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De retour à Paris ils connurent des instants joyeux, analogues aux publicités de parfum (dévaler ensemble les escaliers de Montmartre, ou s'immobiliser, enlacés, sur le pont des Arts, subitement illuminés par les projecteurs des bateaux-mouches qui effectuent leur demi-tour). Ils connurent aussi ces demi-disputes du dimanche après-midi, ces moments de silence où le corps se recourbe entre les draps, ces plages de silence et d'ennui où la vie se défait. Le studio d'Annabelle était sombre, il fallait allumer dès quatre heures de l'après-midi. Ils étaient tristes, parfois, mais surtout ils étaient graves. Ils savaient l'un comme l'autre qu'ils vivaient leur dernière véritable relation humaine, et cette sensation donnait quelque chose de déchirant à chacune de leurs minutes. Ils éprouvaient l'un pour l'autre un grand respect et une immense pitié. Certains jours pourtant, pris dans la grâce d'une magie imprévue, ils traversaient des moments d'air frais, de grand soleil tonique, mais le plus souvent ils sentaient qu'une ombre grise s'étendait en eux, sur la terre qui les portait, et en tout ils apercevaient la fin.

20

Bruno et Christiane étaient eux aussi rentrés à Paris, le contraire n'aurait pas été concevable. Le matin de la reprise il pensa à ce médecin inconnu qui leur avait fait ce cadeau inouï: deux semaines d'arrêt-maladie injustifiées, puis il reprit le chemin de ses bureaux rue de Grenelle. En arrivant à l'étage il prit conscience qu'il était bronzé, en pleine forme, et que la situation était ridicule, il prit également conscience qu'il s'en foutait. Ses collègues, leurs séminaires de réflexion, la formation humaine des adolescents, l'ouverture à d'autres cultures… tout cela n'avait plus la moindre importance à ses yeux. Christiane lui suçait la bite et s'occupait de lui lui quand il était malade, Christiane était importante. Il sut à cette même minute qu'il ne reverrait jamais son fils.

Patrice, le fils de Christiane, avait laissé l'appartement dans un bordel épouvantable: des parts de pizza écrasées, des boîtes de Coca, des mégots jonchaient le sol, carbonisé par places. Elle hésita un moment, faillit aller à l'hôtel, puis elle décida de nettoyer, de reprendre. Noyon était une ville sale, inintéressante et dangereuse, elle prit l'habitude de venir à Paris tous les week-ends. Presque chaque samedi ils allaient dans une boîte pour couples - le 2+2, Chris et Manu, les Chandélles. Leur première soirée chez Chris et Manu devait laisser à Bruno un souvenir extrêmement vif. À côté de la piste de danse il y avait plusieurs salles, baignées d'un étrange éclairage mauve, des lits étaient disposés côte à côte. Partout autour d'eux des couples baisaient, se caressaient ou se léchaient. La plupart des femmes étaient nues, certaines avaient gardé un chemisier ou un tee-shirt, ou s'étaient contentées de retrousser leur robe. Dans la plus grande des salles, il y avait une vingtaine de couples. Presque personne ne parlait, on n'entendait que le bourdonnement du climatiseur et le halètement des femmes qui approchaient de la jouissance. Il s'assit sur un lit juste à côté d'une grande brune, aux seins lourds, qui était en train de se faire lécher par un type d'une cinquantaine d'années qui avait conservé sa chemise et sa cravate. Christiane déboutonna son pantalon et commença à le branler tout en regardant autour d'elle. Un homme s'approcha, passa une main sous sa jupe. Elle dégrafa l'attache, la jupe glissa sur la moquette, elle ne portait rien en dessous. L'homme s'agenouilla et commença à la caresser pendant qu'elle branlait Bruno. Près de lui, sur le lit, la brune gémissait de plus en plus fort, il prit ses seins entre ses mains. Il bandait comme un rat. Christiane approcha sa bouche, commença à titiller le sillon et le frein de son gland avec la pointe de la langue. Un autre couple vint s'asseoir à leurs côtés, la femme, une petite rousse d'une vingtaine d'années, portait une minijupe en skaï noir. Elle regarda Christiane qui le léchait, Christiane lui sourit, releva son tee-shirt pour lui montrer ses seins. L'autre retroussa sa jupe, découvrant une chatte fournie, aux poils également roux. Christiane prit sa main et la guida jusqu'au sexe de Bruno. La femme commença à le branler, cependant que Christiane approchait à nouveau sa langue. En quelques secondes, pris par un soubresaut de plaisir incontrôlable, il éjacula sur son visage. Il se redressa vivement, la prit dans ses bras. «Je suis désolé, dit-il. Désolé.» Elle l'embrassa, se serra contre lui, il sentit son sperme sur ses joues. «Ça ne fait rien, dit-elle tendrement, ça ne fait rien du tout. Tu veux qu'on s'en aille?» proposa-t-elle un peu plus tard. Il acquiesça tristement, son excitation était complètement retombée. Ils se rhabillèrent rapidement et partirent tout de suite après.

Les semaines suivantes il parvint à se contrôler un peu mieux et ce fut le début d'une bonne période, une période heureuse. Sa vie avait maintenant un sens, limité aux week-ends passés avec Christiane. Il découvrit un livre au rayon santé de la FNAC, écrit par une sexologue américaine, qui prétendait apprendre aux hommes à maîtriser leur éjaculation par une série d'exercices gradués. Il s'agissait essentiellement de tonifier un petit muscle en arc situé juste en dessous des testicules, le muscle pubbo-coccygien. Par une contraction violente de ce muscle juste avant l'orgasme, accompagnée d'une inspiration profonde, il était en principe possible d'éviter l'éjaculation. Bruno commença à faire les exercices, c'était un but, qui méritait qu'on s'y attache. À chacune de leurs sorties il était stupéfait de voir des hommes, parfois plus âgés que lui, qui pénétraient plusieurs femmes d'affilée, se faisaient branler et sucer pendant des heures sans jamais perdre leur érection. Il était également gêné de constater que la plupart avaient des queues beaucoup plus grosses que la sienne. Christiane lui répétait que ça ne faisait rien, que ça n'avait aucune importance pour elle. Il la croyait, elle était visiblement amoureuse, mais il lui semblait également que la plupart des femmes rencontrées dans ces boîtes éprouvaient une légère déception lorsqu'il sortait son sexe. Il n'y eut jamais aucune remarque, la courtoisie de chacun était exemplaire, l'ambiance amicale et polie, mais il y avait des regards qui ne trompaient pas, et peu à peu il se rendait compte que, sur le plan sexuel non plus, il n'était pas tout à fait à la hauteur. II éprouvait pourtant des moments de plaisir inouïs, fulgurants, à la limite de l'évanouissement, qui lui arrachaient des hurlements véritables, mais cela n'avait rien à voir avec la puissance virile, c'était plutôt lié à la finesse, à la sensibilité des organes. Par ailleurs il caressait très bien, Christiane le lui disait, et il savait que c'était vrai, il était rare qu'il ne parvienne pas amener une femme à l'orgasme. Vers la mi-décembre il se rendit compte que Christiane maigrissait un peu, que son visage se couvrait de plaques rouges. Sa maladie de dos ne s'arrangeait pas, dit-elle, elle avait été obligée d'augmenter les doses de médicaments, cette maigreur, ces taches n'étaient que les effets secondaire; des médicaments. Elle changea très vite de sujet, il la sentit gênée, et en garda une impression de malaise. Elle était certainement capable de mentir pour ne pas l'inquiéter: elle était trop douce, trop gentille. En général le samedi soir elle faisait la cuisine, ils avaient un très bon repas, puis ils sortaient en boîte. Elle portait des jupes fendues, des petits hauts transparents, des porte-jarretelles, ou parfois un body ouvert à l'entrejambe. Sa chatte était douce, excitante, mouillée tout de suite. C'étaient des soirées merveilleuses, comme il n'aurait jamais espéré pouvoir en vivre. Parfois, lorsqu'elle se faisait prendre à la chaîne, le cœur de Christiane s'affolait, se mettait à battre un peu trop vite, elle transpirait d'un seul coup énormément, et Bruno prenait peur. Ils s'arrêtaient, alors, elle se blottissait dans ses bras, l'embrassait, lui caressait les cheveux et le cou.