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— Scellez pour la forme l’arbitrage que j’ai rendu, ma cousine, puisqu’il semble que nous ne puissions obtenir la paix qu’à ce prix. Et puis nous verrons ! Ces coutumes de Saint Louis, après tout, ne sont pas si bien définies, et vous aurez toujours moyen de reprendre d’une main ce que vous aurez feint de donner de l’autre. Imitez ce que j’ai fait moi-même avec les Champenois, quand le comte de Champagne et le sire de Saint-Phalle sont venus me réclamer leur charte. J’ai fait ajouter : « fors les cas qui d’ancienne coutume appartiennent au souverain prince et à nul autre ». Aussi, maintenant, quand un cas apparaît comme litigieux, il relève toujours de la souveraineté royale.

En même temps, il poussait vers la comtesse, d’un geste amical, la coupe où, tout en parlant, il puisait des dragées.

Mahaut s’abstint de rappeler que l’ingénieuse formule dont Louis à présent s’enorgueillissait était due à Enguerrand de Marigny.

— Voyez-vous, Sire mon cousin, le fait ne se présente pas de même pour moi, répondit-elle, car je ne suis point souverain prince.

— Qu’importe, puisque j’exerce la souveraineté au-dessus de vous ! S’il y a différend, il sera porté devant moi, et je le trancherai en votre faveur.

Mahaut prit une poignée de dragées dans la coupe.

— Fort bonnes, fort bonnes… dit-elle la bouche pleine, s’efforçant de gagner du temps. Je ne suis pas bien gourmande de sucreries, mais je dois dire qu’elles sont fort bonnes.

— Ma bien-aimée Clémence sait que j’aime en grignoter à toute heure, et elle veille à ce que sa chambre en soit pourvue, dit Louis en se tournant vers la reine de l’air d’un époux qui veut marquer qu’il est comblé.

Clémence leva les yeux de dessus son métier à broder, et rendit à Louis son sourire.

— Alors, ma cousine, reprit-il, vous allez sceller ?

Mahaut acheva de broyer une amande enrobée de sucre.

— Eh bien ! non, Sire mon cousin, je ne puis sceller. Car aujourd’hui nous avons en vous un fort bon roi et je ne doute pas que vous agissiez selon les sentiments que vous me dites. Mais vous ne durerez pas toujours, et moi moins longtemps encore. Il peut venir après vous… le plus tard possible, Dieu le veuille !… des rois qui ne jugeront pas la même équité. Je suis forcée de penser à mes héritiers et ne puis les mettre à discrétion du pouvoir royal pour plus que nous ne lui devons.

Si nuancée qu’en fût la forme, le refus n’était pas moins catégorique. Louis, qui avait affirmé qu’il viendrait à bout de la comtesse par sa diplomatie personnelle bien mieux que par grandes audiences publiques, perdit rapidement patience ; sa vanité était en jeu. Il commença d’arpenter la chambre, éleva le ton, frappa sur un meuble ; mais, rencontrant le regard de Clémence, il s’arrêta, rougit, et s’efforça de reprendre un maintien royal.

Au jeu des arguments, Mahaut était plus forte que lui.

— Mettez-vous à ma place, mon cousin, disait-elle. Vous allez avoir un héritier ; supporteriez-vous de lui transmettre un pouvoir diminué ?

— Eh bien ! justement, Madame, je ne lui laisserai pas un pouvoir diminué, ni le souvenir qu’il eut un père faible. À la parfin, c’est trop me tenir tête. Et puisque vous vous obstinez à m’affronter, je place l’Artois sous ma main. C’est dit. Et vous pouvez retrousser vos manches de robe, vous ne me faites point peur. Désormais, votre comté sera gouverné en mon nom, par un de mes seigneurs que je vais y nommer. Quant à vous, vous n’aurez plus droit de vous écarter que de deux lieues des séjours que je vous ai assignés. Et ne vous présentez plus devant moi, car je n’aurai point plaisir à vous voir.

Le coup était de taille et Mahaut ne s’y attendait pas. Décidément, le Hutin avait bien changé.

Les malheurs surviennent en série. Si brusquement congédiée, Mahaut, sortant de l’appartement de la reine, tenait encore une dragée. Elle la mit machinalement en bouche et y mordit avec tant de violence qu’elle se fendit une dent.

Pendant une semaine, Mahaut fut à Conflans comme un tigre en cage. De son grand pas masculin, elle allait des appartements d’habitation, qui dominaient la Seine, à la cour principale, entourée de galeries d’où, par-dessus les frondaisons du bois de Vincennes, on pouvait apercevoir les étendards du manoir royal. Sa rage ne connut plus de bornes lorsque, le 15 mai, Louis X, mettant à exécution ses projets, nomma gouverneur de l’Artois le maréchal de Champagne, Hugues de Conflans. Mahaut vit, dans le choix de ce gouverneur, une volonté de dérision et comme un suprême outrage.

— Conflans ! Conflans ! répétait-elle, on m’enferme à Conflans, et l’on nomme Conflans pour me voler mon bien.

En même temps, sa dent cassée la faisait cruellement souffrir ; un abcès s’était formé. Sans cesse, Mahaut tordait la langue, ne pouvant se retenir d’aviver le mal.

Elle déchargeait sa colère sur son entourage ; elle avait giflé, pendant un office, maître Renier, chantre de sa chapelle, pour une défaillance de voix. Jeannot le Follet, son nain, se cachait dans les encoignures du plus loin qu’il l’apercevait. Elle s’emportait contre Thierry d’Hirson qu’elle accusait, lui et son abusive famille, d’être la cause de tous les ennuis ; elle reprochait même à sa fille Jeanne de n’avoir pas su retenir son mari de courir au conclave.

— Que nous importe un pape, criait-elle, lorsqu’on est en train de nous dépouiller ! Ce n’est pas le pape qui nous rendra l’Artois.

Un matin elle apostropha Béatrice.

— Et toi, tu ne peux rien faire, non ? N’es-tu donc bonne qu’à me prendre mon argent, t’affubler de robes et tourner de la croupe devant le premier chien coiffé ? As-tu décidé de ne m’être d’aucune ressource ?

— Comment, Madame… Les clous de girofle que je vous ai portés ne vous ont-ils point apaisé la douleur ?

— Il s’agit bien de ma dent ! J’en ai une plus grosse à arracher, et tu en sais le nom. Ah ! quand il est question de philtres d’amour, tu t’agites, tu te donnes de la peine, tu découvres des magiciennes ! Mais s’il me faut un vrai service…

— Vous oubliez, Madame… Vous oubliez bien vite comment j’ai fait enfumer messire de Nogaret… et ce que j’ai risqué pour vous.

— Je n’oublie pas, je n’oublie pas. Mais Nogaret aujourd’hui me semble petit gibier…

Si Mahaut ne reculait guère devant l’idée du crime, il lui déplaisait d’avoir à l’exprimer précisément. Béatrice, qui la connaissait bien, mettait quelque perfidie à l’y obliger. La regardant à travers ses longs cils noirs, la demoiselle de parage de sa voix lente, vaguement ironique, et qui traînait sur la fin des mots, répondit :

— Vraiment, Madame ?… Est-ce si haute mort que vous souhaitez ?

— Et à quoi crois-tu donc que je pense depuis une semaine, double sotte ? Que veux-tu qu’il me reste à faire, sinon que de prier Dieu, de l’aube au soir et du soir au matin, pour que Louis se rompe le col en tombant de cheval ou qu’il s’étouffe la gorge avec une noix sèche ?

— Il est peut-être de plus rapides moyens, Madame…

— Va donc me les trouver, tu seras bien habile ! Oh ! de toute manière, ce roi n’est pas destiné à faire de vieux os ; il n’est que de l’entendre tousser pour s’en convaincre. Mais c’est maintenant qu’il me conviendrait qu’il crevât… Je ne serai en paix que lorsque je l’aurai conduit à Saint-Denis.

— Car ainsi, Monseigneur de Poitiers deviendrait peut-être régent du royaume… et il vous rendrait l’Artois…