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Dans un registre plus classique, on ajoutera dans le désordre l’avocate Gisèle Halimi, la sémiologue Julia Kristeva, célèbre aux États-Unis, ou Rachida Dati, dont la trajectoire personnelle a été passablement romanesque. L’héroïne parisienne est toujours un peu mal-pensante, iconoclaste, irrespectueuse de l’opinion. Certaines donnent dans la tragédie et le fantasque, telle Sarah Bernhardt, d’autres préfèrent le genre voyoute, telle Arletty, qui fut l’incarnation idéale de la Parisienne délurée et spirituelle et le resta, même si elle avait fait preuve de légèreté pendant l’Occupation en donnant son cœur à un officier allemand quand il ne le fallait pas. Mais elle assuma et, devant ses juges, fit preuve de tant d’humour que personne ne lui en tint vraiment rigueur.

Paris est un microcosme où, depuis longtemps, il se passe des choses étonnantes en matière de mœurs. Le 16 mars 1914, une bourgeoise élégante se présente au Figaro et demande une audience à son directeur, Gaston Calmette. Il s’agit d’Henriette Caillaux, seconde épouse d’un homme clé de la IIIe République, Joseph Caillaux, président du parti radical et ministre des Finances. Depuis des semaines, Le Figaro mène une campagne forcenée contre son mari, publie des lettres de caractère privé, menace d’en publier de nouvelles le 17 mars. La veille du jour fatidique, Mme Caillaux est donc introduite dans le bureau de Calmette. De son manchon elle sort un petit browning et vide le chargeur sur le directeur, qui reçoit quatre balles à bout portant et décède le soir même à l’hôpital.

Que croyez-vous qu’il arriva ? Certes, le procès aux assises avait été fixé au 20 juillet 1914, et les menaces de guerre étaient déjà dans toutes les têtes. Certes, Joseph Caillaux — qui venait d’être réélu aux législatives d’avril-mai malgré le scandale — avait des amis et de l’influence. Certes, les magistrats avaient été choisis avec soin et l’avocat général fit preuve d’une étrange mansuétude dans son réquisitoire. Mais tout de même. Le 27 juillet, Henriette Caillaux fut purement et simplement acquittée, son célèbre avocat Fernand Labori ayant plaidé le « crime passionnel », mais aussi l’« égarement » féminin. On discute encore pour savoir si le tribunal n’avait pas fait preuve d’une misogynie encore plus pernicieuse en considérant la meurtrière comme irresponsable pour la seule raison qu’elle était une femme.

Le verdict provoqua un petit scandale. Cela ne dura pas car quatre jours plus tard Jean Jaurès était assassiné, et la France entrait en guerre. Par la suite Henriette Caillaux devint une distinguée historienne de l’art, diplômée de l’École du Louvre où elle se spécialisa dans l’œuvre du sculpteur Jules Dalou. Quant à Joseph Caillaux, il poursuivit une carrière politique de premier plan. En 1940 il présidait encore la commission des Finances de l’Assemblée et, comme bien d’autres, vota en juillet les pleins pouvoirs à Pétain avant de se retirer dans sa Sarthe natale où il mourut en 1944.

Il y a des moments à Paris où la réalité, même dans les hautes sphères de la société, ressemble à un scénario de François Truffaut, l’homme qui aimait les femmes.

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Libertinages

Pratiquement où que vous soyez dans le monde, il suffit de prononcer le mot Paris pour que des sourires entendus — ou nostalgiques — apparaissent sur le visage de vos interlocuteurs. Paris, c’est la ville des jeux amoureux, de l’érotisme et des passions incendiaires.

Dans une comédie sentimentale délicieusement acidulée de 1957, Love in The Afternoon, Gary Cooper et Audrey Hepburn se retrouvaient au Ritz, dans les méandres d’une intrigue aussi improbable que jubilatoire. Billy Wilder, le réalisateur du film, résumait la vraie nature de Paris en guise de prologue :

Un : « Voici Paris ! » dit une voix off. Là-dessus apparaissent trois cartes postales montrant successivement la tour Eiffel, Notre-Dame et l’Arc de triomphe. Que du solide.

Deux : « Que font les gens à Paris ? » Réponse : « Ils s’aiment ! » Là-dessus les saynètes défilent :

« Les jeunes s’aiment ! »

« Les vieux s’aiment ! »

« Ils s’aiment rive droite ! »

« Ils s’aiment rive gauche ! »

D’où il ressort que « les bouchers aiment », de même que les policiers, les commerçants, les employés des pompes funèbres (démonstration sur une jeune veuve à voilette). « Il arrive même, conclut Billy Wilder dans ce prologue, que des existentialistes s’aiment ! » — scène à une terrasse avec un ténébreux à cheveux longs et une tragédienne en noir avec lunettes de soleil.

Morale de l’histoire : « Ils ne s’aiment pas mieux que les autres. Mais ils s’aiment plus souvent ! »

Une litanie volontaire de clichés, mais au troisième degré, concoctés à l’intention du public américain par un réalisateur viennois émigré aux États-Unis qui se moque aussi bien de la frivolité parisienne que des idées toutes faites et des préjugés éculés entretenus par ses compatriotes sur cette ville si amorale.

Ce ne sont pas seulement les ressortissants des pays nordiques et protestants qui notent cette tendance au libertinage, pour s’en étonner, mais aussi de jeunes femmes originaires d’Argentine, de Grèce et même d’Italie qu’on entend faire l’éloge de cette ville « de l’amour » où elles rêvent d’aller au plus vite !

Comme on cherche toujours ailleurs ce qu’on n’a pas, les Françaises évoqueront, au chapitre des rêveries langoureuses, mais à la blague, le latin lover, le Romain raffiné, l’Andalou aux yeux de braise. Mais curieusement, Madrid ne figure nulle part dans le palmarès international des villes romantiques, et ni Rome ni Venise ne font vraiment concurrence à Paris. On passera un week-end à Rome et on fera un voyage de fiançailles ou de noces à Venise, sans plus. La ville de l’amour restera toujours Paris — malgré une météo presque aussi maussade qu’à Londres, mais le secret en est jalousement gardé. Et quand on dit amour, on ne veut pas dire mariage bien entendu. On parle de liaisons sulfureuses, de passions torrides, de fruit défendu. Paris c’est la capitale du péché joyeux, consommé dans l’élégance et la légèreté. C’est la ville des courtisanes célèbres, de Ninon de Lenclos, de Marion Delorme et de la Dame aux camélias, c’est le royaume de l’amour libre et des libres penseurs, du french cancan, des alcôves et de l’existentialisme.

Napoléon était un homme à femmes, et sa passion pour Joséphine fut à elle seule un palpitant feuilleton. Le factieux général Boulanger, après avoir renoncé à prendre d’assaut l’Élysée en janvier 1889 à la tête de ses partisans, alla se suicider trois mois plus tard sur la tombe de sa maîtresse à Bruxelles. Au moment où le règne victorien n’en finissait toujours pas de se terminer en Angleterre, Félix Faure mourait en 1899 en pleins transports amoureux dans le palais présidentiel en compagnie de Mme Steinhell, célèbre amoureuse de son époque. Tous les grands dirigeants français ne furent pas aussi ardents. Ni Louis-Philippe, ni René Coty, ni Charles de Gaulle ne laissèrent de grande réputation à cet égard — mais la légende évoquant des scènes de batifolage sous les lambris dorés des palais nationaux est si tenace que les Français en arrivent à croire que la plupart des hommes d’État se sont livrés, sinon à la débauche, du moins au marivaudage, sans que cela scandalise personne. Valéry Giscard d’Estaing eut, de notoriété publique, une vie sentimentale active. Quant à François Mitterrand, la complexité de sa vie personnelle et la persistance de son attirance pour le beau sexe réussirent à impressionner ses contemporains, dans un sens favorable bien entendu. On dira que le président Kennedy manifestait à la Maison-Blanche une belle vigueur sexuelle, mais il fut une exception, car ni Roosevelt, ni Truman (même si on l’a vu jouer du piano en présence d’une Lauren Bacall élégamment juchée sur le haut de l’instrument), ni Eisenhower, ni même Richard Nixon ne commirent des écarts de conduite majeurs. À la fin des années 1970, on vit le président Jimmy Carter confesser — dans une interview à la revue Playboy ! — qu’il avait déjà eu « des pensées coupables à la vue d’autres femmes » que la sienne. Reagan n’était pas trop volage. Bill Clinton était un coureur de jupons frénétique, et de fortes pulsions le poussaient à commettre des imprudences, mais les fautes qu’on lui reprochait auraient à peine fait la matière d’entrefilets dans les journaux satiriques parisiens. Quand on le soumit publiquement à la question pour quelques frasques avec Monica Lewinsky, la France entière assista au spectacle avec sidération. Vingt ans plus tôt, le célèbre cardinal-jésuite Daniélou était allé mourir subitement chez une paroissienne qui était également une dame de petite vertu. Il créa un précédent si respectable qu’il est désormais interdit, même à l’archevêché de Paris, de s’offusquer pour d’innocentes incartades amoureuses.