Выбрать главу

– Pourquoi désespérer? fit doucement Bertille. Un amour aussi sincère, aussi absolu que le vôtre, madame, finit toujours par triompher.

Léonora secoua douloureusement la tête.

– Je l’ai cru, dit-elle d’une voix morne, je n’espère plus! Et s’animant:

– Vous ne savez pas tout. Je suis jalouse!… Jalouse à en perdre la raison!… Mon Concino a beau ne pas m’aimer… il est à moi quand même, puisqu’il est mon époux, et j’entends le garder envers et contre toutes… surtout envers et contre lui-même, hélas! Et ma vie, déjà si triste, si sombre, s’assombrit encore de cette lutte sournoise, opiniâtre, angoissante, de tous les instants, contre les trahisons toujours possibles de Concini… Combien de trahisons aussi je n’ai pu deviner et empêcher!… Concini seul le sait. Et je l’aime malgré tout!…

– Je vous plains de toute mon âme, madame!… Par un effort puissant, Léonora parut se calmer.

– Je vous ai fait ces aveux pour vous faire comprendre pourquoi j’ai voulu vous arracher à l’étreinte de Concini. Je ne vous connaissais pas, vous m’étiez indifférente. Vous m’avez remerciée… Vous ne me devez rien. Ce que j’en ai fait, ce n’est pas pour vous. C’est pour moi-même. Comprenez-vous?

– Je comprends, madame.

– Vous avez cru que je voulais vous garder ici prisonnière. Je ne vous en veux pas. C’est tout naturel. Vous vous êtes trompée, cependant. Mon intention était de vous tenir cachée ici jusqu’à ce que Concini vous ait oubliée… Et il oublie vite, Concini.

Bertille se leva palpitante d’espoir:

– Quoi! madame, vous auriez cette générosité?… Vous consentez à m’ouvrir cette porte?

– J’ai dit que c’était mon intention, rectifia Léonora. Aujourd’hui, hélas! je ne peux plus le faire.

La joie de Bertille s’éteignit. Un pressentiment sinistre la courba angoissée. Elle suffoqua:

– Pourquoi?

– Parce que, fit Léonora avec une lenteur calculée, parce que Concini a été plus adroit et plus rusé que moi… Parce que lorsque je suis arrivée tout à l’heure, pour vous rassurer, j’ai trouvé la maison gardée… Parce que derrière cette porte sont des hommes à Concini… des hommes qui me poignarderaient sans hésiter, si je tentais de vous faire sortir… Parce que, enfin, Concini vient pour vous prendre et que tout à l’heure, dans un instant, dans quelques minutes, il sera ici!…

Bertille jeta autour d’elle un regard désespéré.

– Je suis perdue, murmura-t-elle. Et pas une arme… rien, rien qui puisse m’arracher à la souillure.

Léonora eut un sourire livide et insista impitoyablement:

– Oui, vous êtes irrémissiblement perdue, puisque je n’ai pu vous sauver.

– Oh! la mort! la mort plutôt que le déshonneur! cria Bertille en crispant ses mains blanches d’un air hagard.

Le sourire de Léonora se fit plus aigu. Elle se leva, fouilla dans son corsage et lentement:

– À défaut de la vie que je ne puis vous sauver, hélas! je puis sauver votre honneur! Le voulez-vous, mademoiselle?

D’un bond, Bertille fut sur elle, elle saisit sa main qu’elle étreignit convulsivement et avec une exaltation qui fit frissonner de joie Léonora:

– Si je le veux! Parlez, madame, parlez, de grâce!

Léonora sortit la main de son corsage. Elle tenait un minuscule flacon:

– Avec ceci, dit-elle froidement, vous êtes maîtresse de votre sort. Deux gouttes de cette liqueur… et vous échappez à Concini.

– Ah! donnez, madame! s’écria Bertille en saisissant avidement le flacon.

Léonora la fixa une seconde et avec une intonation étrange:

– J’aurais voulu faire davantage, dit-elle, mais on ne fait pas toujours comme on veut.

Bertille, maintenant qu’elle était sûre d’échapper à Concini… par la mort… avait retrouvé son sang-froid. Avec un calme très digne, qui frappa la Galigaï, toute cuirassée qu’elle fût, elle répondit:

– Le service que vous me rendez, madame, n’a pas de prix. J’aurais mauvaise grâce à ne pas m’en contenter.

Léonora l’enveloppa d’un dernier coup d’œil aigu, s’inclina profondément et avec un accent apitoyé:

– Adieu, mademoiselle!

Bertille rendit gracieusement la révérence et de sa voix chantante, qui ne tremblait pas, d’un air de profonde gratitude, elle dit:

– Adieu, madame! Et soyez bénie!

Léonora se coula dehors, comme une ombre qui s’évapore.

Derrière cette porte, soi-disant si bien gardée, il n’y avait personne. Elle ne fermait même pas à clé, cette porte. Il n’y avait qu’un verrou de taille respectable, il est vrai, qu’elle poussa soigneusement.

Et d’un pas lent, elle s’éloigna, livide, sinistre, spectrale. Au fond du jardin, il y avait une porte qui donnait sur la campagne, derrière le mur de clôture de l’abbaye Saint-Antoine. Ce fut par là qu’elle sortit.

Une litière très simple, sans autre escorte que deux laquais sans livrée attendait là. Elle y monta. La litière partit à l’instant, mollement balancée par le pas cadencé des mules. À l’intérieur, étendue sur les coussins, un sourire terrible aux lèvres, Léonora songeait:

– Oui, certes, j’aurais voulu faire davantage!… J’aurais voulu lui manger le cœur!… Comme je voudrais le manger à toutes celles qui m’écrasent de leur beauté et me volent le cœur de leur Concino!… Mais je n’avais pas le temps. Concini va venir… Va, Concinetto mio va! cours! vole, sur la route de Charenton!… J’ai passé là, avant toi, Concino! Ce qui fait que tes bras tendus, que la passion fera trembler, n’enlaceront qu’un cadavre!… Et tu ne pourras pas dire que c’est moi qui l’ai tuée, celle-là!

LXXV

Il était près de midi. Le soleil, presque au zénith, incendiait la plaine. Une chaleur lourde montait de la terre gercée. La campagne était déserte, silencieuse. C’était l’heure de la sieste.

Près de la porte d’entrée de l’ancien manoir de Ruilly, au fond de ce renfoncement si propice à une embuscade, un homme se tenait blotti contre une des énormes bornes qui flanquaient la porte cochère. C’était Ravaillac. Il était là, à l’affût, depuis dix heures du matin. Sa main droite, sous le pourpoint, se crispait sur le manche du couteau qui y était caché. Ses yeux, brûlants d’un feu sombre, dévoraient la route, semblaient appeler la victime.

Près de la porte Saint-Antoine, hors de l’enceinte, Saêtta se tenait dissimulé derrière une masure, à quelques pas d’un cheval tout sellé, qui broutait une herbe rare. Lui aussi, comme Ravaillac, il dardait sur la porte des yeux de braise.

Un carrosse attelé de six vigoureux chevaux franchit la porte à une allure folle, disparut comme un météore sur la route de Charenton, roulant à fond de train vers Ruilly.

– Le roi! songea Saêtta, dont les rudes traits s’illuminèrent d’une joie frénétique.

Et tout aussitôt, avec un froncement de sourcils inquiet:

– Pourvu qu’il vienne!… Par la madonnaccia! si Concini s’est joué de moi à ce point, je veux!… Non!… le voici!…