Votre
Makar DIÉVOUCHKINE.
2 août.
Cher Monsieur Makar Alexéievitch!
Ne vous tourmentez donc pas ainsi. Avec l'aide de Dieu, tout s'arrangera. Fédora s'est procuré une masse de travail, pour elle et pour moi, et nous nous sommes mises à l'œuvre avec beaucoup d'entrain. Peut-être parviendrons-nous à surmonter de cette façon toutes les difficultés. Fédora pense qu'Anna Fiodorovna n'est pas étrangère, peut-être, à mes derniers ennuis. Mais cela m'est égal maintenant. Je me sens particulièrement gaie aujourd'hui. Vous parlez d'emprunter de l'argent – que le ciel vous en garde! Vous ne vous en sortirez plus par la suite, lorsqu'il faudra rembourser. Vous feriez mieux de vous rapprocher un peu plus de nous, de venir plus souvent nous rendre visite; et, quant à votre logeuse, n'y faites pas attention. Pour ce qui est de vos autres ennemis et persécuteurs, je suis sûre que vous vous tourmentez avec des soupçons injustes, Makar Alexéievitch! Surveillez-vous; ne vous ai-je pas dit, la dernière fois, que votre style est très saccadé depuis quelque temps. Adieu maintenant, au revoir. Je vous attends chez moi aujourd'hui, n'y manquez pas.
Votre V. D.
3 août.
Mon doux ange Varvara Alexéievna!
Je m'empresse de vous informer, mon rayon de lumière, qu'il m'est venu quelques espérances. Tout d'abord vous m'écrivez, mon petit ange, que je ne dois pas emprunter de l'argent. Mais voyons, ma colombe, je ne puis m'en passer maintenant. Ma situation à moi est déjà précaire en elle-même, et si, par malheur, il vous arrivait quelque chose avec cela? Car vous êtes de constitution faible. Je vous écris donc, en ce moment, pour vous dire qu'il est devenu indispensable d'emprunter. Par conséquent, je poursuis.
Sachez, Varvara Alexéievna, que ma place à la chancellerie est voisine de celle d'Émilien Ivanovitch. Ce n'est pas l'Émilien que vous connaissez. Celui-ci est, tout comme moi, conseiller titulaire, et nous sommes, lui et moi, les deux fonctionnaires les plus anciens de notre service; nous en sommes, en quelque sorte, les piliers. C'est une bonne âme, un homme désintéressé, mais très taciturne et qui se tient toujours à l'écart, un véritable ours! En revanche, un travailleur infatigable; et il a une de ces plumes! de la pure calligraphie anglaise. Pour dire toute la vérité, il écrit aussi bien que moi, le digne homme! Nous n'avons pas été très liés jusqu'ici, nous bornant à échanger les «bonjour» et les «au revoir» d'usage. Parfois, quand j'avais besoin d'un canif, je m'adressais à lui comme ça: «Prêtez-moi donc votre canif», lui disais-je. Bref, tout se bornait aux civilités exigées par les convenances. Voilà qu'il me dit tout à coup ce matin: «Qu'avez-vous, Makar Alexéievitch, vous paraissez pensif?» Je me suis rendu compte qu'il me voulait du bien. Alors je me suis ouvert à lui. «Voyez-vous, Emilien Ivanovitch, lui ai-je dit, il y a ceci et cela»; c'est-à-dire que je ne lui ai pas tout dit, que Dieu m'en garde! Je ne lui dirai jamais tout, le courage m'en manquerait d'ailleurs. Je me suis seulement ouvert à lui de quelques détails, lui confiant que je suis dans la gêne, et ainsi de suite. «Mais – m'a-t-il répondu – pourquoi n'empruntez-vous pas de l'argent en ce cas, mon brave? Adressez-vous donc à Pierre Petrovitch, il prête contre intérêt. Il m'en a avancé, et à un taux convenable, supportable.» Ah! Varinka, mon cœur a bondi dans ma poitrine à ces paroles. Je me mis à réfléchir, à réfléchir longuement. Qui sait? le Seigneur lui inspirera peut-être, à Pierre Petrovitch, à ce bienfaiteur, de m'accorder une avance à moi aussi. J'ai calculé ainsi que je pourrai payer ma dette à la logeuse, et vous aider également; et enfin que je pourrai améliorer quelque peu ma tenue. Car c'est une honte d'être mis de cette façon; je ne me sens plus à mon aise au bureau, sans parler de tous ces moqueurs malveillants qui ne cherchent que prétextes à vous railler. Mais laissons-les. Toutefois, il pourrait arriver que Son Excellence passe devant notre table, cela arrive de temps en temps. Il pourrait, que Dieu m'en garde, jeter un coup d'œil sur moi et s'apercevoir que je ne suis pas vêtu convenablement. Or, la propreté et la correction comptent plus que tout à ses yeux. Il ne me dira rien sans doute; mais je mourrai sur place de honte et de confusion; voilà ce qui risque d'arriver. C'est pourquoi, ayant pris mon courage à deux mains, et fourrant ma honte dans ma poche trouée, je me suis dirigé vers Pierre Petrovitch, plein d'espoir, mais tremblant de crainte à la fois, le souffle coupé par mon attente anxieuse. Eh bien, Varinka! Imaginez-vous que tout cela a fini en queue de poisson. Il était occupé à ce moment, et s'entretenait avec Thadée Ivanovitch. Je me suis approché de lui, comme ça de côté, et l'ai tiré par la manche, disant: «Pierre Petrovitch, hé! Pierre Petrovitch!» Il s'est retourné et j'ai poursuivi en lui expliquant que j'avais, comme ça, besoin de trente roubles, etc. Il n'a pas compris tout d'abord ce que je voulais. Ensuite, quand je lui expliquai la chose, il s'est mis à rire, mais n'a rien répondu et s'est tu tout simplement. J'ai répété ma demande: «Avez-vous un gage?» fit-il alors, et il se replongea dans ses écritures, poursuivant son travail sans me regarder. Je me suis troublé légèrement. «Non, ai-je répondu, non, je n'ai pas de gage, Pierre Petrovitch», et je me suis efforcé de le convaincre que je le rembourserai dès que j'aurai touché mon traitement, que je le paierai immédiatement, que ce sera pour moi un devoir sacré. Quelqu'un l'appela en cet instant. J'attendis. Il revint et commença à tailler sa plume, comme s'il ne remarquait pas ma présence. Je suis revenu à la charge: «N'y aurait-il pas moyen, Pierre Petrovitch, de quelque façon?» Il continuait de se taire et faisait semblant de ne pas m'entendre. J'ai attendu quelques instants encore, debout près de lui; puis j'ai décidé de tenter un dernier essai. Je l'ai donc tiré par la manche de nouveau. Il n'a pas dit un mot, et, ayant achevé de tailler sa plume, s'est remis à écrire. Je me suis éloigné. Voyez-vous, ma petite mère, ce sont tous des gens très dignes et très respectables sans doute, mais tellement fiers, tellement fiers, qu'on ne sait plus comment les prendre. Nous sommes trop petits pour eux, Varinka! C'est pourquoi je vous écris tout cela.
Émilien Ivanovitch s'est mis à rire quand je lui ai raconté l'histoire, et il a hoché la tête avec ça, lui aussi. En revanche, il m'a donné des espérances, le brave homme. Émilien Ivanovitch est un digne homme. Il m'a promis de me recommander à une de ses connaissances. Il s'agit de quelqu'un, Varinka, qui habite dans le quartier de Vyborg, et qui prête également à intérêt, un fonctionnaire de quatorzième classe, paraît-il. Émilien Ivanovitch prétend qu'il m'avancera la somme à coup sûr. J'irai le trouver demain, mon doux ange; j'irai le voir, qu'en pensez-vous? N'ai-je pas raison? Il est indispensable d'emprunter. La logeuse parle de me mettre à la porte et ne consent plus à me donner à dîner. Mes chaussures sont dans un état pitoyable, ma petite mère, et il me manque des boutons, et tant d'autres choses encore. Qu'arriverait-il si l'un ou l'autre de mes chefs remarquait ma tenue inconvenante? Ce serait un malheur, Varinka, un malheur, une vraie catastrophe!