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Makar DIÉVOUCHKINE.

* * * * *

30 septembre.

Makar Alexéievitch, mon inestimable ami!

Les destins sont accomplis! Mon sort est décidé. J'ignore ce qu'il sera, mais je me soumets à la volonté du Seigneur. Nous partons demain. Je vous dis adieu pour la dernière fois, mon inestimable ami, mon bienfaiteur, vous qui avez été pour moi comme un père! Ne vous laissez pas accabler par mon départ, vivez heureux; souvenez-vous de moi, et que la bénédiction divine soit avec vous! Je penserai à vous souvent, très souvent, et je vous mentionnerai dans mes prières. Elle est finie maintenant, cette période de ma vie. Je n'emporte pas beaucoup de souvenirs heureux dans ma nouvelle existence; il me sera d'autant plus agréable de me rappeler ce que vous avez été pour moi, la place que vous avez dans mon cœur n'en sera que plus grande. Vous êtes mon unique ami. Vous seul m'avez aimée ici. Car j'ai tout vu, je savais combien vous m'aimiez. Mon sourire suffisait à vous rendre heureux; une seule ligne de mes lettres pouvait vous remplir de joie. Il va falloir maintenant vous déshabituer de moi. Que ferez-vous désormais dans votre vie solitaire? Qui s'occupera de vous, mon inestimable, mon unique ami? Je vous laisse mon livre, mon châssis de couture, ainsi que la lettre commencée que vous avez trouvée dans mon tiroir. Lorsque vous regarderez ces lignes inachevées, vous pourrez les compléter en pensée en y ajoutant tout ce que vous auriez aimé lire, tout ce que j'aurais pu vous écrire en réalité, et Dieu sait ce que je vous aurais écrit aujourd'hui. Pensez quelquefois à votre pauvre Varinka, qui vous a tant aimé. Toutes vos lettres sont restées dans la commode de Fédora, dans le tiroir d'en haut. Vous me dites que vous êtes malade; mais Monsieur Bykov ne veut pas que je sorte en ce moment. Je vous écrirai, mon ami, je le promets. Nul ne sait d'avance ce qui peut nous arriver. Je vous dis donc adieu pour toujours, mon ami, mon cher ami, mon frère, pour toujours!… Oh! comme je vous aurais embrassé en cet instant! Adieu, mon ami, adieu, adieu. Soyez heureux, portez-vous bien. Je prierai pour vous éternellement. Oh! que je me sens triste en cette minute; quel poids j'ai sur l'âme. Monsieur Bykov m'appelle. Votre amie qui vous aimera toujours.

V.

P.-S. Mon âme est pleine, mon âme déborde de larmes… Les sanglots comprimés dans ma poitrine m'étouffent.

Adieu.

Oh! mon Dieu, que c'est triste!

N'oubliez jamais votre malheureuse Varinka.

* * * * *

Varinka, ma petite mère, ma tourterelle, mon adorable Varinka!

On vous emmène, vous partez. Oh! ils auraient mieux fait de m'arracher le cœur de la poitrine, plutôt que de vous éloigner de moi. Comment avez-vous pu? Voyez: vous pleurez et vous partez néanmoins. Là, je viens de recevoir une lettre de vous, une lettre toute trempée de larmes. C'est donc que vous n'avez pas envie de partir. C'est donc qu'on vous emmène de force. C'est donc que vous avez pitié de moi. C'est donc que vous m'aimez! Comment allez-vous vivre maintenant, et avec qui? Là-bas, votre petit cœur se morfondra de tristesse, d'ennui et de solitude morale. La mélancolie le rongera, votre petit cœur, le chagrin le fera éclater. Vous mourrez, et on vous ensevelira dans la terre humide et froide de ce lieu étranger, et il n'y aura personne pour pleurer sur vous. Monsieur Bykov n'en aura pas le temps. Monsieur Bykov ne songera qu'à chasser les lièvres… Oh! ma petite mère, ma petite mère! Pourquoi avez-vous pris cette décision? Comment avez-vous pu vous résoudre à une telle chose? Qu'avez-vous fait, qu'avez-vous fait, quel crime vous avez commis envers vous-même! C'est la tombe que vous trouverez chez eux. Ils vous feront mourir, mon doux ange. Car vous êtes de si faible constitution, ma petite mère. Où donc étais-je pendant ce temps? Où avais-je les yeux, imbécile que je suis! Au lieu de m'opposer carrément – eh bien non! idiot, idiot que je suis, je n'ai pensé à rien, je n'ai rien vu. Comme si tout ce qui est arrivé était juste, nécessaire, comme si tout cela ne me regardait en rien. Et je me démenais durant ces jours pour un falbala… Non, Varinka, non, je ne le permettrai pas. Je me lèverai du lit. D'ici demain je serai guéri peut-être et je pourrai sortir… Je me jetterai, ma petite mère, sous les roues de la voiture, mais je ne vous laisserai pas partir. Voyons, vous n'y songez pas! De quel droit, de quel droit agit-on ainsi? Je partirai avec vous, je courrai derrière la voiture, si vous refusez de m'emmener, je courrai de toutes mes forces, jusqu'à en rendre l'âme. Vous doutez-vous seulement de ce qui vous attend là-bas, là où vous allez maintenant, ma petite mère? Peut-être l'ignorez-vous encore? Demandez-le-moi en ce cas. Vous ne verrez autour de vous que des steppes désolées, ma chère amie, des steppes, des plaines nues s'étendant à l'infini, de la terre nue comme la paume de ma main. Les paysannes qui vivent dans ce pays sont insensibles, dures, et les moujiks grossiers sont ivres tout le temps. Les arbres ont perdu leurs feuilles en cette saison; il y pleut, il y fait froid – et c'est là que vous allez! Passe pour Monsieur Bykov, qui a de quoi s'occuper: il vivra avec ses lièvres. Mais vous, vous, que ferez-vous? Vous tiendrez votre rôle d'épouse d'un grand propriétaire, ma petite mère? Voyons, mon angelet, regardez-vous: avez-vous l'air d'une femme de ce genre?… Comment tout cela a-t-il pu arriver, Varinka? À qui vais-je écrire maintenant, ma petite mère? Eh oui! vous devriez vous le demander, ma petite mère: à qui va-t-il envoyer des lettres désormais? Qui pourrai-je appeler ma petite mère, à qui devrai-je donner ce nom si doux et si tendre? Où vous retrouverai-je ensuite, mon doux ange? J'en mourrai, Varinka, j'en mourrai sûrement! Mon cœur ne supportera pas un si grand malheur! Je vous ai aimée plus que la lumière du jour; je vous ai aimée comme si vous étiez ma propre fille, j'ai tout aimé en vous, ma petite mère! C'est pour vous uniquement que je vivais d'ailleurs, pour vous seule. Je travaillais, je copiais des documents, je marchais, me promenais, je couchais mes impressions sur le papier sous forme de lettres amicales, et tout cela parce que vous habitiez, ma petite mère, en face de moi, tout près. Vous l'ignoriez peut-être, mais c'était ainsi! Mais non, écoutez-moi, ma petite mère, réfléchissez, ma tourterelle: comment pourriez-vous partir, nous quitter maintenant? Voyons, mon amie, c'est impossible, vous n'êtes pas en état de faire ce voyage; vous ne pouvez pas l'entreprendre, c'est exclu, absolument exclu! Il pleut en ce moment, et vous êtes si faible, vous prendrez froid! Votre voiture sera trempée, la pluie la traversera, c'est certain! D'ailleurs, elle se brisera, cette voiture, dès que vous aurez franchi la barrière des faubourgs. Elle se brisera exprès. Ignorez-vous donc qu'on construit très mal les châssis à Saint-Pétersbourg? Je les connais ces carrossiers: pourvu que le châssis ait du style, qu'il ressemble à un jouet bien soigné, ils ne s'inquiètent guère de sa solidité. Je jure qu'ils se brisent comme de rien! Je me jetterai à genoux devant Monsieur Bykov, ma petite mère, et je le lui prouverai, je le lui démontrerai! Et vous aussi, ma petite mère, vous le lui prouverez, vous lui expliquerez, avec des arguments raisonnables, décisifs, que vous devez rester ici, qu'il vous est impossible de partir… Oh! que n'a-t-il épousé cette commerçante de Moscou! Il aurait mieux fait de la prendre pour femme. Une commerçante lui aurait convenu davantage; c'eût été infiniment plus indiqué pour lui. Je le sais, moi, je le sais fort bien, et je sais aussi pourquoi. Quant à vous, je vous aurais gardée ici, près de moi. Que vous est-il, après tout, ce Bykov? En quoi a-t-il su vous plaire tout à coup? Serait-ce, peut-être, parce qu'il vous a acheté des tas de falbalas, est-ce la raison par hasard? Mais qu'est-ce donc qu'un falbala? À quoi sert le falbala? Vétilles que cela, ma petite mère! Il y va d'une vie humaine, tandis que le falbala, ma petite mère, n'est qu'un misérable torchon! Voilà ce que c'est, le falbala, un torchon et rien de plus! Mais moi aussi, mais moi-même, je vous en achèterai, des falbalas! Je vous en achèterai dès que j'aurai touché mon traitement. Si, si, j'en achèterai, je connais un magasin où l'on en vend. Attendez seulement que j'aie touché mon traitement, mon chérubin adoré, ma Varinka! Oh! mon Dieu, mon Dieu! Vous tenez donc absolument à partir pour les steppes avec Monsieur Bykov, vous avez irrévocablement décidé de partir, de partir sans esprit de retour! Ah ma petite mère!… Non! Vous m'écrirez encore, vous m'enverrez encore une lettre pour me décrire tout en détail, et quand vous serez loin, vous m'écrirez de là-bas également. Sinon, mon petit ange radieux, cette lettre-ci serait la dernière. Or, comment se pourrait-il que cette lettre fût la dernière? C'est impossible, voyons! Pourquoi la dernière, et pourquoi celle-ci justement? Comme ça, tout à coup? Mais non, non, j'écrirai encore, et vous aussi, vous m'écrirez… Voyez, mon style est en train de se former… Oh! mon amie, je me moque bien du style! En ce moment même, je ne sais plus ce que j'écris, je ne le sais pas, je ne sais plus rien, je ne me relis pas et je ne corrige pas mes phrases. J'écris pour écrire seulement, pour vous parler le plus longtemps possible… Oh! ma tourterelle, ma petite fille, ma petite mère!