Выбрать главу

Jules Bonnot et ses acolytes appartiennent à la catégorie des tueurs fous, comme Bonnie and Clyde aux États-Unis et, bien plus tard, en Belgique, les « tueurs du Brabant », capables de provoquer un bain de sang pour s’emparer de la caisse d’un supermarché. En même temps ils ont des principes. Repéré le 27 avril 1912 par la police dans sa planque de Choisy-le-Roi, Bonnot subit un véritable siège. Le préfet de police Louis Lépine se déplace en personne pour diriger les opérations. On fait venir en renfort un régiment de zouaves. De temps à autre, le bandit apparaît au balcon et fait feu sur les assaillants, puis se retire pour terminer la rédaction de son testament où il prend soin de disculper certains camarades anarchistes accusés à tort d’avoir participé aux braquages. Finalement la police fait dynamiter la maison, Bonnot est grièvement blessé mais trouve encore la force d’accueillir les policiers à coups de revolver. Il mourra semble-t-il à son arrivée à l’Hôtel-Dieu.

Non seulement il comptait parmi ses amis un personnage d’envergure comme Victor Serge, mais encore il suscitait les admirations et parfois les adhésions les plus diverses. Le poète Robert Desnos se lie à dix-sept ans avec des rescapés de la célèbre bande. Dès 1912, plusieurs des futurs surréalistes se passionnent pour ces « bandits tragiques ». Le jeune André Breton déclare que « les activités de la bande, sa révolte sociale, son côté hors la loi, et même l’audace dont elle a fait preuve en utilisant une automobile jaune pour tenter de fuir ont une allure irrésistible[45] ». En mai 1968, les étudiants dits « enragés » qui occupent la Sorbonne rebaptisent la salle Cavaillès du nom de Jules-Bonnot. Celui-ci était davantage qu’un simple braqueur : un bandit-penseur, un symbole, si discutable fût-il.

Jacques Mesrine n’avait rien du rêveur anarchiste en guerre contre la société même s’il a fini en dénonciateur des QHS — les quartiers de haute sécurité dans les prisons françaises. Plus il s’expliquait — dans son livre L’Instinct de mort ou dans ses déclarations à Libération quand il était en cavale —, moins on comprenait, mis à part le fait qu’il portait en lui une violence extrême, qu’il cognait et tirait au pistolet sans préavis à la moindre contrariété.

Il est issu d’une famille de classe moyenne de la proche banlieue parisienne et n’a pas vraiment à se plaindre de son sort. En 1956, à vingt ans, il s’engage en Algérie comme commando-parachutiste et y reste trois ans. Il prétendra par la suite y avoir découvert en lui cet « instinct de mort », avoir pratiqué la torture et les « corvées de bois ». Mais il s’est peut-être attribué des meurtres imaginaires tout en niant d’autres crimes bien réels. Mesrine n’est pas une victime de la société — et d’ailleurs ne prétend pas l’être. Pas plus qu’il n’est un redresseur de torts.

Il reste pourtant une personnalité hors du commun, un bandit extraordinaire. Jugé en 1969 pour enlèvement et meurtre dans une petite ville du Québec où il s’est enfui pour échapper à la police française et au milieu, il s’évade de sa prison avec sa compagne et complice, on les reprend. Lourdement condamné, il s’évade à nouveau, mais cette fois d’un établissement de haute sécurité. Revient quelques jours plus tard avec un autre évadé… pour prendre d’assaut le pénitencier et faire évader les autres détenus ! Il repart en France, est arrêté par la police, s’évade du palais de justice de Compiègne à l’aide d’un pistolet trouvé dans les toilettes. Est repris par le commissaire Broussard quatre mois plus tard et lui offre de sabler le champagne. Il est condamné le 19 mai 1977 à vingt ans de prison, retourne à son quartier de haute sécurité à la Santé. D’où il s’évade près d’un an plus tard jour pour jour, le 3 mai 1978, dans des conditions rocambolesques : il utilise des armes dissimulées dans le faux plafond d’un parloir où il se trouve avec une de ses avocates ; son complice, François Besse, s’est muni d’une petite bombe lacrymogène. Une fois dans la cour intérieure, Mesrine et Besse trouvent une échelle providentielle qui permet de franchir le mur d’enceinte. Alors commencera une incroyable cavale de dix-huit mois au cours de laquelle, dans un premier temps avec Besse, « l’ennemi public numéro un » braque un grand casino et plusieurs banques, échappe à quelques reprises à la police, enlève un richissime homme d’affaires de la Nièvre, Henri Lelièvre, réussit, malgré la surveillance de la police et le blocage des comptes bancaires, à se faire remettre par le fils dudit Lelièvre une somme de six millions de francs en petites coupures. Plus tard, associé à un truand marseillais (véritablement) en lutte contre les QHS, Charlie Bauer, il s’offrira le luxe de kidnapper, torturer et laisser pour mort un journaliste de Minute, Jacques Tillier, qui a eu l’impudence de le traiter de lâche dans son journal. Mesrine, qui passe son temps à changer d’apparence, vit tranquillement sous une fausse identité près de la porte de Clignancourt, le quartier où il a passé son enfance. Il recevra en janvier 1979 dans sa planque un journaliste de Libération, Gilles Millet, qui l’interviewe longuement. C’est à deux pas de chez lui que, le 2 novembre 1979, au milieu des embouteillages de la porte de Clignancourt, il sera criblé de balles et abattu par les hommes de la brigade criminelle du commissaire Broussard, qui visiblement n’a pas cherché outre mesure à le prendre vivant.

Jacques Mesrine n’était certes pas un intellectuel. Ce n’était pas, contrairement à Jules Bonnot, un révolté qui se serait égaré dans la criminalité. C’était un tueur sans états d’âme dont la violence n’avait pas de véritable justification. Mais c’était également un personnage hors norme, prêt à prendre tous les risques pour assurer le spectacle et qui, sur le tard, a réussi à s’inventer un discours et un personnage, à transformer en tragédie moderne, en geste héroïque, un parcours de délinquant meurtrier.

J’avais suivi pendant trois semaines son procès aux assises en 1977. Son livre, L’Instinct de mort, était paru quelques jours plus tôt, aux éditions Jean-Claude Lattès. Une publication qui n’arrangeait pas son avocat principal, Me Jean-Louis Pelletier, car l’auteur y avouait — et revendiquait — des meurtres dont on n’avait même pas entendu parler et qui se rajoutaient à ceux dont on l’accusait. Il se disait alors que Jean-Paul Belmondo était en train d’acheter les droits d’adaptation de ce livre au cinéma. Les bancs de la presse étaient archicombles : Le Monde, Libération, Le Canard enchaîné, Le Nouvel Observateur, tout le monde était là. Un jour Mesrine, en pleine audience, avait sorti de sa poche un mystérieux paquet et l’avait lancé au milieu du prétoire : c’étaient les clés des menottes utilisées pour le transport des accusés de la Santé au Palais. « Vous voyez, Monsieur le président, tout s’achète dans vos prisons. »

Comme Lacenaire — et dans une moindre mesure Bonnot — il avait pris la peine de coucher par écrit ses pensées et ses discours, certes un peu fumeux. À l’occasion il avait fait preuve d’une grande solidarité vis-à-vis d’autres détenus. Sa dénonciation des QHS n’était pas seulement inventée pour la frime. Contrairement à Bonnot, qui avait de véritables soutiens dans la mouvance anarchiste, Mesrine n’a jamais eu de disciples. Mais il a fasciné, et son combat contre les QHS a emporté l’adhésion de certains militants qui n’avaient rien à voir avec les milieux de la criminalité. Jacques Mesrine était également un casse-cou, un cascadeur, un homme de spectacle. Paris lui fournissait un théâtre à sa mesure.

вернуться

45

André Breton, Mark Polizzotti, Gallimard, 1995.