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Et la v’là qui me retartine avec son claque prestigieux, où depuis plusieurs lustres on pratique des coïts académiques, des copulations de race, des fornifications dignes de la romantique Rome antique. Des sangs et des foutres bleus s’y échauffent et déversent. Elle est unique, Mâme la bordelière. Privilégiée ! Protégée de partout. Elle a rien à redouter. Y a que la mort qui pourrait la faire chier, et encore elle se demande… Ses précautions sont si tellement bien prises. Elle a tant su s’entourer, sélectionner, se prémunir que, non, franchement, elle peut rien craindre de personne.

Lorsqu’elle a conduit ses poumons aux confins de la surchauffe, j’entre en piste.

Y a de la cendre de cigare tout autour de moi, mais c’est bonnard pour les moquettes.

— Vous avez entendu parler de M. Gustav Maeleström ? je questionne à mine de rien recueillie.

Elle couine un : « Naturellement ! » qui, pour être proféré en anglais, n’en est pas moins virulent, vu que l’anglais, quand tu sais t’en servir, eh ben mon vieux, je te jure que t’arrives à exprimer avec ! C’est pas ma langue de chevet, note bien. Mais pour la notice explicative d’une Rolls, moi, ça me suffit.

— Petite madame, savez-vous que c’est lui qu’on a assassiné depuis votre paradis à étages ?

Elle en reste comme deux couronnes suédoises de flan.

— Maeleström ! Maeleström ! répète-t-elle à loisir sur l’air de malédiction, ou de Waterloo, morne plaine.

— Oui, Maeleström, reprends-je avec force, vigueur et gesticulation adéquate et concomitante. Maeleström, madame, juré au prix Nobel ; ami personnel et presque intime du roi Pilaf. Maeleström, riche châtelain, bienfaiteur des arts, fondateur du plus grand musée scatologique du monde. Maeleström, gloire de toute la Scandinavie ! Assassiné, madame. Tiré comme un caribou (de ficelle) d’une fenêtre de votre merveilleux bordel. Ah ! craignez, madame ! Craignez les conséquences d’un tel acte qui risque de ruiner votre florissante maison si imparfaitement close, hélas, qu’on y peut tirer des coups jusque dans la rue. N’ajoutez pas à l’horreur d’un tel acte le poids effrayant d’un mensonge. La lumière sera faite ; prenez garde, madame, qu’elle vous aveugle !

J’attends qu’elle essuie ses larmes avec la pointe d’un mouchoir d’Adolf (y a pas de Baptiste en Suède).

Et je poursuis.

— La femme au grand gros cœur que je vous présume s’est peut-être laissé abuser un instant, mais l’intelligence qui brille en ses yeux est garante de sa raison. Voilà pourquoi elle apportera un concours complet, franc et massif, aux enquêteurs, sans détours ni faux fuyants, parce que la logique le lui dicte et qu’on ne triche pas avec la logique.

Elle en peut plus, poupette.

S’écroule.

S’écoule.

Cause.

Oh, certes, cela ne vient pas sans mal. Faut les forceps. Les démonte-pneus. D’ultimes exhortations. Des démonstrations de coordination. Des aupiedumurs sentis, impeccables. De belles brillances de l’esprit pour lui fulgurer sur le mental.

— Vous vous êtes évanouie, madame, lorsque je vous ai appris la vérité, preuve que celle-ci vous causait un choc profond. Preuve qu’elle vous concernait. Alors, n’attendez pas demain, baillez dès aujourd’hui les causes de l’aveu, vous qui donnez les pines aux roses.

— Je ne pouvais prévoir un aussi grand malheur, alexandrine-t-elle.

— Qui aurait pu le prévoir aurait su l’éviter ! réponds-je à cloche-pied (douze pour les dames).

— Quelqu’un est arrivé, hier, de fort bonne heure.

— Et ce quelqu’un, madame, c’était ?…

— Un vieux curé.

— Un prêtre, dites-vous ! Vêtu de sa soutane ?

— Il avait enfilé un manteau par-dessus.

— Et il vint se damner, en triquant comme un âne ?

— Non. La paix l’habitait, dessous son pardessus.

— Alors, que faisait-il, en ces lieux voluptueux ?

— Accomplir, me dit-il, une mission étrange.

— Un missionnaire chez vous ! Et pourquoi faire, grand Dieu ?

— Certes il vient des curés, quand l’envie les démange.

« Ils accourent en civil, étant civilisés.

« Mais d’en voir surgir un, aussi sacerdotal.

« M’impressionna si fort que j’en fus médusée. »

— Et que voulait, madame, ce prêtre peu banal ?

— User de ma fenêtre du quatrième étage.

« Ayant dans cette rue, des gens à observer,

« Des gens qui font la queue pour consulter un mage,

« Il redoutait d’en voir qui appartinssent au clergé.

« Il agissait au gré d’instances ecclésiastiques

« Et il avait la mine d’un parfait religieux,

« Parmi ces réformés, moi je suis catholique,

« Et ne puis refuser de montrer une queue.

« Car la prostitution engendre l’habitude

« Lorsqu’on vend de l’amour aux mâles en chaleur.

« On se sentirait trop empli de turpitudes

« En privant d’une telle queue un homme d’un tel cœur.

« Je ne crois pas, monsieur, aux sciences occultes.

« Je fais mes pâques à Pâques, et Noël aux buissons.

« Je réserve quelques passes à mon denier du culte

« Et fais la guerre à qui n’a guère de religion.

« Aussi, quand un curé, pour le bien de l’Eglise

« Débarque en mon bordel et se met à genoux

« Que voudriez-vous donc, monsieur, que je lui dise

« Sinon qu’il est chez lui, lorsqu’il est chez nous. »

A peu de chose près, c’est ce que me dit la grosse poupée bordelière, mais dans un style beaucoup moins direct et en anglais. Ce bon père, soucieux de contrôler, prétendait-il, les faiblesses spirituelles de jeunes prêtres éventuellement attirés par la renommée de Nostrabérus, a demandé l’aumône d’une fenêtre. Il marchait avec la jambe raide. Tout de suite, la chérie a cru qu’il charriait un tricotin monumental. Mais comme le religieux dépêché en croisade n’exigeait qu’une croisée, elle en a déduit que cette patte non pliable résultait de quelque accident lointain ou arthrose récente. Elle le conduisit au quatrième. Il y passa la journée de la veille, revint ce matin…

— Et où est-il présentement ? demandé-je avec une dure insistance.

Elle se ramone le corgnolon.

— Eh bien…

— Allez-y, j’écoute.

— Le prêtre m’avait demandé si nous ne disposions pas d’une issue secrète.

— Et c’est le cas ?

Elle bat des cils, ce qui produit un bruit de canari sautillant sur le plancher de sa cage.

— Où, cette issue ?

— Le lit à baldaquin de la chambre « tulipe » pivote, découvrant une porte qui communique avec le temple voisin.

Je la prie de me montrer.

Elle m’initie volontiers aux issues (des pieds) secrètes de sa maison.

Me voici faufilé en un étroit conduit aux marches brèves, obscur, salpêtreux.

Passionnant, non ?

Non ? Alors c’est que t’as pas le goût du mystère !

Je gravis ces menus degrés qui décrivent un angle vénérable, vu qu’ils sont au nombre de 45.

L’obscurité cesse lentement pour le céder à un jour gris et poussiéreux. Je finis par aboutir dans un local morose qui se trouve être le galetas du temple.

Des pigeons y roucoulent en grand nombre et à loisir. Ils s’envolent lorsque je déboule, avec des toiles d’araignées dans les cheveux.

Je m’approche d’un escadrin de bois qui, lui, descend (il ne monte que lorsqu’on arrive du bas). Comme je m’apprête à le dégravir, j’aperçois un petit tas sombre, de forme cylindrique, près de la rampe.

Le cramponne.

T’as deviné, bravo, il s’agit bien d’une soutane.