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«C'était vraiment bien, dans le jacuzzi, tout à l'heure… dit Bruno. Nous n'avons pas dit un mot; au moment où j'ai senti ta bouche, je n'avais pas encore distingué les traits de ton visage, ïl n'y avait aucun élément de séduction, c'était quelque chose de très pur.

– Tout repose sur les corpuscules de Krause…» Christiane sourit. «Il faut m'excuser, je suis professeur de sciences naturelles.» Elle but une gorgée de Bushmills… «La hampe du clitoris, la couronne et le sillon du gland sont tapissés de corpuscules de Krause, très riches en terminaisons nerveuses. Lorsqu'on les caresse, on déclenche dans le cerveau une puissante libération d'endorphines. Tous les hommes, toutes les femmes ont leur clitoris et leur gland tapissés de corpuscules de Krause - en nombre à peu près identique, jusque-là c'est très égalitaire; mais il y a autre chose, tu le sais bien. J'étais très amoureuse de mon mari. Je caressais, je léchais son sexe avec vénération; j'aimais le sentir en moi. J'étais fière de provoquer ses érections, j'avais une photo de son sexe dressé, que je conservais tout le temps dans mon portefeuille; pour moi c'était comme une image pieuse, lui donner du plaisir était ma plus grande joie. Finalement, il m'a quittée pour une plus jeune. J'ai bien vu tout à l'heure que tu n'étais pas vraiment attiré par ma chatte; c'est déjà un peu la chatte d'une vieille femme. L'augmentation du pontage des collagènes chez le sujet âgé, la fragmentation de l'élastine au cours des mitoses font progressivement perdre aux tissus leur fermeté et leur souplesse. A vingt ans, j'avais une très belle vulve; aujourd'hui, je me rends bien compte que les lèvres et les nymphes sont un peu pendantes.»

Bruno termina son verre; il ne trouvait absolument rien à lui répondre. Peu après, ils s'allongèrent. Il passa un bras autour de la taille de Christiane; ils s'endormirent.

8

Bruno s'éveilla le premier. Très haut dans les arbres, un oiseau chantait. Christiane s'était découverte pendant la nuit. Elle avait de jolies fesses, encore bien rondes, très excitantes. Il se souvint d'une phrase de La Petite Sirène, il avait chez lui un vieux 45 tours, avec la Chanson des matelots interprétée par les frères Jacques. C'était après qu'elle avait subi toutes ses épreuves, qu'elle avait renoncé à sa voix, à son pays natal, à sa jolie queue de sirène; tout cela dans l'espoir de devenir une vraie femme, par amour du prince. Elle était déposée par la tempête sur une plage au milieu de la nuit; là, elle buvait l'élixir de la sorcière. Elle se sentait comme coupée en deux, la souffrance était si déchirante qu'elle perdait connaissance. Il y avait ensuite quelques accords musicaux très différents, qui semblaient ouvrir sur un paysage nouveau; puis la récitante prononçait cette phrase qui avait si vivement frappé Bruno: «Quand elle s'éveilla, le soleil brillait, et le prince était devant elle.»

II repensa ensuite à sa conversation de la veille avec Christiane, et se dit qu'il parviendrait peut-être à aimer ses lèvres un peu pendantes, mais douces. Comme chaque matin au réveil et comme la plupart des hommes, il bandait. Dans le demi-jour de l'aube, au milieu de la masse épaisse et ébouriffée de ses cheveux noirs, le visage de Christiane paraissait très pâle. Elle ouvrit légèrernent les yeux au moment où il la pénétrait. Elle parut un peu surprise, mais écarta les jambes. Il commença à bouger en elle, mais s'aperçut qu'il devenait de plus en plus mou. Il en ressentit une grande tristesse, d'inquiétude et de honte. «Tu préfères que je mette un préservatif? demanda-t-il. - Oui, s'il te plaît. Ils sont dans la trousse de toilette à côté.» II déchira l’emballage; c'était des Durex Technica. Naturellement, dès qu'il fut dans le latex, il débanda complètement. «Je suis désolé, fit-il, je suis vraiment désolé. - Ça ne fait rien, dit-elle doucement, viens te coucher.» Décidément, le sida avait été une vraie bénédiction pour les hommes de cette génération. II suffisait parfois de sortir la capote, leur sexe mollissait aussitôt. «Je n'ai jamais réussi à m'y faire…» Cette mini-cérémonie accomplie, leur virilité sauvegardée dans son principe, ils pouvaient se recoucher, se blottir contre le corps de leur femme, dormir en paix.

Après le petit déjeuner ils descendirent, longèrent la pyramide. Il n'y avait personne au bord de l'étang. Ils s'allongèrent dans la prairie ensoleillée; Christiane lui retira son bermuda et commença à le branler. Elle branlait très doucement, avec beaucoup de sensibilité. Plus tard, lorsqu'ils furent entrés grâce à elle dans le réseau des couples libertins, Bruno devait s'en rendre compte: c'était une qualité extrêmement rare. La plupart des femmes dans ce milieu branlaient avec brutalité, sans la moindre nuance. Elles serraient beaucoup trop fort, secouaient la bite avec une frénésie stupide, probablement dans le but d'imiter les actrices de films porno. C'était peut-être spectaculaire à l'écran, mais le résultat tactile était franchement quelconque, voire douloureux. Christiane au contraire procédait par effleurements, mouillait régulièrement ses doigts, parcourait avec douceur les zones sensibles. Une femme en tunique indienne passa près d'eux et vint s'asseoir au bord de l'eau. Bruno inspira profondément, se retint de jouir. Christiane lui sourit; le soleil commençait à être chaud. Il se rendit compte que sa deuxième semaine au Lieu allait être très douce. Peut-être même est-ce qu'ils allaient se revoir, vieillir ensemble. De temps en temps elle lui donnerait un petit moment de bonheur physique, ils vivraient tous deux le déclin du désir. Quelques années passeraient ainsi; puis ce serait fini, ils seraient vieux; pour eux, la comédie de l'amour physique serait terminée.

Pendant que Christiane prenait une douche, Bruno étudia la formule du soin «protection jeunesse aux micro-capsules» qu'il venait d'acheter la veille au centre Leclerc. Alors que l'emballage extérieur mettait surtout en avant la nouveauté du concept «micro-capsules», la notice d'emploi, plus exhaustive, distinguait trois actions: filtrage des rayons solaires nocifs, diffusion tout au long de la journée de principes hydratants actifs, élimination des radicaux libres. Au milieu de sa lecture il fut interrompu par l'arrivée de Catherine, l'ex-féministe recyclée dans les tarots égyptiens. Elle revenait, et n'en fit pas mystère, d'un atelier de développement personnel, Dansez votre job. Il s'agissait de trouver sa vocation à travers une série de jeux symboliques; ces jeux permettaient peu à peu de dégager le «héros intérieur» de chaque participant. À l'issue de la première journée il apparaissait que Catherine était un peu sorcière, mais également un peu lionne; cela aurait dû, normalement, l'orienter vers un poste de responsabilité dans les forces de vente.