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Ça leur sert à quoi ? C’est comme quand ils s’entre-flashent. En groupe. Ils font comment pour se repérer, ensuite, puisqu’ils se ressemblent tous ? P’t-être qu’ils se numérotent, non ? Le 14 c’est Yamamoto Kéodépo, le 7 c’est ma belle-mère, et le 19, c’est pas Yamavési Kadélansé, mais le boxer du restaurant…

Le Japounoche nous consacre une bobine de 36 poses, comme il se doit. Après quoi, ma partenaire lui fait la monnaie sans cesser de faire l’amour.

Eggkarte en profite pour téléphoner à l’hôtel, à ma demande expresse. Ordre au mage Nostrabérus de remballer son matériel de devin et de préparer nos valises.

On va mettre le cap sur Milsaböor.

Un cap de bonne espérance !

Au fil des kilomètres, l’hiver se fait plus blanc, plus épais, plus froid.

On aperçoit dans la campagne des attelages de caribous tirant des traîneaux fantômes.

Le silence est impressionnant. Quand on s’arrête pour licebroquer, on est aussitôt rivé au sol neigeux par un rayon de glace ambrée. Tellement qu’il est recommandé de s’envelopper Coquette dans une moufle de fourrure pour pas qu’elle casse.

On roule depuis des heures sous un ciel gris, immuable. Il ne fait ni jour ni nuit. C’est un crépuscule interminable. Des corbeaux passent au ras des arbres.

S’éloignent.

— C’est beau, la Suède, soupiré-je en contemplant l’immensité quasi désertique.

Les maisons sont rares, mais superbes. Parfois, on longe un lac gelé, horriblement romantique.

— J’y reproche qu’une chose, grommelle le Mastar, depuis la banquette arrière, c’est de pas être située en Côte-d’Ivoire. Tu la verrais sous le soleil, ç’aurait une aut’ gueule.

Un panneau indicateur nous annonce soudain que la ville de Milsabör se trouve à trente kilomètres.

Milsabör est une petite ville pimpante, vernissée, colorée, décorée. Y a des arcs de lumière dans la rue principale. Les maisons sont peintes en rouge, ou en bleu ; leurs baies vitrées à double épaisseur laissent pénétrer vos regards dans des intérieurs douillets. Les enseignes des magasins sont autant de tableaux naïfs. Des rennes halent des traîneaux (car ici c’est pas le soleil qui risquerait de les hâler !) garnis de sonnailles. Un conte de Noël.

Nous descendons au Thalerdünbrank du pays. Il fait partie de la même chaîne que l’établissement dirigé par le père d’Eggkarte. Il est plus modeste que son homologue de Stockholm, mais plus gai, et possède un petit côté pension de famille. Il sent bon la cire, le feu de bois et le haddock.

Nous sommes accueillis par une grosse dame, haute de deux mètres, qui pourrait remplacer la statue de la Liberté au bras levé, un jour que cette dernière choperait une crampe.

Son sourire affable précède une mauvaise nouvelle. Elle « est complète ». Impossible de trouver une chambre dans Milsabör en ce moment, car s’y tient la foire aux allumettes.

Eggkarte se présente. La grosse géante éplore, pour le coup. Dans l’hostellerie, c’est comme dans la triperie de luxe : on se tient les couilledes.

— Ecoutez, fait-elle, il ne sera pas dit que je laisserai la fille d’un confrère et ses amis dehors ; si vous le voulez, nous mettrons des matelas dans ma chambre ?

Ça nous en chaut pas des plus ; mais qu’est-ce que tu fais contre mauvaise fortune, toi, l’ahuri ?

Hein ? Eh ben nous aussi, que veux-tu.

Nous acceptons donc et remercions.

— Il n’y a qu’un ennui, soupire Bérurier, c’est que votre mari est malade, hein ?

Ah oui, parce que j’oubliais de te dire que, pour la commodité de l’histoire, la dame cause mieux français que toi et presque aussi bien que moi.

Elle écarquille ses vasistas bleu azur.

— Comment le savez-vous ? glapit la géante.

Et puis son front se met à faire des plis, comme les champs beaucerons en automne.

— Seigneur Dieu ! mais je vous reconnais ! Vous êtes le fameux mage Nostrabérus, dont les journaux ont tant parlé ?

— Sifflet, sifflet, ma bonne dame, répond monseigneur Béruchol. A propos de vot’ julot, va falloir vous faire une raison : il est rincé côté calbute. Pour ce qui est du zigouigoui dans la volière, vaut mieux que vous achetassiez des bananes pas mûres. Il est diabétique au point qu’un tonneau de miel est moins sucré que lui. Vous pouvez le faire inscrire chez les rectifiés de la membrane ; même en lui plâtrant le zobinard, plus jamais y’ s’ tiendra droit. Ce sidi, sa maladie d’en ce moment n’est pas grave : une génuflexion de poitrine, ma poule. Vous y filez quèques cataplasses bien moutardés, et y pourra reprendre son turbin à la lingerie. Car c’est lui qui s’occupe de laver et de repasser le linge, pas vrai ? Ç’a toujours été un lavedu dans son genre ? Le gus qui vide les poubelles et racle la merdouille des draps, non ? Je le vois d’ici, avec sa barbiche et ses lorgnons. Y voulait faire professeur quand il vous a rencontrée ? Et puis vous lui avez démantelé le perchoir à perroquet de telle sorte qu’il est devenu vot’ val’ton, ce melon ! Y s’en tire en lisant des bouquins aux chiottes, seulement vous te lui faites la guerre, ma gredine. Faut pas ! Ce nanar, je vais vous dire, il a bon fond. C’t un timide. Son drame, ç’a été de penser et de triquer mou. On vit les poques des bandeurs, ma pauvre. C’est le gus qu’affirme de l’idée et de la couette qui s’impose de nos jours d’aujord’hui. Un mec te fait une objectance, tu cries « Ta gueule » et du déballes ton tringlard. Faut qu’ ce dernier soye bien vigoureux, menaçant, pour ainsi dire… Du chibre surchoix, avec ses belles veines bleues et son champignon anatomique. Alors, là, pour le coup, tu t’imposes dans l’irréfutable. Le rouscailleur cesse de rouscailler. La recette : un big paf ! Et puis « Ta gueule ». T’obéis à un beau membre, c’est l’atavisme.

La dame hôtelière l’écoute discourir, pâmée.

Il la fascine, Béru.

Il est arrivé dans ce nord pays tel un messager de l’au-delà, avec le Savoir.

Elle lui propose une main capable de dissimuler une omelette de douze œufs.

Le Dodu contemple l’immense dextre.

— Si c’est pour la Croix-Rouge, j’ai déjà donné à Noël, dit-il.

Mais la grande gueuse trépigne.

— Mon avenir ! Mon avenir ! Dites-moi mon avenir !

Alors, Alexandre-Benoît se penche sur cette paluche grande comme la Sibérie, y vagabonde, s’y égare, revient sur ses pas, l’air dubitatif.

— L’avenir, ma colombe ? Je vais vous dire : vous allez foncer dans votre cuisine pour nous mitonner un cuissot de renne grand veneur avec de la purée pomme-fruit. Ensuite vous descendrez à vot’ cave histoire d’y rafler quelques boutanches de pichetegorne. Du rouge ! Français, naturellement. Dans la soirée, vous administrerez un solide calmant à vot’ vieux pour qu’il s’endormisse presto. Afteur, vous mettrez des bas noirs et vous attendrez dans les pénombres la venue d’un beau mâle, solidement chibré et estrêment bien sous tous les rapports, y compris sexuels. Pour peu que vous eussiez pas pleuré le poivre dans le gigot, vous risquez de connaît’ la séance de vot’ vie, vu que les baleines c’est comme qui dirait mon violon d’Inde. Y fais l’amour au poids, moi. M’faut de la marchandise pour m’attiser la fougue. Au plus y en a, au plus ça reluit dans le landerneau. Maintenant, pour ce qu’est du futur plus futuriste, prière de vous reporter à vot’ quotidien habituel demain matin. Rompez !

Eggkarte pointe un doigt triomphant sur une page de l’annuaire téléphonique.

Je me penche, le cœur en fête, sachant déjà ce que je vais trouver sous le minuscule pétale de rose qu’est l’ongle carminé de ma belle souris.