Выбрать главу

Il fut surpris du silence qui s’était établi et sortit de son rêve. Seulement alors il regarda le prévenu, remarqua son visage parcouru de tics, ses longues mâchoires maigres, ses yeux noirs un peu fous, sa bizarre pose déhanchée. Puis, revenant à Philippe de Poitiers :

— Eh bien, mon frère… dit-il.

— Mon frère, je ne veux point troubler vos pensées. J’attends que vous ayez fini de songer.

Le Hutin rougit un peu.

— Non, non, je vous écoute bien, continuez.

— D’après ses déclarations, Evrard serait venu à Valence pour y trouver la protection d’un cardinal au sujet d’un différend qu’il avait avec son évêque… Il faudra d’ailleurs tirer ce point au clair, ajouta Poitiers en se penchant vers Miles de Noyers, qui conduisait l’interrogatoire.

Evrard entendit, mais ne broncha pas, et Poitiers enchaîna :

— À Valence, Evrard aurait fait, par hasard prétend-il, connaissance du cardinal Francesco Caëtani…

— Le neveu du pape Boniface, dit Louis pour prouver qu’il suivait.

— C’est cela même… et il serait entré dans l’intimité de ce cardinal, fort versé en alchimie, puisqu’il a chez lui, toujours au dire d’Evrard, une pièce emplie de fourneaux, de cornues et de poudres diverses.

— Tous les cardinaux sont plus ou moins alchimistes ; c’est leur marotte, dit Charles de Valois en haussant les épaules. Monseigneur Duèze a même écrit un traité là-dessus…

— C’est exact, mon oncle ; mais la présente affaire ne ressort pas précisément de l’alchimie qui est science fort utile et respectable… Le cardinal Caëtani voulait trouver quelqu’un qui pût évoquer le diable et procéder à des envoûtements.

Charles de la Marche, imitant l’attitude ironique de son oncle Valois, dit :

— Voilà un cardinal qui sent fort le fagot.

— Eh bien, qu’on le brûle, dit avec indifférence le Hutin qui de nouveau regardait la porte.

— Qui voulez-vous brûler, mon frère ? Le cardinal ?

— Ah ! C’est le cardinal ?… Alors, non, il ne faut pas.

Philippe de Poitiers eut un soupir de lassitude avant de reprendre, en appuyant un peu sur les mots :

— Evrard répondit au cardinal qu’il connaissait un homme qui fabriquait de l’or au profit du comte de Bar…

En entendant ce nom, Valois se leva, indigné, et s’écria :

— En vérité, mon neveu, on nous fait perdre notre temps ! Nous connaissons assez notre parent le comte de Bar pour savoir qu’il ne donne point dans de telles sottises, si même, dans l’heure présente, il n’est pas trop notre ami. Nous sommes devant une fausse dénonciation de diablerie, comme il s’en fait vingt chaque jour, et qui ne mérite pas d’y ouvrir les oreilles.

Si calme qu’il s’imposât d’être, Philippe finit par perdre patience.

— Vous avez bien, mon oncle, ouvert vos oreilles aux dénonciations de sorcellerie quand elles atteignaient Marigny ; veuillez au moins accorder l’ouïe à celle-ci. D’abord, il ne s’agit pas du comte de Bar, ainsi que vous l’allez voir. Car Evrard n’alla pas chercher l’homme qu’il avait dit, mais présenta au cardinal un certain Jean du Pré, autre ancien Templier, qui se trouvait lui aussi à Valence, par hasard… C’est bien cela, Evrard ?

L’interrogé approuva silencieusement, inclinant la tête si bas qu’il montra sa tonsure.

— Ne vous semble-t-il pas, mon oncle, reprit Poitiers, que voici bien des hasards ensemble, et beaucoup de Templiers du côté du conclave, à rôder autour du neveu de Boniface ?

— En effet, en effet… murmura Valois.

Revenant à Evrard, Poitiers lui demanda brusquement :

— Connais-tu messire Jean de Longwy ?

Evrard serra ses longs doigts plats sur la cordelière de son froc, et son visage osseux fut secoué d’un tic plus violent. Mais il répondit sans trouble :

— Non, Monseigneur, je ne le connais pas autrement que de nom. Je sais seulement qu’il est le neveu de feu notre grand-maître.

— Feu… l’expression est bonne ! fit remarquer Valois en sourdine.

— Tu es bien certain de n’avoir jamais eu rapport avec lui ? insista Poitiers. Ni d’avoir reçu, par d’anciens frères à toi, aucun avis de sa part ?

— J’ai oui dire que messire de Longwy cherchait à garder lien avec d’aucuns d’entre nous ; mais rien de plus.

— Et tu n’aurais pas appris, de ce Jean du Pré par exemple, le nom du Templier qui vint à l’ost de Flandre délivrer des messages au sire de Longwy et emporter les siens ?

Charles de Valois haussa les sourcils. Son neveu Philippe, décidément, en savait long sur bien des choses ; mais pourquoi gardait-il toujours ses renseignements pour lui ?

Evrard s’était mis à trembler. Philippe de Poitiers ne le quittait pas des yeux. L’homme correspondait bien à la description qu’on lui en avait faite.

— As-tu été tourmenté autrefois ?

— Ma jambe, Monseigneur, ma jambe répond pour moi ! s’écria Evrard.

Le Hutin pensait « C’est trop de temps que prennent ces physiciens. Clémence n’est pas grosse, et nul n’ose venir m’en avertir. » Il fut rappelé à la réalité immédiate par Evrard qui s’était jeté à ses genoux et suppliait.

— Sire ! Sire de grâce, ne me faites point tourmenter à nouveau ! Je jure Dieu que je veux confesser le vrai.

— Il ne faut point jurer, c’est péché, dit le roi.

Les deux bacheliers obligèrent Evrard à se relever.

— Il conviendrait d’éclaircir aussi ce point de l’ost, dit Poitiers. Continuons l’interrogation.

Miles de Noyers demanda.

— Alors, Evrard, que vous a déclaré le cardinal ?

L’ancien Templier, mal revenu de sa panique, répondit d’une voix précipitée.

— Le cardinal nous a déclaré, à Jean du Pré et à moi, qu’il voulait venger la mémoire de son oncle et devenir pape, et que pour cela il lui fallait détruire les ennemis qui lui faisaient obstacle ; et il nous promit trois cents livres si nous pouvions l’y aider. Et les deux premiers ennemis qu’il nous désigna…

Evrard hésita, leva les yeux vers le roi, les baissa.

— Allons, poursuivez.

— Il nous désigna le roi de France et le comte de Poitiers, en nous disant qu’il serait bien aise de les voir passer les pieds outre.

Le Hutin, machinalement, contempla ses propres souliers quelques secondes, puis sursautant, il s’écria :

— Les pieds outre ? Mais c’est tout juste ma mort que complote ce méchant cardinal !

— Tout juste, mon frère, dit Poitiers en souriant ; et la mienne aussi.

— Et vous, le boiteux, ne saviez-vous pas que pour un tel forfait vous seriez brûlé dans ce monde et damné dans l’autre ? continua le Hutin.

— Sire, le cardinal Caëtani nous avait assuré que lorsqu’il serait pape il nous ferait absoudre de tout.

Le buste penché, les mains aux genoux, Louis dévisageait avec stupeur l’ancien Templier En même temps les avertissements de maître Martin lui revenaient à l’esprit.

— Me déteste-t-on si fort que l’on désire me tuer ? dit-il Et de quelle façon le cardinal voulait-il m’expédier les pieds outre ?

— Il nous dit que vous étiez trop bien gardé, Sire, pour qu’on pût vous atteindre par le fer ou par le poison, et qu’il fallait procéder par envoûtement. À cette fin, il nous fit bailler une livre de cire vierge, que nous mîmes à mollir en un bassin d’eau chaude, dans la chambre aux fourneaux. Puis frère Jean du Pré fabriqua bien habilement une image d’homme, avec une couronne dessus – Louis X fit un rapide signe de croix – et ensuite une autre plus petite, avec une plus petite couronne. Pendant notre travail, le cardinal vint nous visiter, il sembla tout joyeux, et il se prit même à rire en regardant la première image et il nous dit « Il a moult grand membre ».