« C’est la seule que j’ai. »
18. Pourquoi je devrais céder, alors ?
« Pas céder. Négocier. Traiter avec moi et ma faiblesse. Sinon, un jour tu devras négocier avec un autre en position de force. Le monde change.
19. Hah ! Tu veux une religion constitutionnelle ?
« Pourquoi pas ? L’autre système n’a pas marché. »
Om s’appuya sur le temple, sa colère apaisée.
Chapitre II, verset 1. Très bien, alors. Mais pour un temps seulement. Un grand sourire fendit le visage fumant gigantesque. Pendant un siècle, ça va ?
« Et au bout d’un siècle ? »
2. On verra.
« D’accord. »
Un doigt de la taille d’un arbre se déplia, descendit et toucha Frangin.
3. Tu es très convaincant. Ça te sera utile. Une flotte approche.
« Des Ephébiens ? » demanda Simonie.
4. Et des Tsortiens. Et des Johlimômiens. Et des Klatchiens. Tous les pays libres de la côte. Ils veulent anéantir Omnia pour de bon. Ou pour de mauvais.
« Vous n’avez pas beaucoup d’amis, hé ? fit Tefervoir.
— Même moi, je nous aime pas des masses, et j’en fais partie, de nous », dit Simonie. Il leva la tête vers le dieu.
« Vous allez nous donner un coup de main ? »
5. Vous ne croyez même pas en moi !
« C’est vrai, mais je suis un homme pratique. »
6. Et brave, aussi. Pour professer l’athéisme devant ton dieu.
« Ça change rien, vous savez ! fit Simonie. Croyez pas que vous arriverez à m’embobiner parce que vous existez !
— Pas de coup de main, annonça Frangin d’un ton catégorique.
— Quoi ? fit Simonie. On a besoin d’une armée puissante contre toute cette coalition !
— Oui. Et on ne l’a pas. Alors on va procéder autrement.
— Vous êtes dingue ! »
La calme de Frangin rappelait le désert.
« C’est peut-être le cas.
— Il faut se battre !
— Pas encore. »
Simonie serra les poings de colère.
« Attendez… Écoutez… On s’est fait tuer pour des mensonges, pendant des siècles on s’est fait tuer pour des mensonges. » Il agita la main en direction du dieu. « Maintenant on peut mourir pour une vérité !
— Non. Les hommes doivent mourir pour des mensonges. Mais la vérité est trop précieuse pour qu’on meure pour elle. »
La bouche de Simonie s’ouvrit et se referma silencieusement tandis qu’il cherchait ses mots. Finalement il en trouva datant des premiers temps de son éducation.
« On m’a dit qu’y avait rien de plus beau que mourir pour un dieu, marmonna-t-il.
— C’est ce que disait Vorbis. Et c’était… un imbécile. On peut mourir pour un pays, pour son peuple ou sa famille, mais pour un dieu il faut vivre pleinement et activement, chaque jour d’une longue vie.
— Longue comment ?
— On verra. »
Frangin leva les yeux vers Om.
« Tu n’apparaîtras plus comme ça ? »
Chapitre III, verset 1. Non. Une fois suffit.
« Souviens-toi du désert. »
2. Je m’en souviendrai.
« Ne me lâche pas. »
Frangin s’approcha du cadavre de Vorbis et le souleva.
« Je crois, dit-il, qu’ils vont débarquer sur la plage du côté éphébien des forts. Ils éviteront la côte rocheuse et ne passeront pas par les falaises. Je vais les retrouver là-bas. »
Il baissa les yeux sur Vorbis. « Quelqu’un doit le faire.
— Vous ne voulez pas dire que vous comptez y aller tout seul ?
— Dix mille hommes, c’est trop peu. Mais un seul suffira peut-être. »
Il descendit les marches.
Tefervoir et Simonie le regardèrent partir.
« Il va mourir, dit Simonie. Il en restera même pas une tache de gras sur le sable. » Il se tourna vers Om. « Vous pouvez pas l’en empêcher, vous ? »
3. Peut-être que ça m’est impossible.
Frangin avait déjà traversé la moitié de la place.
« Ben, nous, on le laisse pas tomber », dit Simonie.
4. Bien.
Om les regarda partir eux aussi. Puis il se retrouva seul, en dehors des milliers de badauds qui l’observaient, tassés sur le pourtour de la grande esplanade. Il regrettait de ne pas savoir quoi leur dire. Voilà pourquoi il avait besoin d’individus comme Frangin. Pourquoi tous les dieux en avaient besoin.
« Excusez-moi ? »
Le dieu baissa les yeux.
5. Oui ?
« Hum. J’peux rien vous vendre, hein ? »
6. Comment tu t’appelles ?
« Plhatah, dieu. »
7. Ah. Oui. Et quel est ton souhait ?
Le marchand, la mine inquiète, dansait d’un pied sur l’autre.
« Vous pourriez pas donner rien qu’un p’tit commandement ? Un truc comme manger du yaourt le mercredi, dites ? C’est toujours très dur de changer les habitudes, en milieu de semaine. »
8. Tu te présentes devant ton dieu pour développer ton commerce ?
« Be-en, fit Plhatah, on pourrait s’arranger. Faut battre quand l’fer est chaud, comme disent les inquisiteurs. Haha. Vingt pour cent ? Qu’est-ce que vous en dites ? Les frais déduits, évidemment… »
Le grand dieu Om sourit.
9. Je crois que tu feras un petit prophète, Plhatah.
« Voilà. Voilà. C’est tout ce que j’demande. J’veux juste joindre les deux bouffes. »
10. Il faut laisser les tortues tranquilles.
Plhatah pencha la tête de côté.
« Ça chante pas, dites ? fit-il. Mais… des colliers de tortues… hmm… des broches, évidemment. L’écaille de tortue… »
11. NON !
« Pardon, pardon. J’vois ce que vous voulez dire. D’accord. Des statues de tortues. Ou-ui. J’y ai pensé. Belle forme. À propos, vous pourriez faire bouger une statue de temps en temps, dites ? Vachement bon pour les affaires, les statues qui bougent. La statue d’Ossaire bouge à chaque Jeûne d’Ossaire, ça loupe pas. Grâce à un petit piston actionné dans le sous-sol, à ce qu’on raconte. Mais c’est tout d’même excellent pour les prophètes. »
12. Tu me fais rire, petit prophète. Vends tes tortues, bien sûr.
« J’dois dire, fit Plhatah, j’ai déjà dessiné quelques projets… »
Om disparut. Il y eut un bref coup de tonnerre. Plhatah regarda ses croquis d’un air songeur.
« … mais faudra que j’enlève l’acrobate qu’y a d’sus, j’imagine », dit-il plus ou moins pour lui-même.
L’ombre de Vorbis regarda les environs.
« Ah. Le désert », dit-il. Le sable noir était complètement immobile sous le ciel illuminé d’étoiles. Il paraissait froid.
Il n’avait pas prévu de mourir déjà. En fait… il ne se rappelait pas bien les circonstances…
« Le désert », répéta-t-il avec un semblant d’hésitation cette fois. Il n’avait jamais hésité sur rien de toute sa… vie. Une sensation inhabituelle et terrifiante. Était-ce là ce qu’éprouvait le commun des mortels ?
Il se ressaisit.
La Mort n’en revenait pas. Peu d’individus étaient capables de ce tour de force : conserver leur ancien mode de pensée après le trépas.
La Mort ne prenait pas de plaisir à son travail. C’était une émotion qu’il avait du mal à appréhender. Mais il connaissait la satisfaction.
« Bon, fit Vorbis. Le désert. Et au bout du désert… ?