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En rentrant, allez trouver votre amiral de mes deux, dites-y que vous voulez discuter de vot’ problème avec lui et qu’y vienne bouffer c’ soir à votre t’home. Vous devez cuisiner comme une seringue à lavement, alors achetez des conserves. Et oubliez pas la picolanche surtout. Apéro, vinasse, pousse-café. Je vous prescris pas du champ’, vos moilliens ne vous le permettant pas. Tâchez que ce gus ingurgite un maxi. Après la bouffe, vous le faites asseoir devant un bon feu de cheminée. V’s éteignez les calbombes, qu’aye juste le feu pour éclairer, c’ sera tout à votre avantage. Mine de rien, vous glaviotez vot’ râtelier derrière une plante verte, et vous v’ s’asseyez en croisant les jambes de telle sorte que le vieux birbe jouisse d’une vue imprenab’ sur votre atanomie intime. Surtout espérez pas des transports immédiats, ma beauté. Ces vieux matafs qui s’sont embourbé des mousses toute leur vie, c’est pas un vieux chaudron cabossé qui va te vous les faire frétiller du mancheron. Non, faut le conditionner.

La pipe, chère petite grand-mère. La grande pipe qu’est internationale comme moillien d’espression. Ça convient à tous les âges, à tous les meursses, à toutes les bourses. V’s’allez le voir, vot’ grincheux loup de mer, comment il va s’amadouer du calbute sitôt que vous y jouerez « J’ veux revoir ma Normandie » au fifre baveur. Et surtout, bâclez-le-moi pas, cet homme. Prolongez bien la séance. C’est pas un interlude, mais une émission de gala. Faut pas y éponger l’intime à la va-comme-je-te-pompe. J' veux que vous m’obteniez un seize sur vingt, gamine ! Avec vot’ espérience et sans ratiches, vous jouez sur le velours. Un conseil, n’attendez rien de lui que les réparations de la salle de bains. Ses faveurs, ça doit pas être les délices de Corfou. Vous pensez : un amiral ! Vous vous rabattrez sur le garçon boucher ; grâce à votre panoplie de pétasse, les coulisses de l’exploit sont à vous.

La dame gloussaille.

Crie des merci, merci. L’appelle Monseigneur. Se signe en le regardant. Lui virgule des baisers.

Finit par demander ce qu’elle doit pour la consultation.

— Rien, la mère, c’est gratuisse, déclare noblement Sa Majesté. Mais si vous voudriez me laisser un souvenir, faites-moi donc cadeau de ce petit monstrion ancien qui vous pend au cou, c’est des émeraudes, ces pierres rouges qu’incrustent autour du cadran ?

La dame, ravie, effrénée d’offrir, dépose sa montre devant Béru qui la soupèse et l’empoche.

Elle va pour sortir.

— Hé, Poupette, hèle le Gros.

La consultante se retourne.

— Quand je vous dis d’inviter l’amiral ce soir, y a gourance, vous l’inviterez demain, puisque aujourd’hui il assiste aux funérailles de sa belle-sœur au Danemark et qu’y ne rentrera que demain matin.

C’est du délire. La vioque sort en criant que le mage est magique. Qu’il sait tout, tout, et plus encore, puisqu’il est capable de voir le comportement de gens qui lui sont inconnus.

Eggkarte et moi regardons Bérurier avec indécision. Une espèce d’obscure timidité, très déconcertante, nous l’auréole d’une gloire soufrée.

— Comment as-tu su, pour cet enterrement. La vieille t’a montré un faire-part sous-titré ou quoi ?

Il branle le chef.

— Non, ça m’est venu commak, Gars. Quand j’y ai conseillé d’inviter le vieux, ce soir, j’ai senti qu’elle pensait fortement à quèque chose, pendant qu’Eggkarte lui traduisait. Et au moment qu’elle s’en allait, zoum : sa pensée m’est arrivée dans le citron. Dans le fond, tu sais, mage, avec un peu d’entraînement, c’est pas un métier difficile.

Et c’est ainsi que tout commença.

Huit jours s’écoulèrent sans que Borg Borïgm ne montre le bout de (sa tache de vin à) l’oreille ni son nez mal cloisonné. Je dus examiner plus de deux mille personnes. Les journaux étaient remplis des prouesses du fameux mage français. Sa popularité croissait et se multipliait. Il accumulait les exploits, faisait des révélations, des prophéties, donnait des conseils, bref jouait son rôle de clairvoyant avec un tel brio qu’il était devenu la coqueluche de Stockholm. Des ministres suppliaient qu’on les reçoive en cachette. On se battait devant l’hôtel et, dès le troisième jour, la circulation fut déviée dans la rue.

Eggkarte étant au bord de la dépression, à force de travail ; nous dûmes engager une équipe de traducteurs professionnels.

Le père Téquïst faisait des affaires d’or. Et les « dons en nature » s’accumulaient dans la grande malle d’osier dont le Gros avait fait emplette.

Bref, un triomphe !

Côté Nostrabérus, s’entend.

Mais pour ce qui était de mon enquête : bernique !

Dès le matin, quand la queue se constituait et commençait d’enfler, je passais en revue tous ces roses visages figés dans la froidure. Je regardais les nez, les oreilles droites avec une farouche obstination. Le cœur me poignait, comme doit s’affoler celui d’un mec perdu dans la brousse lorsqu’il relève ses collets chargés d’assurer sa survie.

Parfois je tressaillais. Une cloison nasale mal foutue, ou une tache de vin m’éclataient dans la rétine. Mais vite je devais déchanter : le nez appartenait à une grosse femme, et la tache de vin se situait sur une joue.

J’essayais de me mettre dans la peau de Borg Borïgm. Cet homme avait réussi à trouver la planque idéale. Allait-il risquer de compromettre sa sécurité pour consulter un voyant réputé ? Mieux : n’était-il point en droit de penser que ce mage le démasquerait, puisqu’il lisait à livre ouvert dans les mains de ses contemporains ?

Pourtant, à travers ce que je savais de Borïgm, je me persuadais qu’il ne pourrait résister indéfiniment à la tentation. Il retournerait à ses marottes comme la limaille au Léman. Lorsque, pendant des années, on s’est adonné au spiritisme, comme d’autres à la morphine, on ne peut résister à la fascination d’une renommée aussi formidable que celle dont jouissait Nostrabérus en Suède. Eût-il été planqué dans le grand Nord, qu’un matin le fugitif aurait frété un attelage de rennes pour accourir.

Alors j’attendais. Coulant des jours moroses, devant le Thalerdünbrank-Palace dans mon manteau de fourrure, à renifler ma déconvenue.

Je rentrais me réchauffer, éclusant un Gordonbrigfört (cette espèce de grog sans rhum, pour rhume) au bar. Ressortant au bout d’une heure afin de mater les nouveaux queutards.

Les prouesses plumassières de la môme Eggkarte ne me remettaient pas le moral au beau fixe. Pour tout vous dire, mes gentlemen et women, je commençais d’en avoir ras-le-bol de ce froid pays.

Et puis, un matin, à 11 h 50 pour être tout à fait précis, alors que je m’apprêtais à quitter le bar de l’hôtel, pour aller prospecter les narines extérieures, un groom accourut, qui m’happa littéralement. Il savait quelques mots d’anglais et me les récita. Je vous en donne séance tenante la traduction fidèle, puisque littérale.

— Vite, me dit cet adolescent à poils blonds, ami de vous veut voir vous !

J’accourus dans la salle des consultations. Béru, pardon, Nostrabérus examinait la dextre potelée d’un gras vieillard en saindoux dont l’avenir devait ressembler à une sauce béchamel quand elle est figée.