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– Le doute n’est pas permis, se dit-il. Acquaviva s’est réfugié là!

Fidèle à sa promesse, il étudia de près la prison. Et alors, son attention se porta sur la petite maison qui semblait se dissimuler à côté. Pardaillan l’étudia plus attentivement que la prison.

Sans en avoir l’air, il fit parler les voisins. La maison était sûrement abandonnée. Jamais la porte ne s’ouvrait. Les volets restaient toujours hermétiquement rabattus. On ne savait à qui elle appartenait.

Pardaillan se dit avec un sourire de satisfaction:

– Bon, je me doute à qui elle appartient. Acquaviva se cache là, j’en jurerais! Il est inutile maintenant de perdre mon temps à suivre ce moine. La question est très simple: il s’agit d’entrer là. C’est facile. Mais il s’agit aussi d’y entrer sans effaroucher l’oiseau que je veux prendre au nid… C’est plus difficile. Ceci demande réflexion.

Il était tard. Il rentra chez lui, soupa, s’enferma dans sa chambre et se mit à se promener, cherchant dans sa tête le moyen de tomber à l’improviste sur Acquaviva. Il avait été hors de chez lui toute la journée. Il ne s’inquiéta pas de ne pas avoir vu Jehan. Il l’avait vu la veille, lorsqu’il déterrait le trésor, il ne pensait pas qu’il lui fût arrivé quelque chose de fâcheux.

Après s’être longtemps promené, Pardaillan finit par se coucher en se disant:

– J’ai toujours vu que mes bonnes idées me sont arrivées en dormant. Attendons jusqu’à demain matin. D’ailleurs, il est trop tard maintenant.

Le lendemain matin, Pardaillan n’avait pas encore trouvé la bonne idée. Il prit le papier qu’il avait trouvé rue Saint-Honoré, non loin de la rue Saint-Thomas, le mit précieusement dans sa poche et partit en se disant:

– Allons à la prison. J’ai toujours vu que mes meilleures décisions ont été prises sur le lieu même de l’action et au plus fort de cette action.

Ayant ainsi essayé de se donner le change à lui-même, il arriva rue de la Heaumerie, qui était à deux pas de son hôtellerie.

Il trouva le cul-de-sac envahi par une bande d’enragés qui, silencieusement et en bon ordre, maniaient une énorme poutre avec quoi ils se disposaient à enfoncer une porte. Et il eut un froncement de sourcils car il lui sembla que cette porte ainsi menacée était précisément celle de la prison.

Cependant, rien ne bougeait dans la place. La «garnison» ne semblait pas soupçonner l’assaut imminent. Elle allait se laisser surprendre.

À coups de poing, Pardaillan se fraya un chemin dans la bande, il y eut des grognements féroces, des gueules menaçantes se dressèrent devant lui, des bras se levèrent, armés de larges coutelas. Il vit qu’il lui fallait dégainer pour passer. Il allait le faire lorsque retentit un cri:

– M. de Pardaillan!… Arrière, vous autres!… arrière, vous dis-je!…

Et Pardaillan, stupéfait, reconnut les trois amis de son fils: Gringaille, Escargasse et Carcagne.

– Ah! monsieur de Pardaillan, exulta Gringaille, c’est le ciel qui vous envoie!

– Que se passe-t-il donc, mes braves?

Ils s’expliquèrent vivement, brièvement, clairement, en hommes qui savent que le temps est précieux. Pardaillan les écouta attentivement et il ne put réprimer un frisson d’angoisse lorsqu’il apprit que son fils avait disparu.

– Pourvu que je n’arrive pas trop tard! rugit-il dans son esprit.

Du reste, ce ne fut qu’un éclair. Le moment n’était pas à l’attendrissement ni aux récriminations. Il retrouva instantanément cette froide résolution qu’il avait dans les moments critiques. Et il ordonna:

– Jetez cette poutre. Elle est inutile. Huit hommes avec moi. Suivez-moi. Vous autres, attendez ici.

Il emmena ses huit hommes rue des Écrivains. Nous avons dit que la maison avait une seconde entrée rue de la Vieille-Monnaie. Devant chaque porte, il plaça quatre de ses gaillards.

– Voici la consigne, dit-iclass="underline" laisser entrer là, mais défense de sortir. Vous avez compris?

– Compris, mon gentilhomme. On tue tout ce qui voudra sortir.

– Non pas, s’écria vivement Pardaillan. Inutile de tuer. Empêchez de sortir. C’est suffisant.

Il revint au cul-de-sac. Il plaça les sept hommes qui restaient devant la prison et la maison mystérieuse. La consigne était la même.

– Vous autres, suivez-moi, dit-il à Gringaille, Escargasse et Carcagne. Il alla à la porte et frappa, de la même façon exactement que frappait Parfait Goulard. Il l’avait remarquée et notée. Le judas s’entre-bâilla. Il exhiba le papier perdu par Saint-Julien. La porte s’ouvrit aussitôt. Il respira fortement. Les choses marchaient au gré de ses désirs et il avait craint un instant que la porte ne s’ouvrît pas.

– Ces hommes sont avec moi, dit-il froidement au portier qui s’inclinait devant lui.

Le portier laissa pénétrer les trois braves et ferma méticuleusement sa porte. Ceci fait, il conduisit les quatre hommes auprès du geôlier chef. Lui, il gardait la porte, le reste ne le concernait pas.

Pardaillan exhiba de nouveau son papier. Mêmes marques de respect de la part du geôlier.

– Mon ami, dit Pardaillan, on vous a amené avant-hier, mardi, ordre de Mme l’abbesse, deux jeunes filles.

– C’est exact, monseigneur.

Pardaillan prit un temps et, lentement, comme quelqu’un qui cherche ses mots:

– On vous a amené aussi un jeune homme… ligoté… blessé… mort… je ne sais au juste…

– Évanoui, monseigneur. C’est encore exact.

Encore un coup, Pardaillan respira fortement. Mais il foudroya du regard les trois compagnons qui se livraient à des manifestations de joie intempestives et qui, comprenant la signification de ce coup d’œil, prirent aussitôt une attitude raide, impassible.

– Eh bien, mon ami, reprit Pardaillan avec douceur, il faut me conduire auprès de ces jeunes gens.

– Impossible, monseigneur, déclara nettement le geôlier. Pardaillan se fit de glace. Il mit son papier sous le nez du gardien et sur un ton sans réplique:

– Vous savez lire, j’imagine?… Ordre de Mme l’abbesse.

– Mais, monseigneur, je ne refuse pas d’obéir aux ordres de notre sainte mère. À Dieu ne plaise! Seulement, les prisonniers ne sont plus ici!

– Malédiction!

– Enfer!

– Damnation!

– Malheur!

Les quatre imprécations fusèrent en même temps.

Le geôlier effaré crut qu’une catastrophe s’abattait sur la maison. Il bredouilla:

– Du moins deux sont partis!… Il ne me reste qu’une prisonnière!

– Que ne le disiez-vous tout de suite? bougonna Pardaillan. Conduisez-moi près d’elle.

– À l’instant, monseigneur, à l’instant.

Ils montèrent au troisième étage. Le geôlier tira les verrous d’une porte, fit jouer la serrure. Comme il allait ouvrir, Pardaillan l’arrêta.

– Mettez-vous au bout de ce couloir, dit-il, l’entretien que je vais avoir avec la prisonnière doit être secret.