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De l'avis général, le véritable trait de génie d'Hubczejak fut cependant, par une appréciation incroyablement précise des enjeux, d'avoir su retourner au profit de ses thèses cette idéologie bâtarde et confuse apparue à la fin du XX° siècle sous l'appellation de New Age. Le premier à son époque il sut voir qu'au-delà de la masse de superstitions désuètes, contradictoires et ridicules qui le constituait au premier abord, le New Age répondait à une réelle souffrance issue d'une dislocation psychologique, ontologique et sociale. Au-delà du répugnant mélange d'écologie fondamentale, d'attraction pour les pensées traditionnelles et le «sacré» qu'il avait hérité de sa filiation avec la mouvance hippie et la pensée d'Esalen, le New Age manifestait une réelle volonté de rupture avec le XXe siècle, son immoralisme, son individualisme, son aspect libertaire et antisocial; il témoignait d'une conscience angoissée qu'aucune société n'est viable sans l'axe fédérateur d'une religion quelconque; il constituait en réalité un puissant appel à un changement de paradigme.

Conscient plus que tout autre qu'il y a des compromis nécessaires, Hubczejak ne devait pas hésiter, au sein du «Mouvement du Potentiel Humain» qu'il créa dès la fin de l'année 2011, à reprendre à son compte certains thèmes ouvertement New Age, de la «constitution du cortex de Gaïa» à la célèbre comparaison «10 milliards d'individus à la surface de la planète - 10 milliards de neurones dans le cerveau humain», de l'appel à un gouvernement mondial basé sur une «nouvelle alliance» au slogan quasi publicitaire: «DEMAIN SERA FÉMININ». Il le fit avec une habileté qui a en général soulevé l'admiration des commentateurs, évitant avec soin toute dérive irrationnelle ou sectaire, sachant au contraire se ménager de puissants appuis au sein de la communauté scientifique.

Un certain cynisme traditionnel dans l'étude de l'histoire humaine tend généralement à présenter «l'habileté» comme un facteur de succès fondamental, alors qu'elle est en elle-même, en l'absence d'une conviction forte, incapable de produire de mutation réellement décisive. Tous ceux qui ont eu l'occasion de rencontrer Hubczejak, ou de l'affronter dans des débats, s'accordent à souligner que son pouvoir de conviction, sa séduction, son extraordinaire charisme trouvaient leur source dans une simplicité profonde, une conviction personnelle authentique. Il disait en toutes circonstances à peu près exactement ce qu'il pensait - et chez ses contradicteurs, empêtrés dans les empêchements et les limitations issus d'idéologies désuètes, une telle simplicité avait des effets dévastateurs. Un des premiers reproches qui fut adressé à son projet tenait à la suppression des différences sexuelles, si constitutives de l'identité humaine. À cela Hubczejak répondait qu'il ne s'agissait pas de reconduire l'espèce humaine dans la moindre de ses caractéristiques, mais de produire une nouvelle espèce raisonnable, et que la fin de la sexualité comme modalité de la reproduction ne signifiait nullement - bien au contraire - la fin du plaisir sexuel. Les séquences codantes provoquant lors de l'embryogenèse la formation des corpuscules de Krause avaient été récemment identifiées, dans l'état actuel de l'espèce humaine, ces corpuscules étaient pauvrement disséminés à la surface du clitoris et du gland. Rien n'empêchait dans un état futur de les multiplier sur l'ensemble de la surface de la peau - offrant ainsi, dans l'économie des plaisirs, des sensations erotiques nouvelles et presque inouïes.

D'autres critiques - probablement les plus profondes - se concentrèrent sur le fait qu'au sein de la nouvelle espèce créée à partir des travaux de Djerzinski, tous les individus seraient porteurs du même code génétique, un des éléments fondamentaux de la personnalité humaine allait donc disparaître. À cela Hubczejak répondait avec fougue que cette individualité génétique dont nous étions, par un retournement tragique, si ridiculement fiers, était précisément la source de la plus grande partie de nos malheurs. À l'idée que la personnalité humaine était en danger de disparaître il opposait l'exemple concret et observable des vrais jumeaux, lesquels développent en effet, par le biais de leur histoire individuelle, et malgré un patrimoine génétique rigoureusement identique, des personnalités propres, tout en restant reliés par une mystérieuse fraternité - fraternité qui était justement, selon Hubczejak, l'élément le plus nécessaire à la reconstruction d'une humanité réconciliée.

Il ne fait aucun doute qu'Hubczejak était sincère lorsqu'il se présentait comme un simple continuateur de Djerzinski, comme un exécutant dont la seule ambition était de mettre en pratique les idées du maître. En témoigne par exemple sa fidélité à cette idée bizarre émise à la page 342 des Clifden Notes: le nombre d'individus de la nouvelle espèce devait rester constamment égal à un nombre premier; on devait donc créer un individu, puis deux, puis trois, puis cinq… en bref suivre scrupuleusement la répartition des nombres premiers. L'objectif était bien entendu, par le maintien d'un nombre d'individus uniquement divisible par lui-même et par l'unité, d'attirer symboliquement l'attention sur ce danger que représente, au sein de toute société, la constitution de regroupements partiels, mais il semble bien qu'Hubczejak ait introduit cette condition dans le cahier des charges sans le moins du monde s'interroger sur sa signification. Plus généralement, sa lecture étroitement positiviste des travaux de Djerzinski devait l'amener à sous-estimer constamment l'ampleur du basculement métaphysique qui devait nécessairement accompagner une mutation biologique aussi profonde - une mutation qui n'avait, en réalité, aucun précédent connu dans l'histoire humaine.

Cette méconnaissance grossière des enjeux philosophiques du projet, et même de la notion d'enjeu philosophique en général, ne devait pourtant nullement entraver, ni même retarder sa réalisation. C'est dire à quel point s'était répandue, dans l'ensemble des sociétés occidentales comme dans cette fraction plus avancée représentée par le mouvement New Age, l'idée qu'une mutation fondamentale était devenue indispensable pour que la société puisse se survivre - une mutation qui restaurerait de manière crédible le sens de la collectivité, de la permanence et du sacré. C'est dire aussi à quel point les questions philosophiques avaient perdu, dans l'esprit du public, tout réfèrent bien défini. Le ridicule global dans lequel avaient subitement sombré, après des décennies de surestimation insensée, les travaux de Foucault, de Lacan, de Derrida et de Deleuze ne devait sur le moment laisser le champ libre à aucune pensée philosophique neuve, mais au contraire jeter le discrédit sur l'ensemble des intellectuels se réclamant des «sciences humaines»; la montée en puissance des scientifiques dans tous les domaines de la pensée était dès lors devenue inéluctable. Même l'intérêt occasionnel, contradictoire et fluctuant que les sympathisants du New Age feignaient de temps à autre d'éprouver pour telle ou telle croyance issue des «traditions spirituelles anciennes» ne témoignait chez eux que d'un état de détresse poignant, à la limite de la schizophrénie. Comme tous les autres membres de la société, et peut-être encore plus qu'eux, ils ne faisaient en réalité confiance qu'à la science, la science était pour eux un critère de vérité unique et irréfutable. Comme tous les autres membres de la société, ils pensaient au fond d'eux-mêmes que la solution à tout problème - y compris aux problèmes psychologiques, sociologiques ou plus généralement humains - ne pouvait être qu'une solution d'ordre technique. C'est donc en fait sans grand risque d'être contredit qu'Hubczejak lança en 2013 son fameux slogan, qui devait constituer le réel déclenchement d'un mouvement d'opinion à l'échelle planétaire: «LA MUTATION NE SERA PAS MENTALE, MAIS GÉNÉTIQUE.»