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Avec un esprit d’à-propos qui en dit long sur ses qualités de gestionnaire, M. Téquïst a mis la file d’attente en exploitation, faisant vendre des boissons chaudes par des serveurs, louant des chaises pliantes, prélevant un droit d’accès au mage pour l’amortissement de sa moquette piétinée.

— On ne parle que de votre ami le mage dans toute la ville, annonce-t-il. Je suis assailli de coups de téléphone : des relations à moi réclament un régime de faveur pour pouvoir le rencontrer sans avoir à attendre des heures dans le froid… Dites, on ne pourrait pas prévoir quelque chose de plus rentable ?

— Impossible, Nostrabérus refuse toute rétribution ; chez lui, la voyance est un apostolat.

Téquïst émet quelques « tsst tsst » réprobateurs.

— Il a tort, assure-t-il. Lorsqu’on découvre un gisement d’or dans son jardin, il ne faut pas reboucher le trou mais au contraire l’agrandir.

Je le quitte pour aller fortifier l’énergie du mage qui, d’ailleurs, n’est pas le moins du monde fléchissante.

Ses « consultations » le dopent, Pépère. Il acquiert de l’autorité, du moelleux. Son impact sur le public s’accroît à chaque nouveau visiteur. Il adopte ce ton paternaliste et gentiment rudoyeur qui a fait le succès de Mme Soleil. Pose des questions abruptes, répond parfois en tonnant.

C’est Eggkarte qui fatigue. Pas marrant d’être la traductrice d’un tel dialogue.

Les gens stationnés dans le couloir et massés dans des chicanes, devant la porte de la salle réservée ordinairement aux assemblées rotaryennes ou à des congrès d’industriels, murmurent de réprobation en me voyant pénétrer d’autor dans cet antre sacré où Nostrabérus officie.

Une dame d’un certain âge, bien mise, est introduite au moment où je rends visite à mon compère.

Un groume la conduit vers l’estrade de l’oracle. L’endroit est impressionnant.

Ombreux. Tous les rideaux sont fermés. Seul, un chandelier à trois branches dispense une lumière vacillante sur la table de Béru. Deux drapeaux français sont croisés au mur, derrière le Gravos. Ainsi l’a-t-il exigé.

Maintenant, que je te raconte l’accoutrement du voyant. Il s’est dégauchi une immense robe de chambre de velours grenat, à parements et brandebourgs noirs. Et il porte un chapeau melon.

Pourquoi ?

Je lui ai bien sûr posé la question, il m’a répondu « parce que », ce qui est donc à dire qu’il a voulu esquiver tout dialogue.

Une forte loupe constitue son seul accessoire.

Eggkarte se tient non loin de là, dans une zone obscure pour ne pas troubler le consultant.

— Posez-le là, Mémère ! invite le mage en désignant un fauteuil de cuir, style hôtel, à la dame âgée. Et aboulez votre paluchette que je vous fasse un peu connaissance.

Brève traduction de mam’zelle Téquïst.

L’introduite avance sur le velours vert de la petite table, une main croquevillée par l’appréhension.

Le Mastar la recueille au creux de la sienne, l’examine, à l’œil nu pour commencer, à la loupe ensuite. Il se ramone la gosaille, glaviote dans le noir, et, commence :

— Oh ! Oh ! On a z’eu des revirements de fortune, pas vrai, ma petite mémé ? On a licencié son personnel. Probable que c’est consécutif à son petit veuvage, car on a planté son vioque dans la terre glaise, s’ pas ? V’s’ êtes mise à fumer pour vous doper le mental, v’s’ avez de l’asthme et y a fallu larguer le mégot. A présent vous picolez la saloperie de gnole qu’on fabrique par ici. Ce qu’arrange pas vot’ maladie d’estom’. Faudrait mieux vous adonner à la camomille, ma poupée. Et puis, entre nous soye dit, au lieu de vous mignarder le trésor comme une collégienne, v’ feriez mieux de vous embourber un docker. C’est pas parce que vous avez le portrait un peu sinistré que vous pouvez plus prétendre à la partie de jambons !

Eggkarte retransmet. Alors la vieille dame lance des exclamations tout azimut. Elle arrache sa main de celles du mage pour s’emparer de sa dextre et la baisoter fougueusement.

— Hé ! là, molo ! ma poule ! Réfrigérez vos z’ébats. C’est pas que je serais incapable de me vous farcir, notez, vu qu’en mon âme de constance, je m’ai déjà respiré des tarderies encore plus vioques et décaties que vous, mais dans ce pays de baisanche à tout va où qu’on a un geste à faire pour déguster de la chair fraîche, j’ serais un peu glandu de me farcir du surgelé !

La vieillarde n’en finit pas d’exclamer.

— Que dit-elle ? m’enquiers-je auprès de notre précieuse auxiliaire.

— Que le mage a dit la vérité sur toute la ligne. Effectivement : elle a eu des revers de fortune après la mort de son mari. Elle s’est arrêtée de fumer. Elle a de l’asthme, une maladie d’estomac. Elle s’enivre et se donne des satisfactions solitaires.

— Explique un peu ton don, grosse poire ? fais-je à Bérurier.

Goguenard, il m’offre en préliminaire un rire ventral copieux comme une marmite de cassoulet.

— Je fais travailler mes méninges, comme un bon matuche dont j’ai la prétention d’être, Mec.

Et d’expliquer :

— Les revirements de fortune ? Pas dif : maâme se coltine un vison mité comme une descente de lit d’hôtel de passe. Elle a de belles mains aristocradingues, mais esquintées par les travails ménageux. Veuve ? Naturliche puisqu’elle porte deux alliances, dont une trop grande à son médium. Elle a beaucoup fumé pisque la nicotine y a passé l’intérieur de deux salsifis au brou de noix ; mais a fume plus car ses doigts ne sentent pas le tabac. Pour se rendre compte qu’elle picole de l’a-va-vite (pour akvavit) y a qu’à lui renifler le goulot, c’est pas dur : elle refoule du siphon, Poupette, preuve que son estom’ assimile mal. Quant à son solo de guitare, là aussi faut se laisser guider par l’odeur, mon pote. Si elle chlingue pas le tabac, elle poque le frifri monté en neige, espère. C’est révélateur, à son âge. Merde, la marée du soir, tu parles que c’est pas de la brise de mai.

Content de lui, il tapote les avant-bras de sa cliente. L’autre le mate façon Bernadette Soubirous en pleine vision surnaturelle sur écran large. Fana, déjà. Il peut lui demander n’importe quoi, à cette sexagénaire : le restant de sa dot, une pogne, son caniche nain, elle est partante pour le don de soi et de ses pouilleries, la dadame. D’ailleurs, qu’elle ait fait la queue pour le voir révèle ses prédispositions au merveilleux.

— Bon, déclare le mage, y a des lavedus qui tapinent à l’estérieur, ma grande, faut bousculer le mouvement, qu’est-ce v’ voudriez savoir ?

Toujours pas le ravissant canal (au débit rapide) d’Eggkarte, la consultante explique son problème. Elle a loué la moitié de sa villa à un amiral en retraite. Ce dernier refuse de payer sa location tant que la propriétaire n’aura pas fait réparer la salle de bains, inutilisable à la suite d’une fâcheuse accumulation d’avaries. Hélas, la pauvre femme n’a pas les moyens de faire faire ces travaux. L’amiral menace de lui intenter un procès. Comment se tirer de cette inextricable situation ?

Le mage est catégorique :

— En le suçant ! déclare-t-il.

Et de développer son plan d’action.

— Écoutez, ma gosse. Si vous sauriez opérer, c’est ce con-là qui va carmer le plombier, et p’t-ête même vous dire d’augmenter la loc. Mettez-vous debout, que je voye quèque chose…

Elle obéit.

— Relevez vos jupailles, la mère, histoire que je contrôle vot’ champ de manœuvre.

Elle hésite.

Mais pas longtemps.

Le regard supraterrestre est là, braqué, qui la domine, lui transmet une volonté étrangère.

Alors elle se trousse.

— Merde, je m’en gaffais ! ronchonne le Gros. On n’a pas idée de se déguiser de la sorte. Elle s’empaquette le trésor comme ma grand-mère enveloppait les bouillottes pour pas qu’on se brûle les pinceaux en se filant dans les toiles. Déjà que ses appas ont pas la fraîcheur Gibbs, à quoi t’est-ce elle peut prétendre, en les affublant de ces guenilles ! Une mère religieuse à côté, c’est Gretta-la-rousse du Crazy-horse-salon. Bon, vous pouvez remiser vot’ salle des fêtes, la mère. Asseyez-vous, et débouchez bien vos passoires à tisane. En sortant d’ici, courez dans un magasin de lingeries frivoles. V’s’ achetez un slip croquignolet, à fleurs. Prenez-le noir puisque vous êtes en deuil, ça n’en sera que plus bandant. Des bas, aussi. Un porte-jarretelles… Vu ? Gigot !