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«- J'aime le bruit du fer contre la pierre! s'écrie Ermak en état de fureur sauvage, tout en aiguisant son poignard sur une meule. Je veux du sang, du sang! Il faut les tuer, les massacrer tous, les tailler en pièces!!!»

Après quoi Ermak, ne se sentant pas la force de survivre à sa Zouleïka, se jette dans le fleuve Irtyche, et tout s'achève là-dessus.

Lisez encore ceci, ce n'est qu'un bref passage. C'est écrit dans un esprit de description comique, au fond pour faire rire seulement:

«Connaissez-vous Ivan Prokofiévitch Joltopouzov? Celui-là même qui a mordu Prokope Ivanovitch à la jambe? Ivan Prokofiévitch est un homme d'un caractère un peu rude, mais doué de grandes vertus par ailleurs. Prokope Ivanovitch, tout au contraire, adore manger de la rave avec du miel. Du temps où il était encore lié avec Pélagie Antonovna… Mais peut-être ne connaissez-vous pas Pélagie Antonovna? C'est cette femme qui met toujours sa jupe à l'envers.»

Ça c'est de l'humour, Varinka, et quel humour! Nous nous tordions les côtes tandis qu'il nous lisait ce récit. Ah! mais c'est un gaillard celui-là, que le Seigneur lui pardonne! J'admets du reste, ma petite mère, que cette œuvre est un peu audacieuse, et trop badine aussi, mais elle est, en revanche, si saine, sans le moindre mélange d'athéisme ou de libéralisme. Il faut remarquer, ma petite mère, que Rataziaiev a une conduite excellente, ce qui explique qu'il est un écrivain admirable, pas du tout comme les autres auteurs.

Et si moi-même – c'est une idée bizarre qui me vient parfois à l'esprit – si je me mettais, mais oui, à écrire moi aussi? Qu'adviendrait-il alors? Supposons, là, par exemple, qu'un beau jour, et sans crier gare, un petit livre paraisse et s'étale en librairie avec le titre: Poèmes de Makar Diévouchkine! Eh bien! qu'en diriez-vous alors, mon petit ange? Comment le trouveriez-vous, et qu'en penseriez-vous? Pour ce qui est de moi, ma petite mère, il faut que je vous l'avoue: dès que mon livre aurait été publié, je n'oserais plus jamais mettre les pieds sur la Perspective Nevski. Je n'ose même pas y songer. Chacun pourrait me désigner du doigt en ce cas en disant: le voici, cet auteur, cet écrivain, Diévouchkine, le poète, mais c'est lui, c'est Diévouchkine en personne! Qu'adviendrait-il à ce moment, ciel! qu'adviendrait-il à cause de mes souliers? Car je dois vous confier, en passant, ma petite mère, que mes souliers sont presque toujours rapiécés, et quant aux semelles, il leur arrive souvent de bâiller de façon peu convenable. Qu'adviendrait-il le jour où tout le monde apprendrait que l'auteur Diévouchkine porte des souliers rapiécés? Quelque comtesse-duchesse viendrait à le savoir, et que dirait-elle, ma chère amie, que dirait-elle, je vous le demande? Peut-être ne s'en apercevrait-elle pas? J'imagine, en effet, que les comtesses ne s'intéressent pas aux souliers, et surtout pas aux souliers des petits fonctionnaires (car il y a enfin chaussures et chaussures). Mais on le lui raconterait, mes propres amis me trahiraient, Rataziaiev serait le premier à vendre la mèche. Il rend fréquemment visite à la comtesse V. Il prétend qu'il y va sans façons, quand le cœur lui en dit. C'est, dit-il, une femme admirable, pleine de littérature, une vraie dame. C'est un type, ce Rataziaiev. Mais j'en ai déjà assez écrit là-dessus. Je vous en parle comme ça, mon petit ange, pour l'amusement seulement, afin de vous distraire un peu. Adieu, ma tourterelle. C'est une longue lettre que je vous envoie aujourd'hui, ce qui vient du fait surtout que je suis particulièrement de bonne humeur cette fois-ci. Nous avons dîné chez Rataziaiev; ils nous ont servi de fameux vins; (ce sont des galopins, ma petite mère)… mais ce n'est pas à vous que je pourrais en parler. Je vous en prie seulement, ne pensez rien de mal de moi, Varinka. Je le dis comme cela. Je vous enverrai des livres, je vous en enverrai sûrement. Il y a, par ici, un Paul de Kock qui circule, mais Paul de Kock n'est pas pour vous, ma petite mère, on ne vous le donnera pas… nenni! Cet ouvrage ne vous convient pas. On dit que cet auteur a provoqué la noble indignation de tous les critiques de Saint-Pétersbourg. Je vous envoie une petite livre de bonbons, je les ai achetés exprès pour vous. Mangez-les, ma chère âme, et pensez à moi en croquant chacun de ces bonbons. Quant au sucre candi, ne le rongez pas, mais sucez-le, sans quoi vos dents vous feraient mal. Peut-être aimez-vous aussi les fruits confits? Dites-le moi en ce cas. Adieu maintenant, adieu. Que le Seigneur soit avec vous, ma tourterelle. Quant à moi, je demeurerai toujours

votre ami le plus sûr,

Makar DIÉVOUCHKINE.

* * * * *

27 juin.

Cher Monsieur Makar Diévouchkine!

Fédora assure que si je le voulais, certaines gens s'intéresseraient très volontiers à ma situation, et me procureraient une excellente place dans une famille, en qualité de gouvernante. Qu'en pensez-vous, mon ami? Faut-il que je l'accepte ou non? Il est évident que je ne vous serais plus à charge en ce cas, et l'emploi est, paraît-il, bien rétribué. Mais, d'un autre côté, cela me fait peur un peu d'aller dans une maison étrangère. Il s'agit de propriétaires fonciers. Ils voudront s'informer à mon sujet, commenceront à me questionner, deviendront curieux… Que leur dirai-je alors? Avec cela, je suis extrêmement sauvage et farouche dans le monde. J'aime les coins où j'ai longtemps vécu et je ne m'en éloigne pas volontiers. On est toujours mieux là où l'on a déjà pris ses habitudes. On a beau y tirer le diable par la queue, on y est encore mieux qu'ailleurs. En outre, ces gens habitent loin d'ici. Et Dieu sait ce qu'on y attend de moi. Peut-être m'obligera-t-on simplement à faire la bonne d'enfants! Et puis, ces gens ne m'inspirent pas confiance: c'est la troisième fois qu'ils changent de gouvernante en deux ans. Conseillez-moi, Makar Alexéievitch, je vous en supplie. Faut-il ou non que j'accepte cette offre?… Mais pourquoi donc ne venez-vous jamais me voir? C'est si rare que vous fassiez un saut chez moi. C'est tout juste si nous nous voyons le dimanche à la messe. Quel sauvage vous êtes! Tout à fait comme moi. C'est vrai que je suis presque votre parente. Vous ne m'aimez pas, Makar Alexéievitch, et je me sens souvent très triste quand je suis seule. Certains jours, particulièrement vers le crépuscule, il m'arrive de me trouver seule, toute seule. Fédora est allée faire quelques achats. Je m'assieds et je rêve, je rêve sans fin. Je revois le passé, les heures heureuses et les heures tristes. Tout surgit de nouveau dans mon esprit, les souvenirs semblent émerger du brouillard. Je revois des visages familiers (je crois parfois les voir véritablement), et celui de ma mère surtout, plus que les autres… Quels rêves je fais aussi! Je sens que ma santé est ébranlée. Je suis si faible. Ce matin, par exemple, en me levant, je me suis trouvée mal. En outre, j'ai une si mauvaise toux. Je sais, je pressens que je mourrai bientôt. Qui donc s'occupera alors de mon ensevelissement? Qui suivra mon cercueil? Qui pleurera sur moi?… Faudra-t-il que je meure dans une maison étrangère, chez des gens que je ne connais pas, dans une ville éloignée!… Dieu que la vie est triste, Makar Alexéievitch!… Pourquoi, cher ami, me bombardez-vous continuellement de bonbons? Je me demande en vérité d'où vous vient tant d'argent. Cher ami, ménagez vos ressources, au nom du ciel, ne les gaspillez pas. Fédora est en train de vendre un tapis que j'ai brodé. On nous en offre cinquante roubles en assignats. C'est un très bon prix, et je n'espérais pas en obtenir autant. Je donnerai à Fédora trois roubles d'argent et me ferai une robe pour le reste, une petite robe simple, mais chaude. Je ferai aussi un gilet pour vous, j'y travaillerai moi-même et je choisirai une bonne étoffe.