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Louise Michel n’était pas particulièrement intéressée par la cause des femmes, celle-ci n’était qu’un aspect de la révolution prolétarienne. Une révolution sans limites et sans concession : à partir de la Commune, Louise Michel se déclarera opposée à la « duperie » du suffrage universel et favorable à la prise du pouvoir par la rue. « Quelle est la part de sa bâtardise dans son caractère ? écrit Michel Winock. C’est une extrême, une hypersensible, d’autres diront moins généreusement une furie[67]. » Pendant longtemps, c’est une jeune femme pieuse et royaliste. Après son arrivée à Paris à vingt-six ans, elle fait peu à peu son éducation politique dans des cours d’instruction populaire donnés par le républicain Jules Favre. Elle lit Darwin, Claude Bernard, se rapproche des blanquistes. Mais c’est la Commune qui par ses excès mêmes et sa dimension tragique la révèle à elle-même : « Oui, barbare que je suis, écrit-elle, j’aime l’odeur de la poudre, la mitraille dans l’air, mais je suis surtout éprise de la révolution. »

Qu’elle ait été exaltée, cela ne fait aucun doute. En pleine Commune, elle se porte volontaire pour aller seule à Versailles assassiner Adolphe Thiers. Pendant la Semaine sanglante, elle fait le coup de feu sur les barricades, voit tomber les camarades autour d’elle, lit Baudelaire entre deux assauts. La mort ne lui fait pas peur et, dans ses Mémoires, elle ne manifeste aucun regret pour les excès de la Commune, l’exécution des otages, l’incendie de l’Hôtel de Ville et de divers « palais de la bourgeoisie » : « Alors s’allumèrent comme des torches les Tuileries, le Conseil d’État, la Légion d’honneur, la Cour des comptes. Qui sait si, n’ayant plus leur repaire, il serait aussi facile aux rois de revenir. » Surnommée on ne sait quand la vierge rouge, elle a renoncé par avance à tout amour charnel — sa passion pour le communard Théophile Ferré restera platonique — et c’est à la révolution qu’elle a voué sa vie. Sans frivolité aucune, mais avec panache.

Dans les dernières heures de la Commune, elle croise l’un des chefs militaires de l’insurrection : « Un peu après passa Dombrovski à cheval avec ses officiers. — Nous sommes perdus, me dit-il. Non ! lui dis-je. Il me tendit les deux mains. C’est la dernière fois que je l’ai vu vivant. » Un peu plus tôt, on l’a vue sur une barricade, sans doute au cimetière Montmartre : « Cette fois, l’obus tombant près de moi, à travers les branches, me couvrit de fleurs. C’était près de la tombe de Murger[68]. »

À son procès, elle assume l’exécution des généraux versaillais qui a marqué le début de la Commune, et déclare avoir participé aux incendies dans Paris. « Je ne veux pas être défendue, conclut-elle. Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ! » Condamnée à la déportation en Nouvelle-Calédonie après vingt mois de détention, elle fait la traversée enfermée comme d’autres dans une cage sur le pont avant, admire les paysages, « les maisons de Palma sorties des flots, la haute mer du Cap », elle compose des poèmes qu’elle échange avec Henri Rochefort, pamphlétaire communard enfermé dans une cage voisine. En Nouvelle-Calédonie, elle exige d’avoir le même traitement de rigueur que les hommes. Elle prendra le parti des Kanaks victimes de la répression et qui se sont insurgés en juin 1878. Autorisée de séjour à Nouméa cette année-là, elle reprendra son métier d’institutrice jusqu’à l’amnistie pleine et entière proclamée le 11 juillet 1880.

À son retour à Paris, des milliers de sympathisants l’acclament à l’arrivée du train de Dieppe. Au premier rang, Georges Clemenceau, Louis Blanc et Henri Rochefort. Elle consacrera le quart de siècle suivant à prêcher la révolution, à haranguer les foules, à brandir le drapeau noir de l’anarchisme. En 1883, aux Invalides, la manifestation de sans-travail qu’elle conduit se termine par le pillage de trois boulangeries. Elle est condamnée à six ans de prison : elle en fera trois avant d’être graciée en janvier 1886. Au mois d’août de la même année, elle est arrêtée suite à un meeting avec Jules Guesde en faveur des mineurs en grève de Decazeville et passe quatre mois en prison. En janvier 1888, elle est attaquée par un militant monarchiste à la sortie d’un meeting et blessée à la tête par balle : elle refuse de porter plainte contre son agresseur. En avril 1890, elle est de nouveau arrêtée suite à une manifestation qui s’est terminée dans la violence. Elle refuse sa mise en liberté provisoire si ses coïnculpés ne sont pas eux-mêmes relâchés. Elle casse tout dans sa cellule, un médecin suggère son internement dans un asile. Elle a soixante ans, et les autorités, qui craignent un scandale, la libèrent en août.

Elle continuera ainsi — de meetings survoltés en congrès anarchistes — jusqu’à sa mort en 1905 à Marseille, à l’âge de soixante-quinze ans. Elle aura droit à des funérailles grandioses, de la gare de Lyon où on a ramené sa dépouille, jusqu’au cimetière de Levallois-Perret.

Pour produire des héroïnes flamboyantes, il faut que les époques le soient également. Le XXe siècle, malgré deux guerres mondiales, n’a plus vraiment fourni l’occasion de monter sur les barricades. Mai 68 ne fut pas la Commune. Arlette Laguillier aurait pu tenir le rôle de Louise Michel, mais il n’y a plus de vraies barricades où faire le coup de feu. Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron furent moins, dans les années « Action directe », des icônes de la Révolution que deux malheureuses desperadas égarées dans un combat terroriste d’arrière-garde.

Nous voilà donc dans la banalité des temps de paix. Mais de ces épisodes héroïques du passé il reste à Paris quelque chose qui ressemble à une tradition : en des temps reculés où sans exception le pouvoir était monopolisé par les hommes, et le devant de la scène occupé par eux, des femmes exceptionnelles ont joué à Paris un rôle déterminant, se sont imposées sur le plan des idées, ont bravé les conventions, et l’opinion, pourtant conservatrice, les porta en triomphe. Peut-être étaient-elles le reflet d’une éternelle contradiction française et parisienne : ici on se résigne davantage qu’ailleurs à des régimes politiques autoritaires car on les estime nécessaires au maintien de l’ordre, et à des gouvernants corrompus car on connaît la faiblesse humaine. Mais, de temps à autre, on se réjouira de l’irruption d’un militant exalté et talentueux qui vitupère l’ordre établi, prêche le bonheur pour tous et la société idéale. Et tant mieux si le rebelle est une femme.

Au XXe siècle, les militantes ont disparu, mais au profit de quelques artistes et romancières. La littérature occupe, on l’a dit et répété, une place prééminente dans le système de valeurs national et sur la scène parisienne — alors que, sauf exception, les écrivains anglo-saxons ne sont jamais devenus des personnages publics, pas plus que les romancières anglaises, telles Jane Austen ou les sœurs Brontë, qui se sont presque cachées pour écrire. À Paris, on le sait, les grands romanciers deviennent — ou ont longtemps été — des personnages publics et médiatisés. Par le biais de la littérature, plusieurs femmes ont donc à leur tour occupé le devant de la scène et joué un rôle majeur. Pour aller vite on se contentera de citer, outre Colette, Simone de Beauvoir — l’un des Français les plus connus à l’étranger —, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Françoise Sagan. À quoi on ajoutera deux scandaleuses déjà citées ailleurs : Catherine Millet pour son étonnant récit, La Vie sexuelle de Catherine M. et Régine Deforges qui posait nue dans Lui à la fin des années 1960 et publiait alors des classiques licencieux dans un pays de censure. Plus tôt dans le siècle, Coco Chanel avait ouvert la voie.

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Op. cit.

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Louise Michel, La Commune, histoire et souvenirs, La Découverte, 1999. Henry Murger était l’auteur de La Vie de bohème, dont Puccini tirera le célèbre opéra.