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Elle a commencé d'une voix très courroucée: «Comment avez-vous pu, monsieur? Où donc aviez-vous vos yeux? C'est un document important, dont j'avais besoin d'urgence, et vous l'avez abîmé! À quoi songez-vous, voyons?» Ici, Son Excellence s'est tournée vers Eustache Ivanovitch. Je perçois, à travers un brouillard, des mots détachés qui frappent mes oreilles. «Négligence, inattention! Vous nous amenez des ennuis!» J'ouvris la bouche, j'ignore pourquoi. Je voulus demander pardon, je n'y suis pas parvenu. Fuir? Je n'osais pas l'essayer. Et alors, ma petite mère, alors il est arrivé une chose si atroce que la plume, en cet instant même, m'en tombe des mains de honte! Mon bouton, ce bouton – que le diable l'emporte – ce bouton qui ne pendait qu'à un fil, s'est détaché soudain (j'ai dû le heurter par inadvertance), a sauté, a bondi, a tournoyé, a roulé sur le plancher avec un bruit de clochette et s'est arrêté juste devant les pieds de Son Excellence! Cela, au milieu du silence général! Ce fut là toute mon explication, la seule excuse, la seule réponse que j'aie trouvé le moyen de donner; je n'osai plus rien dire ensuite. Les conséquences en furent terribles. Son Excellence s'est immédiatement avisée de mon allure et a remarqué ma tenue. Je me souvins, en cet instant, de ce que j'avais vu dans le miroir. Comme si j'avais perdu la raison, je me précipitai pour ramasser le bouton. Je crois que je ne savais plus ce que je faisais. Je me suis penché, j'ai voulu saisir le bouton, il m'échappe des mains, roule et tournoie de nouveau, et je n'arrive pas à le rattraper. Bref, j'ai brillé, de surcroît, par ma maladresse. À ce moment, je sentis que mes dernières forces m'abandonnaient, que tout était perdu désormais, perdu sans retour. Ma réputation, ma dignité, tout était fini, brisé; l'homme avait sombré tout entier! À mes oreilles, des phrases bizarres tintaient, bourdonnaient, je croyais entendre la voix de Thérèse, celle de Faldoni. Finalement, je parvins à ramasser le bouton, je me suis relevé, redressé. Si du moins, imbécile que je suis, je m'étais tenu tranquille ensuite, les mains sur les coutures de mon pantalon! Mais non! Il a fallu encore que je me mette à rattacher le bouton aux fils cassés, comme s'il pouvait tenir ainsi. Et je souriais, avec cela, je souriais! Son Excellence s'est détournée d'abord de moi, puis m'a regardé de nouveau et je l'entendis dire alors à Eustache Ivanovitch: «Comment se peut-il? Mais voyez donc l'air qu'il a!… Que lui est-il arrivé… pourquoi est-il ainsi?» Oh! ma petite mère, que devenir dans une situation pareille? «Que lui est-il arrivé… pourquoi est-il ainsi?» Ah! je me suis distingué, je puis le dire! J'entendis Eustache Ivanovitch qui parlait de moi: «Il n'a jamais donné lieu à aucune plainte, sa conduite est exemplaire, il touche un traitement suffisant, conforme aux statuts.» «En ce cas, ne pourriez-vous pas, pour l'aider un peu, lui accorder une avance?» dit Son Excellence. «C'est qu'il a déjà touché son traitement d'avance et pour plusieurs mois, il l'a touché jusqu'à telle date. Sans doute a-t-il eu des difficultés personnelles, mais sa conduite a été bonne, il ne s'est jamais fait remarquer en rien, n'a pas encouru de reproches.» J'avais chaud, mon doux ange, les flammes de l'enfer me léchaient le visage, je pensais que j'allais mourir sur place. «Soit, reprit Son Excellence à voix haute, qu'on établisse une nouvelle copie de cette pièce, mais vite! Diévouchkine, venez par ici, vous recopierez ce papier, mais sans faute cette fois. À propos…» Son Excellence se tourna à ce moment vers les autres personnes présentes et leur donna diverses instructions. Elles se dispersèrent. À peine étaient-elles parties que Son Excellence tira hâtivement son portefeuille, en sortit un billet de cent roubles. «Voici, dit-il, je vous donne ce que je peux, prenez-le sans façon, vous pourrez me le rendre plus tard», et il me mit le billet dans la main. J'ai tressailli, mon ange, et mon âme a été comme secouée. Je ne savais pas ce qui m'arrivait. Je voulus prendre sa main pour la baiser. Lui, il a rougi alors jusqu'aux cheveux; je vous jure que je n'exagère pas, que je vous dis maintenant l'exacte vérité, ma petite mère: Il a saisi ma main indigne, et il l'a secouée en la serrant, il l'a secouée comme cela, je vous le dis, comme si j'étais son égal, comme si j'étais un général, moi aussi. «Allez, me dit-il ensuite, j'ai fait ce que j'ai pu… Ne commettez plus d'erreurs à l'avenir, et pour cette fois, à tout péché miséricorde.»

Et maintenant, ma petite mère, voici ce que j'ai décidé: Je vous demande, à vous et à Fédora, comme je le demanderais, comme je l'exigerais de mes enfants si j'en avais, de prier Dieu pour Son Excellence. C'est-à-dire que ce serait de la façon suivante: ils ne prieraient pas pour leur père, mais ils diraient tous les jours, et durant toute l'éternité, une prière pour Son Excellence. Il y a une chose encore que je désire exprimer, ma petite mère, et je l'affirme ici solennellement. Écoutez-moi bien, ma petite mère: Je jure ici que, si grande qu'ait été ma souffrance dans les sombres jours de notre misère, si profonde qu'ait été l'affliction de mon cœur lorsque je pensais à vous, que je voyais vos malheurs ou que je prenais conscience de ma propre situation, de mon humiliation et de mon incapacité, je vous jure, en dépit de tout cela, que ce ne sont pas tant ces cent roubles qui me réjouissent, mais le fait que Son Excellence a daigné serrer ma main indigne, ma main à moi, brin d'herbe que je suis, ivrogne que je suis! Il m'a rendu par là le respect de moi-même. Il a ressuscité mon âme par ce geste, a rendu ma vie plus douce pour l'éternité; je suis fermement convaincu, si grand pécheur que je sois aux yeux du Très-Puissant, que ma prière pour le bonheur et le succès de Son Excellence montera jusqu'au trône du Seigneur!…

Ma petite mère! Je me trouve en ce moment dans un terrible bouleversement moral, je me sens tout remué en dedans. Mon cœur bat comme s'il voulait s'élancer hors de ma poitrine. Avec cela, il me vient une sorte de faiblesse dans tout le corps. Je vous envoie quarante-cinq roubles en assignats, je remettrai vingt roubles à ma logeuse, et j'en garderai trente-cinq pour moi-même: pour vingt roubles, je ferai réparer mes vêtements, et il me restera quinze roubles encore pour les dépenses courantes. Mais toutes ces impressions qui se sont accumulées durant la matinée m'ont ébranlé de fond en comble, m'ont secoué par les racines de mon être. Je vais me coucher pour me reposer un peu. Je suis tranquille d'ailleurs, très calme. Il y a seulement mon âme qui semble se briser d'émotion et je la sens là, tout au fond de mon être, qui tremble, qui tressaille, qui remue. Je viendrai vous voir. Pour l'instant, je me sens désorienté, un peu comme si j'étais ivre à la suite de toutes ces émotions… Le Seigneur voit tout, ma petite mère, Dieu voit tout, ma tourterelle adorable.

Votre digne ami,

Makar DIÉVOUCHKINE.

* * * * *

10 septembre.

Mon très cher Makar Alexéievitch,

Je me réjouis infiniment de votre bonheur et je sais apprécier comme il convient les qualités morales de votre chef, mon ami. Ainsi, vous pourrez connaître un peu d'apaisement maintenant, après tant de souffrances. Mais je vous en supplie: au nom du ciel, ne recommencez pas à dépenser de l'argent à tort et à travers. Vivez tranquillement, aussi modestement que possible, et décidez, à partir de ce jour, de mettre de côté tout ce que vous pouvez épargner, afin de ne pas être pris au dépourvu, une autre fois, par des difficultés inattendues. Pour ce qui est de nous, ne vous inquiétez pas à notre sujet, je vous en prie. Fédora et moi, nous saurons nous tirer d'affaire d'une manière ou d'une autre. Il ne fallait pas nous envoyer une somme si forte, Makar Alexéievitch! Nous n'en avons aucunement besoin. Nous sommes contentes de ce que nous avons, nous ne demandons pas davantage. Il est vrai qu'il nous faudra de l'argent prochainement pour quitter cet appartement, mais Fédora espère toucher bientôt un montant qu'on lui doit depuis très longtemps. Néanmoins, je garderai vingt roubles pour moi en prévision de besoins urgents. Quant au reste, je vous le retourne. Ménagez vos ressources, Makar Alexéievitch, croyez-moi. Adieu maintenant. Vous pouvez jouir désormais d'une vie calme, portez-vous bien et soyez gai. Je vous aurais écrit plus longuement, mais je me sens affreusement lasse. Hier, j'ai dû garder le lit toute la journée. Je vous remercie de m'avoir promis une visite. Venez me voir, Makar Alexéievitch, vous me ferez plaisir.