la plus petite ouverture apparente. Pas de meubles, pas d’accessoires. Rien que les parois nues étincelantes comme des miroirs. Et cela était éclairé d’une lumière douce qui tombait du plafond.

Ceci, déjà, était assez anormal. Il y avait mieux. Il y avait le plancher.

Horizontalement, ce plancher n’avait qu’une bande circulaire si étroite qu’un chat eût eu de la peine à s’y maintenir. Ce plancher avait la forme d’une cuvette peu profonde, dont les bords descendaient en pente douce. On pouvait circuler là, à la condition de marcher vite. Quant à y demeurer immobile, il n’y fallait pas songer. On glissait, malgré soi, au fond. D’ailleurs, tout paraissait avoir été mathématiquement calculé pour obtenir ce résultat.

Cette cuvette, que représentait le plancher, était percée de quantité de trous, très rapprochés les uns des autres, semblables à des godets. Tout autour des bords courait une fissure assez large pour que Jehan pût y glisser un doigt. En sorte que, grâce à elle, la cuvette prenait l’apparence d’un plateau creux.

En somme, l’ensemble de cette singulière machine ressemblait assez exactement à une gigantesque roulette.

À un endroit de la paroi, une planchette en fer, jetée comme un pont, surplombait la cuvette sur laquelle elle s’appuyait par une tige, de fer également. Au bord de cette planchette, au-dessus de la cuvette, il y avait un godet pareil aux autres.

Jehan monta sur cette planchette. Elle lui parut d’une solidité à toute épreuve.

Il chercha où il pourrait bien s’asseoir. Il se rendit compte qu’il ne pourrait le faire que sur cette planchette ou au centre du plateau. Partout ailleurs, il était condamné à courir, s’il voulait maintenir l’équilibre. Il réfléchit, l’esprit tendu:

– Il est clair qu’on veut me voir ou sur cette planchette ou au fond du plateau!… Il me faut choisir. Et quand je me serai décidé, que m’arrivera-t-il?… Quel supplice extraordinaire l’infernal Concini me destine-t-il?…

Il étudia de nouveau la planchette, la tâtant, la flairant pour ainsi dire. Il ne vit rien. Il se laissa glisser au fond du plateau. Nouvelles recherches, aussi vaines. Il décida:

– Puisque je suis là… demeurons-y.

Il s’assit, juste au centre. Le temps passa. Il ne bougeait pas de sa place. Mais son esprit travaillait, ses nerfs étaient tendus à se briser. L’angoisse du mystère l’étreignait à la gorge, le tenait palpitant, haletant, dans l’attente de quelque chose de formidable, d’imprévu. De temps en temps, il grommelait:

– Si je savais seulement ce qui va se produire?…

Et c’était cela, en effet, l’incertitude et le mystère, qui devenait affolant.

Il essaya de se coucher. Il ramena les jambes au corps, saisit les genoux à pleins bras, appuya sa tête dessus et essaya de dormir.

Les heures s’écoulèrent, longues comme des éternités. Et l’événement mystérieux, attendu avec quelle angoisse, ne se produisait toujours pas.

Il s’était assis face à la planchette. C’était logique. Puisqu’il pensait que le danger viendrait de là ou du centre du plateau, il devait donc surveiller la planchette de loin, comme il surveillait le centre de près.

Tout à coup, il entendit le bruit sec d’un ressort qui se détend. Il regarda.

La paroi venait de s’ouvrir devant la planchette. Il y avait là, maintenant, un trou noir. Il fut aussitôt debout, se demandant:

– Veut-on me faire passer je ne sais où? Comme on m’a fait venir ici?

Il escalada le bord du plateau, pour étudier ce trou de près, et voir s’il devait s’y engager. Quelque chose qu’il ne parvenait pas à distinguer dans le noir, roulait là, sourdement, bouchait le trou, se dégageait, avançait en roulant et venait doucement s’encastrer dans le godet, placé au bout de la planchette, pour le recevoir.

Derrière ce quelque chose, le trou s’était refermé.

Jehan monta sur la planchette et étudia de près le monstre.

C’était une énorme boule de fer. Quoi d’effrayant à cela? Rien, évidemment. Pourtant un frisson glacial le secoua de la nuque aux talons.

Il essaya de soulever la boule. Trop lourde. Et cependant il était doué d’une force exceptionnelle. Il essaya de l’ébranler. Bien encastrée dans son godet, elle ne vacilla même pas. Il la laissa et réfléchit.

Ses yeux allaient tour à tour de la boule au plancher et il eut un fugitif sourire. Il croyait avoir compris. Il pensa:

– Pardieu, c’est bien simple, je n’ai qu’à rester où je suis.

À ce moment, comme si quelque invisible démon le guettait et lisait dans sa pensée, il sentit la planchette s’ébranler. La planchette reculait, rentrait dans la paroi, glissant sur d’invisibles charnières. Et il comprit que s’il restait là où il croyait avoir trouvé un refuge, il allait être broyé entre l’énorme masse de fer et la paroi.

Il ne voulait pas mourir. Du moins par son fait. Bertille était menacée, avait besoin de lui. Il n’avait pas le droit de s’abandonner; il devait se défendre comme il pourrait, jusqu’à ce qu’il tombât terrassé.

Il sauta au milieu du plateau. Il était temps. Il entendit le heurt sonore du fer contre le fer.

Debout, au centre du plateau, il respira fortement et fixa le monstre de fer, qui paraissait le guetter sournoisement, attendant l’attaque. Il savait qu’elle viendrait de là.

Des minutes effroyablement longues s’écoulèrent ainsi.

Le monstre demeurait replié, semblait-il, attendant pour bondir et l’écraser, la fatale seconde d’inattention.

Brusquement, il sentit le plateau s’ébranler sous ses pieds et se mettre à tourner en un mouvement de plus en plus précipité. Il faillit perdre l’équilibre. Il se rattrapa, Dieu sait comme, et se mit à courir. Et plus il courait, plus le mouvement de rotation s’accélérait, puisque c’était lui qui, maintenant, faisait tourner le diabolique plateau.