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Détail anecdotique ou symbolique : l’hôtel d’Évreux, dont elle avait fait sa résidence parisienne et qui était passé de main en main pendant plus d’un siècle, est finalement devenu en 1879 la résidence officielle des présidents de la République sous l’appellation palais de l’Élysée. Le fantôme d’une favorite hante la République.

Mme de Pompadour était une grande Parisienne, pas seulement parce qu’elle était née dans la capitale et avait été baptisée à l’église Saint-Eustache, mais parce que, pendant vingt ans, elle fut une actrice majeure de la vie politique et intellectuelle, une intermédiaire privilégiée entre les grands penseurs et le pouvoir monarchique, une forte personnalité qui inventa sa propre vie et sortit des chemins battus. Une telle carrière ne pouvait se dérouler que dans la capitale, là où l’on trouvait l’essentiel du pouvoir, les grands salons et la quasi-totalité des grands écrivains. Là où, à la faveur de l’agitation d’une grande ville et du brassage des populations les plus diverses, on pouvait s’écarter du conformisme ambiant.

L’effervescence parisienne produit de grandes figures — notamment féminines — qui sortent de l’ordinaire. Parce que tout semble possible dans cette agglomération fiévreuse, elle attire de leur province natale les fortes têtes, les personnages hors norme, les Rastignac hommes et femmes, les illuminés et les chefs de meute pour leur offrir une scène de théâtre à la hauteur de leurs ambitions, une caisse de résonance digne de leur discours.

Après Mme de Pompadour et la chute de l’Ancien Régime, les aventurières continuent de défiler sous les projecteurs. Des aventurières ? Disons des femmes de tempérament qui, d’origine modeste ou obscure, débarquent à Paris et, au mépris de tous les conformismes, se taillent une place dans l’Histoire.

Juliette Récamier (1777–1849) est peut-être la plus conventionnelle. Issue de la bonne bourgeoisie lyonnaise, Julie Bernard a tout de même cette particularité d’avoir épousé, à quinze ans, en pleine Terreur, un riche banquier du nom de Jacques-Rose Récamier, qui a l’âge de ses parents — et qui était vraisemblablement son père naturel. Ce mariage arrangé — et platonique — lui permet, dès le début de la vingtaine, de tenir l’un des salons les plus brillants de Paris, dans ce qui est aujourd’hui la rue de la Chaussée-d’Antin. Sa beauté, son élégance, son esprit et son originalité font d’elle l’une des reines de Paris sous le Directoire. Son salon devient sous le Consulat puis l’Empire le point de ralliement de tous les opposants libéraux à Napoléon, qui tente vainement de se l’attacher en lui proposant des charges prestigieuses et lucratives.

Mme Récamier resta célèbre et influente malgré un exil forcé lors des trois dernières années de l’Empire, et les gros revers de fortune de son mari. Elle avait les hommes de la bonne société à ses pieds. Benjamin Constant se consuma d’amour pour elle. Par la suite, à partir de 1817, elle entreprit une liaison passionnée puis amicale avec Chateaubriand. En 1819, elle dut se replier dans un modeste appartement au premier étage de l’abbaye aux Bois, situé à l’emplacement de l’actuelle rue Récamier, une impasse donnant dans la rue de Sèvres. Pendant vingt ans, outre Chateaubriand, elle y reçut Tocqueville, Balzac, Edgar Quinet, Sainte-Beuve, des artistes, des acteurs célèbres comme Rachel et Talma. Elle fut l’amie intime de la célèbre romancière Germaine de Staël, fille de Jacques Necker, l’ancien ministre des Finances de Louis XVI, l’une des femmes les plus influentes de son temps. Elle était invitée à Naples par le « roi » Murat et sa femme, Caroline Bonaparte, qui la fréquentait malgré la brouille avec Napoléon.

Appartenant à la génération précédente, longtemps retombée dans l’oubli, Olympe de Gouges (1748–1793) fait passer rétrospectivement Mme Récamier pour une paisible patricienne lettrée. De son vrai nom Marie Gouze, elle est probablement la fille naturelle du marquis Lefranc de Pompignan, auteur dramatique alors connu, mais apparaît à l’état civil comme l’enfant de Pierre Gouze, boucher à Montauban. En 1765, à l’âge de seize ans, on l’a mariée à un fonctionnaire de la généralité de cette ville du sud-ouest de la France, qui a trente ans de plus qu’elle. Il lui fait un fils, puis a le bon goût de mourir noyé dans une crue du Tarn avant la fin de 1766. En 1770, celle qui se fait désormais appeler Olympe de Gouges monte à Paris, tombe dans les bras d’un riche patron de fournitures militaires, Jacques Biétrix de Rozières, qui lui propose le mariage. Elle refuse « par principe » car elle prône l’union libre, au risque de passer pour une demi-mondaine. Rozières l’installe au cœur de la rive gauche dans une belle maison de l’actuelle rue Servandoni, puis lui offre une troupe de théâtre itinérante en région parisienne qu’elle dirige elle-même. Elle figure dans l’édition 1774 de L’Almanach de Paris, le Who’s who de l’époque. En 1785, sa pièce Zamore et Mirza, vibrant réquisitoire contre l’esclavage, est inscrite au répertoire de la Comédie-Française.

Olympe de Gouges écrit d’abondance. On suppose que la plupart de ses œuvres ont mal vieilli. Il a fallu les éditions Cocagne, une maison de Montauban, sa ville natale, pour tirer de l’oubli la quarantaine de pièces de théâtre, la trentaine de romans et textes divers, la centaine de pamphlets, discours et textes de circonstance qu’elle a écrits en une vingtaine d’années. Pour l’instant, on en est à quatre forts volumes, qui totalisent près de mille cinq cents pages. Avis aux amateurs.

Olympe de Gouges est une flamboyante, une passionnée, une provocatrice. S’intéresser au sort des esclaves noirs aux Antilles au milieu des années 1780 n’est pas donné à tout le monde. On s’étonne que la très officielle Comédie-Française ait accepté au répertoire sa pièce de 1785 — rebaptisée L’Esclavage des Noirs et jouée en 1792 —, mais en fait celle-ci vaut aussitôt de gros ennuis à son auteur : la pièce est retirée du répertoire du Français, et on parle d’envoyer la séditieuse à la Bastille.

Olympe de Gouges fait feu dans toutes les directions, et souvent à bon escient. Sous l’Ancien Régime finissant elle se pose en opposante « libérale » inspirée des Lumières et fait parfois preuve d’imprudence. Outre qu’elle soulève la question de l’esclavage — qui sera brièvement aboli par la Révolution avant d’être rétabli par Bonaparte —, elle est la première à affirmer de manière radicale le principe de l’égalité des sexes. En septembre 1791, elle publie une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Le texte fait grand bruit et horrifie les sans-culottes, des révolutionnaires qui n’ont pas envie d’une révolution au foyer. Mais Olympe de Gouges n’est pas du genre à se laisser oublier. Les pamphlets succèdent aux adresses, elle interpelle les puissants, tire à boulets rouges sur la Comédie-Française, elle se met en scène et se mêle de tous les événements politiques. Ralliée aux Girondins, elle condamne avec véhémence les massacres de septembre 1792 et dénonce les agissements de Marat. Un peu plus tard, elle s’offre publiquement pour participer à la défense de « Louis Capet » au côté de Malesherbes, ce qui provoque des sarcasmes. Elle poussera l’imprudence jusqu’à dénoncer les ambitions dictatoriales de Robespierre dans des pamphlets divers dont un mystérieux Pronostic de Maximilien Robespierre, par un animal amphibie, paru le 5 novembre 1792. Olympe de Gouges fait preuve de beaucoup d’énergie et de fantaisie, mais également d’une certaine inconscience. Dans les derniers soubresauts de la Terreur robespierriste, elle est arrêtée, emprisonnée, sommairement jugée et guillotinée le 3 novembre 1793 à l’âge de quarante-cinq ans.