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Votre ami qui vous respecte et vous aime profondément,

Makar DIÉVOUCHKINE.

* * * * *

28 juillet.

Ma petite mère Varinka!

Oh! Varinka, Varinka! C'est sur vous que retombe le péché maintenant, et c'est sur votre conscience qu'il restera. Vous avez achevé, par votre lettre, de me mettre la cervelle sens dessus dessous, vous m'avez jeté dans la perplexité, et c'est maintenant seulement que plongeant, à tête reposée, jusqu'au plus profond de mon cœur, je me rends compte d'avoir eu raison, entièrement raison. Ce n'est pas de ma débauche que je parle ici (au diable, cette débauche, ma petite mère, et n'en parlons plus), mais du fait que je vous aime et que ce ne fut pas du tout déraisonnable de ma part de vous aimer, pas déraisonnable du tout. Je dois vous dire, ma petite mère, que vous ne savez rien. Car si vous pouviez savoir pourquoi tout cela est arrivé, et pourquoi il est juste que je vous aime, vous parleriez tout autrement. Toutes ces choses raisonnables que vous me dites, vous ne les pensez pas. Vous l'écrivez, mais c'est tout différent dans votre cœur, j'en ai la certitude.

Ma petite mère! Je ne sais plus très bien moi-même et ne me souviens pas clairement de cette histoire que j'aie eue avec les officiers. Il faut que vous sachiez, mon angelet, que j'avais passé auparavant par une période extrêmement agitée. Imaginez que depuis un mois entier je ne tenais plus que par un fil pour ainsi dire. C'était une situation qui sentait la catastrophe imminente. Je me cachais de vous et je m'efforçais même de passer inaperçu chez moi, mais ma logeuse a fait du scandale et s'est mise à crier. Cela n'aurait pas eu d'importance d'ailleurs. Qu'elle crie tant qu'elle veut, cette vilaine femme, mais il y a d'abord que cela me fait honte, et il y a ensuite qu'elle a appris, Dieu sait comment, l'existence de notre amitié. Alors elle s'est mise à crier par toute la maison, au sujet de notre liaison, des choses tellement abominables que j'en ai été glacé d'effroi et me suis bouché les oreilles. Il s'est trouvé malheureusement que les autres locataires n'ont pas bouché leurs oreilles comme moi et les ont, au contraire, ouvertes toutes grandes. Si bien qu'aujourd'hui, je ne sais plus où me cacher…

C'est tout cela, mon doux ange, c'est cette affreuse accumulation de malheurs qui m'a mené à bout et qui acheva de me briser définitivement. Voici que tout à coup j'apprends de Fédora des choses étranges: qu'un visiteur indigne se serait présenté chez vous et vous aurait offensée, par une proposition infâme. Il vous a blessée, blessée au plus profond de vous-même, je le sais, ma petite mère, car j'en juge par moi qui me sens blessé de cette façon. C'est à ce moment, mon doux ange, c'est à ce moment exactement que je perdis pied, c'est là que j'ai dévié et que j'ai roulé dans l'abîme complètement. Je me suis précipité hors de la maison, Varinka, dans une sorte de fureur inouïe. Je voulais me rendre chez cet individu abominable, chez ce pécheur sans vergogne. Je ne savais même pas exactement ce que j'allais faire, parce que je ne peux pas supporter, mon petit ange, qu'on vous offense. Oh! que c'était triste, et je me sentais si misérable! Justement, il pleuvait ce jour-là, partout de la boue, une atmosphère morne et lugubre!… Déjà, je songeais à rentrer, renonçant à mon projet… C'est à ce moment que je suis tombé, ma petite mère. J'ai rencontré Émile, c'est-à-dire Émilien Ilitch, un fonctionnaire de notre administration, ou plutôt un ancien fonctionnaire, car il ne l'est plus maintenant, on l'a exclu du service. J'ignore ce qu'il fait actuellement, il se démène pour vivre. Nous nous sommes rencontrés, nous avons fait chemin ensemble, je l'ai suivi ensuite, et voilà comment tout ça est arrivé. Nous… mais que vous importe, Varinka, quel plaisir pouvez-vous avoir à lire le récit des malheurs d'un ami, à connaître les avatars qu'il a subis et les tentations par lesquelles il a passé? Le troisième jour, vers le soir, ce fut cet Émilien qui m'a poussé, qui m'a excité: je me suis rendu chez cet individu, chez cet officier donc. J'avais obtenu son adresse auprès du portier de notre maison. Pour dire la vérité, il y avait déjà longtemps que je l'avais noté, ce gaillard. Je le surveillais du temps encore où il logeait dans notre appartement, bref… Je me rends compte aujourd'hui que j'ai commis une inconvenance, car je n'étais pas dans mon état normal lorsqu'on lui annonça ma visite. Je dois dire, Varinka, pour être sincère, que je ne me rappelle pas exactement ce qui s'est passé alors. Je me souviens seulement qu'il y avait beaucoup de monde chez lui, c'était plein d'officiers, à moins que j'aie vu double en cet instant, Dieu sait. J'ignore aussi ce que je lui ai dit, mais je me souviens que j'ai parlé longuement, emporté par une noble indignation. C'est là, eh! oui, c'est là qu'on m'a sorti, qu'on m'a jeté au bas de l'escalier, c'est-à-dire qu'on ne m'a pas exactement jeté, mais poussé simplement. Vous savez le reste, Varinka, et dans quelles conditions je suis rentré chez moi. Voilà, c'est tout. Certes, je me suis abaissé, et mon prestige en a souffert, mais personne ne le sait, personne d'étranger à nous, en dehors de vous, personne n'est au courant. Alors c'est comme si rien n'était arrivé. Après tout, c'est peut-être ainsi, qu'en pensez-vous, Varinka? Tout ce que je sais de certain, c'est que l'an passé, dans notre service, Hyacinthe Ossipovitch s'est attaqué de la même façon à la personne de Pierre Petrovitch. Seulement, il a agi en secret, en cachette, à l'insu de tous. Il l'a fait venir dans la chambre du garde, j'ai tout observé par une fente de la porte. Là, il s'est comporté comme il convient en pareil cas, mais d'une façon noble et digne, car personne ne l'a vu en dehors de moi. Or moi, ce n'était rien, je veux dire que je ne l'ai raconté à personne. Après cet incident, Pierre Petrovitch et Hyacinthe Ossipovitch n'ont fait semblant de rien. Pierre Petrovitch est, sachez-le, un homme fier et qui tient beaucoup à sa réputation, alors il n'a rien dit, si bien qu'ils continuent actuellement à se saluer et à se serrer les mains en public. Je ne nie pas, Varinka, je n'essaierai même pas de nier que je suis tombé profondément, je ne le conteste pas. Et, ce qui est le pire, j'ai chu dans ma propre estime. Sans doute étais-je prédestiné à ce malheur depuis ma naissance, c'était le destin très certainement, et nul n'échappe à son destin en ce monde, vous le savez bien. Voilà, Varinka, voilà l'explication complète et le récit détaillé de mes malheurs et de mes avatars. Tout ça, ce sont des choses qu'on pourrait ne pas lire, à quoi bon, car cela revient au même maintenant.

Je me sens assez mal, ma petite mère, et j'ai perdu tout enjouement, toute joie de l'âme et du cœur. Aussi je me borne à vous assurer de mon attachement, de mon amour et de mon respect, et je demeure, ma très honorée, ma très chère Varvara Alexéievna,

votre très humble serviteur,

Makar DIÉVOUCHKINE.

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29 juillet.