Выбрать главу

La Florentine et l’Espagnole, qui occupèrent les hauteurs du pouvoir pendant près de quarante ans à elles deux, succédaient à Catherine de Médicis, qui avait joué un rôle prépondérant pendant une trentaine d’années auprès de ses trois fils montés tour à tour sur le trône à partir de 1560. Cette succession en un siècle de trois femmes régentes — de fait sinon en titre —, dans un pays où la loi salique réservait le trône aux mâles, eut-elle pour effet de « féminiser » les mœurs de la Cour et de la capitale ? Faut-il y ajouter l’influence civilisatrice de l’Italie, où les manières étaient notoirement plus raffinées qu’elles ne l’étaient à Paris sous Henri IV ? Toujours est-il que dès cette époque de grandes figures féminines occupèrent le devant de la scène politique pendant trois quarts de siècle.

Le feuilleton, pour ce qui nous concerne, commence dans les années 1615 dans les salons de l’hôtel particulier de la marquise de Rambouillet refait à neuf, rue Saint-Thomas-du-Louvre. La maîtresse des lieux, Catherine, est comme par hasard elle aussi à moitié italienne par sa mère, la princesse romaine Giulia Savelli. Pendant une trentaine d’années, l’hôtel de Rambouillet sera le rendez-vous de tous les beaux esprits de la capitale : le poète Vincent Voiture, Malherbe — qui inventa l’anagramme d’Arthénice pour la marquise —, Vaugelas, Corneille et bien d’autres. On y vit même, à ses débuts parisiens, le cardinal de Richelieu, titillé par le démon de la littérature, mais aussi les futures vedettes de la Fronde : le prince de Condé, sa sœur Anne-Geneviève de Longueville, la Grande Mademoiselle, fille de Gaston d’Orléans, lui-même frère de Louis XIII. À l’hôtel de Rambouillet, on sacrifiait d’abord au culte de la littérature, et c’est peut-être dans ce salon fréquenté par le « Tout-Paris » — et précédant de vingt ans la fondation de l’Académie française — que la chose littéraire acquit en France la place éminente qu’elle conserva jusqu’à une date récente. « L’influence de Rambouillet fut considérable tant sur les mœurs que sur la langue, écrit l’historienne Brigitte Level. Les mœurs de soudards héritées des guerres de Religion avaient grand besoin d’être adoucies, et la langue, rude et grossière, d’être épurée[60]. » Rue Saint-Thomas-du-Louvre, on pratiquait des jeux de rôle où Vincent Voiture était surnommé « El re Chiquito » et la belle Angélique Paulet « l’infante déterminée ». On rivalisait dans les divertissements littéraires : rondeaux, énigmes, métamorphoses. On composa à plusieurs mains La Guirlande de Julie, poésie en l’honneur de la fille aînée de la maison. La marquise de Rambouillet, en quelque sorte, installa au premier plan de la société parisienne à la fois l’art de la conversation et de la galanterie, le respect de la langue et de la littérature. Et d’une certaine manière mit la femme à l’honneur.

Des flamboyantes, il y en eut plusieurs dans cette première moitié du XVIIe siècle. Elles jouèrent notamment un rôle de premier plan pendant cette période de folle effervescence que fut la Fronde. Qu’il suffise de rappeler la duchesse de Chevreuse, née avec le siècle en 1600, maîtresse femme qui, par goût de l’intrigue autant que par amitié pour Anne d’Autriche, consacra dix années de sa vie à monter des complots contre Richelieu, se déguisa en homme et s’enfuit en Espagne à cheval pour échapper aux sbires du cardinal. À peu près rentrée en grâce à la mort du ministre, en 1642, elle recommença à comploter dès le déclenchement de la Fronde, en 1648, joua de sa fille Charlotte comme d’une monnaie d’échange auprès du cardinal de Retz puis du prince de Conti, repartit à cheval aux Pays-Bas quand le vent tourna. Elle eut des amants dont la liste exhaustive n’a pas été établie et ne renonça à la vie amoureuse qu’à l’âge de soixante-quatorze ans, cinq ans avant sa mort. De vingt ans sa cadette, Anne-Geneviève de Longueville, née en 1619 au donjon de Vincennes où ses parents étaient emprisonnés pour rébellion, fut elle aussi une intrépide aventurière qui, plongée à vingt-neuf ans dans le tourbillon de ces années folles, « avait pris goût à son rôle d’amazone[61] », sillonnait le pays, allait lever des troupes en Normandie ou dans le Languedoc. Quant à la Grande Mademoiselle, elle était « majestueuse, de taille élevée, d’une sorte de beauté virile qui laissait les hommes plutôt indifférents[62] », elle était davantage attirée par le pouvoir que par la galanterie. On la vit s’emparer de la ville d’Orléans à la tête d’une cavalerie. Le 2 juillet 1652, alors que l’armée de Condé est en train de se faire massacrer devant la porte Saint-Antoine, elle monte dans une tour de la Bastille et fait tirer au canon contre les troupes loyalistes de Turenne, ce qui permet au dernier carré des Frondeurs de se réfugier à l’intérieur des murs. Condamnée comme Mme de Longueville à une semi-disgrâce par le jeune Louis XIV, qui a définitivement terrassé la Fronde, elle finira comme elle retirée dans un couvent. Ces épisodes épiques, le rôle politico-militaire singulier tenu — entre autres — par ces trois héroïnes, ont inspiré à Alexandre Dumas un roman joyeusement intitulé La Guerre des femmes.

Ce début de XVIIe siècle ne fut pas une simple parenthèse. Il inaugurait au contraire le temps de l’arrivée au premier plan d’une lignée de femmes impétueuses, qui furent elles aussi à leur manière de grandes figures de leur époque.

Anne Lefebvre-Dacier (1654–1720) fut l’un des grands philologues de son temps. Elle édita une douzaine d’auteurs latins ou grecs tombés dans l’oubli, et ses traductions de Plaute, Aristophane et surtout Homère firent longtemps autorité. Dans son discours de réception à l’Académie française, en 1694, La Bruyère suggéra son élection au sein de cette assemblée strictement masculine qui n’allait ouvrir les portes aux femmes qu’en octobre 1980 avec la cooptation de la romancière Marguerite Yourcenar.

Mme de Pompadour (1721–1764) a connu une trajectoire nettement plus spectaculaire. Son père était un homme d’affaires monté en grade et bientôt rattrapé par la justice, forcé de fuir la France quand sa fille avait cinq ans. De surcroît il s’appelait Poisson. Heureusement sa mère, Madeleine de La Motte, était une beauté qui faisait son chemin dans les salons distingués. C’est grâce à elle que Jeanne-Antoinette Poisson, élevée dans les meilleures écoles, devint à vingt ans Mme Le Normant d’Étioles, jeune et belle épouse d’un riche sous-fermier général, partageant son temps entre un château proche de Sénart et son salon parisien qui devint aussitôt à la mode et où Voltaire, l’abbé de Bernis et Crébillon avaient leurs habitudes.

À vingt-trois ans, elle devient la nouvelle favorite officielle de Louis XV. Des favorites, il y en a toujours eu. Mais Mme d’Étioles est la première qui soit d’origine roturière. Elle est également la première à jouer un rôle politique aussi prééminent. Pendant près de vingt ans, jusqu’à sa mort en 1764, elle tient le rôle de proche conseiller du roi, intervient dans les affaires diplomatiques, fait congédier ministres et grands commis. Par-dessus tout, elle jouera un rôle déterminant dans la propagation des idées des Lumières, accordera sa protection à Voltaire, lui fera donner une charge d’historiographe et permettra son élection à l’Académie française en 1747. Elle posera pour Quentin La Tour avec sur sa table L’Esprit des lois de Montesquieu, ouvrage mis à l’Index en 1751 par le Vatican. Elle encouragera la publication des deux premiers volumes de L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

вернуться

60

Évelyne Lever, Dictionnaire du Grand Siècle, Fayard, 1990.

вернуться

61

Simone Bertière, La Vie du cardinal de Retz, Éd. de Fallois, 1990.

вернуться

62

Évelyne Lever, Dictionnaire du Grand Siècle, op. cit.