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Deux cavaliers venaient de sortir et, en un galop d’enfer, semblaient voler sur les traces du carrosse qui, cependant, maintenait son avance. Malgré la chaleur accablante, ces deux cavaliers avaient le manteau relevé jusqu’aux yeux. Ce n’était pas pour surprendre Saêtta, qui était lui-même enveloppé des pieds à la tête.

D’ailleurs, malgré les manteaux, il reconnut parfaitement les deux cavaliers, il faut croire, car il grinça, dans un nouvel accès de joie plus sauvage:

– Jehan!… Va, petit!… Cours au-devant de ton destin! Cette fois-ci nul ne pourra te sauver! Pas même ton compagnon qui, j’imagine, n’est autre que le sire de Pardaillan, ton père!…

Il courut à la porte qu’il franchit et se glissa le long du sombre colosse de pierre qu’on appelait la Bastille. Son regard perçant fouilla la rue Saint-Antoine et découvrit une troupe de cavaliers qui s’avançaient au galop. Il revint à la masure, sauta sur son cheval, et se lança à fond de train dans le faubourg.

À cette époque, le faubourg Saint-Antoine, moins bien partagé que les autres faubourgs de la capitale, n’existait pour ainsi dire pas. Depuis la porte jusqu’à l’abbaye, c’était la campagne, piquée, çà et là, de rares chaumières. Le faubourg ne commençait qu’un peu avant d’arriver à l’abbaye et ne s’étendait guère plus loin qu’elle. À proprement parler, c’était une petite agglomération qui occupait un côté de la route, l’abbaye occupant l’autre.

Saêtta s’arrêta à la première maison du faubourg. Derrière le mur de clôture de cette maison, invisibles de la route, se tenaient dissimulés Concini, Roquetaille, Eynaus et Longval, à la tête d’une vingtaine d’estafiers.

– Eh bien? interrogea vivement Concini en italien.

– Il vient de passer, dans son carrosse. Jehan et son père le suivent de près. Ils arriveront trop tard. Le grand prévôt sort de la ville. Il arrivera à temps pour arrêter Jehan, lui.

Concini paraissait sombre et préoccupé. Il gronda sourdement:

– Qui sait si je n’ai pas fait la pire des folies en le laissant aller… Je le tenais si bien!

– Eh! monseigneur, ricana Saêtta, radieux, il aura reculé pour mieux sauter. Son compte est bon, je vous en réponds.

Concini ne se dérida pas.

– Attendons, dit-il laconiquement.

– L’attente ne fut pas longue. Bientôt un homme accourut ventre à terre. Il haleta:

– C’est fait, monseigneur! L’homme a frappé. Un coup a suffi. Le chemin est libre!

Celui qui s’exprimait avec cette indifférence cynique était un comparse quelconque. Il ignorait que l’homme qu’il avait vu assassiner était le roi. De tous les hommes qui entouraient Concini, aucun, à part Saêtta, ne connaissait la terrible vérité. Tous croyaient qu’il s’agissait de Jehan le Brave et de sa donzelle qu’on allait lui souffler après l’avoir meurtri.

Concini se fit donner des détails. L’homme ne savait pas grand-chose: il avait vu un carrosse s’arrêter devant l’entrée du manoir. Un grand diable avait bondi à la portière et avait frappé un coup, rien qu’un coup, asséné de main de maître par exemple. Après le coup, il avait entendu un cri déchirant. Suivant ses instructions, il s’était empressé d’accourir aviser monseigneur.

Ces renseignements étaient en somme assez vagues. Ils suffirent à Concini cependant. Son visage s’illumina d’une expression d’orgueil immense. Il se redressa de toute sa hauteur et rugit en lui-même:

– Enfin!… Je suis le maître!…

Et tout haut, sur un ton de commandement:

– En route, messieurs, en route!

Et il s’élança ventre à terre, suivi de toute sa troupe, coupant au plus court, droit à travers champs.

En quelques minutes, il parvint à cette porte de derrière par où était sortie la Galigaï quelques heures plus tôt. Il laissa dehors cinq ou six hommes, chargés de garder les chevaux, et pénétra avec le reste de sa troupe.

– Monseigneur, dit Saêtta avec cette familiarité narquoise qu’il affectait, pendant que vous allez cueillir votre jolie petite pie au nid, je vais faire un tour du côté de l’entrée. Je veux savoir ce que devient Jehan! C’est la seule chose qui m’intéresse, moi!

Ils étaient arrivés à la tour. Concini répondit par un signe de tête et, pendant que Saêtta poursuivait son chemin d’un pas dégagé, il tira le verrou d’une main tremblante et entra.

Depuis le départ de Léonora, Bertille attendait cette minute avec le calme stoïque d’une résolution inébranlable. Elle ne se trouva donc pas prise au dépourvu. Elle fut à l’instant debout. Sa main alla chercher dans son corsage le poison. Et elle se tint prête.

Concini avait repoussé la porte du pied, sans la fermer. Dehors, ses estafiers riaient et plaisantaient, menaient grand tapage, comme chez eux. Il ne craignait donc pas qu’elle pût lui échapper.

Il se campa devant elle, sans dire un mot, et il se mit à rire, d’un rire hideux, formidable, plus terrifiant que la plus effroyable des menaces.

Brusquement, le rire s’arrêta, se changea en un rictus grimaçant, ses traits se durcirent, une flamme s’alluma dans ses prunelles sombres; il étendit la main, la laissa tomber sur l’épaule de la jeune fille, très pâle, mais droite et résolue, et il gronda d’une voix qui n’avait plus rien d’humain:

– Je te prends…

Bertille ne faiblit pas. Elle murmura très bas:

– Adieu Jehan!… Adieu la vie!… Adieu l’amour!…

Et d’un geste prompt comme l’éclair, sans que Concini stupéfait, songeât à l’arrêter, elle porta à ses lèvres le mignon petit flacon que lui avait donné Léonora, avec le regret de ne pouvoir faire davantage.

*
* *

Le carrosse royal que nous avons vu, franchissant la porte Saint-Antoine, à une allure folle, était parvenu à l’ancien manoir royal. Depuis la tentative de Saint-Germain-des-Prés, avortée grâce à l’intervention de Pardaillan et de son fils, le carrosse du roi, quand il devait sortir de la ville, était attelé de six chevaux, avec deux postillons en tête.

Le carrosse s’engagea dans le petit cul-de-sac et s’arrêta devant la porte cochère. À ce moment une voix, partie de l’intérieur, lança un retentissant:

– Ventre-saint-gris!

Ravaillac bondit hors de son trou. Il posa le pied sur le moyeu de la roue, plongea le buste à travers la portière ouverte, leva le bras armé d’un couteau et l’abattit en un geste foudroyant. Un cri déchirant suivit presque immédiatement le geste de mort.

Ceci, c’était ce que l’homme de Concini avait vu et qu’il s’était hâté d’aller rapporter à son maître.

Voici ce qu’il aurait vu, s’il s’était moins pressé.

Le poing de Ravaillac fut saisi au passage par une main de fer qui l’immobilisa sans effort. En même temps, une voix très calme disait sur un ton de douloureux reproche:

– Comment, Jean-François, tu me veux meurtrir?…

Et c’était Ravaillac qui, stupide d’horreur, en reconnaissant Jehan le Brave qui lui parlait ainsi, avait poussé ce cri terrible que l’homme aux aguets avait pris pour le cri de la victime qu’on égorge.