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Argavisti le regarda fixement. Puis il donna un coup de coude à Borvorius.

« Qu’est-ce qu’il a dit ? »

Borvorius, plus apte à réfléchir que ses collègues, demanda : « Tu parles de reddition, là ?

— Oui. Si c’est le terme. »

Argavisti explosa.

« Vous ne pouvez pas faire ça, boudie !

— Il faut que quelqu’un le fasse. Écoutez-moi, s’il vous plaît. Vorbis est mort. Il a payé.

— Pas assez. Et vos soldats ? Ils ont voulu mettre notre cité à sac !

— Est-ce que vos soldats à vous obéissent à vos ordres ?

— Certainement !

— Et ils me mettraient tout de suite en pièces, ici même, si vous l’ordonniez ?

— Et comment !

— Et je suis désarmé », dit Frangin.

Le soleil cogna sur un silence gêné.

« Bé, quand je dis qu’ils obéiraient… commença Argavisti.

— On ne nous a pas envoyés ici pour parlementer, fit abruptement Borvorius. La mort de Vorbis, elle ne change rien d’essentiel. On est ici pour s’assurer qu’Omnia ne représente plus une menace.

— Elle n’est plus une menace. On enverra du matériel et de la main-d’œuvre pour vous aider à reconstruire Éphèbe. Et de l’or, si vous voulez. On réduira notre armée. Et ainsi de suite. Considérez-nous comme vaincus. On ouvrira même Omnia à toutes les religions qui souhaiteront bâtir des lieux saints chez nous. »

L’écho d’une voix lui retentit dans la tête, comme lorsqu’on entend quelqu’un dire dans son dos « Pose la reine rouge sur le roi noir », quand on croit jouer tout seul…

1. Quoi ?

« Pour favoriser… l’effort local », dit Frangin.

2. D’autres dieux ? Ici ?

« Le libre-échange aura cours le long de la côte. Je souhaite voir Omnia prendre sa place au sein des autres nations. »

3. Je t’ai entendu parler d’autres dieux.

« Sa place est au fond, dit Borvorius.

— Non. Ça ne marchera pas. »

4. Est-ce qu’on pourrait, s’il te plaît, revenir à la question des autres dieux ?

« Voulez-vous m’excuser un moment ? fit Frangin d’un ton joyeux. J’ai besoin de prier. »

Même Argavisti ne souleva aucune objection lorsque Frangin s’éloigna un peu sur la plage. Ainsi que le prêchait saint Ongulent à qui voulait l’écouter, la folie offrait quelques avantages. On hésite à contredire un fou, on risque d’envenimer les choses.

« Oui ? » fit Frangin tout bas.

5. Je ne crois pas me souvenir d’une discussion à propos du culte d’autres dieux à Omnia.

« Ah, mais ce sera à ton avantage. Les fidèles s’apercevront vite que les autres ne valent rien, pas vrai ? » Frangin croisa les doigts dans son dos.

6. Il s’agit de religion, mon garçon. Pas d’une foutue publicité comparative ! Tu ne soumettras pas ton dieu aux lois du marché !

« Pardon. Je vois que tu risques d’être embêté… »

7. Embêté ? Moi ? Par une bande de femmes pomponnées et de m’as-tu-vu aux muscles hypertrophiés et à la barbe frisée ?

« Très bien. C’est réglé, alors ? »

8. Je ne leur donne pas cinq minutes !… Quoi ?

« Maintenant, je ferais mieux de retourner parler à ces hommes. »

Son œil surprit un mouvement dans les dunes.

« Oh, non, dit-il. Les imbéciles… »

Il fit demi-tour et courut désespérément vers la flotte échouée.

« Non ! Ce n’est pas ça ! Écoutez ! Écoutez ! »

Mais eux aussi avaient vu l’armée.

Elle avait l’air impressionnante, peut-être plus impressionnante qu’elle n’était en réalité. Quand la nouvelle se répand que des soldats ennemis – toute une armada – ont débarqué dans l’intention de mettre à sac, de piller et – parce qu’ils appartiennent à des nations civilisées – de siffler et chahuter les femmes, de les impressionner avec leurs saletés d’uniformes tape-à-l’œil, de les courtiser avec leurs foutus biens de consommation clinquants – je ne sais pas, moi, suffit qu’on leur montre un miroir de bronze poli, aux femmes, et ça leur monte tout de suite à la tête, à croire que les gars du coin souffrent de défaillances –, aussitôt les habitants se dirigent vers les collines, ou bien se saisissent du premier objet venu du type manche de pioche, demandent à Mémé de cacher les trésors de la famille dans sa culotte et se préparent à la contre-attaque.

Et, en tête, la charrette de fer. De la vapeur s’échappait à flots de sa cheminée. Tefervoir avait dû la remettre en état de marche.

« Quelle idiotie ! Quelle idiotie ! » s’écria Frangin à l’ensemble du monde, et il continua de courir.

La flotte se plaçait déjà en ordre de bataille, et son commandant, quel qu’il fût, n’en revenait pas de voir un assaut manifeste lancé par un seul homme.

Borvorius l’attrapa alors qu’il se précipitait vers un rang de piques.

« Je comprends, fit-il. Tu nous as fait causer pendant que tes soldats prenaient position, hé ?

— Non ! Je ne voulais pas ça ! »

Les yeux de Borvorius s’étrécirent. Il n’avait pas survécu aux nombreuses guerres de son existence en étant bête.

« Non, dit-il, peut-être pas. Mais ça n’a pas d’importance. Écoute-moi, mon petit prêtre innocent. Parfois, il faut une guerre. Quand les choses vont trop loin, les discours, ça ne sert à rien. Il y a… d’autres moyens de convaincre. Maintenant… retourne avec les tiens. Nous serons peut-être tous les deux en vie quand ce sera fini, et alors on pourra causer. On se bat d’abord, on discute après. C’est comme ça que ça marche, petit. C’est de l’histoire, ça. Maintenant, va-t’en. »

Frangin s’en alla.

1. Je les châtie de ma colère divine ?

« Non ! »

2. Je pourrais les réduire en poussière. Tu n’as qu’à demander.

« Non. C’est pire que la guerre. »

3. Mais tu as dit qu’un dieu doit protéger ses fidèles…

« Qu’est-ce que nous serions si je te demandais d’anéantir des hommes honnêtes ?

4. On ne les crible pas de flèches ?

« Non. »

Les Omniens s’assemblaient dans les dunes. Un grand nombre s’étaient regroupés autour de la charrette blindée de fer. Frangin la regarda à travers un brouillard de désespoir. « J’avais pourtant dit que j’irais seul, non ? » fit-il. Simonie, adossé à la tortue, lui fit un sourire sinistre. « Ç’a marché ? demanda-t-il.

— Je crois… que non.

— Je l’savais. Navré pour vos illusions. Les choses, quand elles veulent se produire… voyez ? Des fois, on a des gens face à face et… ça y est.

— Mais si seulement ils…

— Ouais. Ça ferait un bon commandement. »

Il y eut un bruit métallique, et une écoutille s’ouvrit dans le flanc de la Tortue. Tefervoir en émergea à reculons, une clé à molette à la main.

« C’est quoi, cet engin ? demanda Frangin.

— Une machine pour le combat, répondit Simonie. La Tortue se meut, hein ?

— Pour combattre les Ephébiens ? »

Tefervoir se retourna. « Qué ? fit-il.

— Vous avez construit cette… chose… pour combattre les Ephébiens ?

— Bé… non… non, répondit un Tefervoir à l’air désorienté. On se bat contre les Ephébiens ?

— Tout le monde, dit Simonie.

— Mais jamais je… Moi, je suis un… Jamais je… » Frangin étudia les roues garnies de piques et les plaques en dents de scie sur le pourtour de la Tortue.