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Ce genre de pratique est fort peu usité, fût-ce en Suède. Il est rarissime qu’une jeune fille ravissante déchiquette la semelle de la botte droite d’un individu, en dehors, s’entend, d’un asile psychiatrique. Aussi me dis-je qu’une pareille manœuvre devait avoir un mobile dont j’aspirais à connaître. Que fis-je ? Eh bien, vous l’avez deviné, bouffis : je me penchai, écartai miss Mystère de son repas et retirai la chaussure de Borg Borïgm.

Malgré la pénombre, je crus le voir pâlir à mon initiative. Son regard s’emplit de panique, de crainte aussi. Puis il détourna la tête pour s’abandonner aux morosités de son destin.

Moi, content comme un jeune chiot cherchant à se donner carrière et qui confond pantoufle avec lièvre, j’emportai ma proie jusqu’à la table, m’installai commodément et, armé d’un couteau à lame d’acier suédois (l’acier de l’élite !), j’entrepris d’ôter la semelle de crêpe de la botte. Ce fut un divorce malaisé, l’adhésion ayant été admirablement réalisée. J’y parvins, à force de persévérance et de curiosité. J’aperçus alors, noyée dans la crêpe qu’il affleurait au point de collage, un flacon plat, de la dimension de ceux qui contiennent du pré ou de l’after shave. La petite bouteille était en acier et fermée par un bouchon à pas de vis.

J’eus la tentation de l’ouvrir, mais un sentiment de prudence l’emporta sur mon esprit de conquête et je me contentai de l’empocher, remettant à plus tard l’examen de son contenu. D’ailleurs, y en avait-il un ? Quand on l’agitait, le flacon ne produisait aucun bruit, aucun floc-floc. Il était dense et lourd et l’on devait boitiller les premiers temps qu’on l’emportait à la semelle de son soulier.

Du temps passa. Je n’avais pas sommeil, cet incident ayant provoqué un survoltage de mes nerfs. Je supputai à perte de matière grise à propos du cas Borg Borïgm. Personnage parfaitement ahurissant. Sadique meurtrier, épris de sciences occultes, superstitieux, prompt dans ses décisions homicides, et possédant, outre des armes traditionnelles, certains petits gadgets tels que la poudre de perlimpinpin qui solidifie l’eau instantanément. Mais pour moi, ce qu’il avait de plus énigmatique, je te le vais vous dire carrément, c’était l’intérêt que le Vieux lui portait.

De temps à autre, j’allais mirer le bonhomme. Ne lui trouvai rien d’exceptionnel, sinon une gueule antipathique, ce qui, convenez vite-z’en, ne constitue pas une particularité dans cet univers de puants, de mous de la tronche, de va de la gueule, de tristes sires et autres fumiers de bas étage. Un salaud comme les autres. Un désaxé sexuel comme tout le monde. Un meurtrier comme tant. Un type, sa gueule, qu’est-ce qu’elle prouve ? Elle montre quoi, au second degré ? Balle-peau ! Mire Hitler par exemple. Bon, sale frime d’hurluberlu. Mais à part ça ? Tu trouves le vrai monstre sous ces traits engourdis d’illuminé pour noces et banquets ? J’ai connu une dame qui l’a vu à ses débuts, quand il commençait ses gesticulations et ses gutturances munichoises. Il prenait le thé à son hôtel avec une bande de brunâtres. Le personnel se foutait de sa gueule, riait sous cape, l’appelait le dingue. Personne pigeait. Seulement tu les aurais vus, les laquais, quelques années plus tard. Ein, zwei ! Achtung ! Heil Hitler. Comment que ça y allait, au pas Kamarade, au pas… de l’oie. Les contes de ma mère Adolf ! Et schnell, encore !

Mein führer qui fait fureur ! Le führer sachant fourrer. Et fourrer profond !

Une gueule, non, franchement, tu peux pas t’en méfier suffisamment. Celle de Borg Borïgm ne me dit rien qui vaille, mais rien de plus.

M’sieur Tuppud se réveille.

Besoin de licebroquer. Il a surmené de la zézette et la vessie en pâtit. Je secoue Béru, lui demande de me relever. Sa Majesté bâille grand comme le tunnel sous le mont Blanc et cherche des choses valables à boire. Lorsqu’il est équipé, je sors en compagnie de notre hôte.

Franchement, il a l’air d’un gentil mec, Tuppud. Il n’a pas bien les pieds sur la terre, sauf quand il se laisse miser. Affable, il me fait l’honneur de sa maison. Puis il me parle de son job (avec un j, et non pas un « z » comme t’as l’air de sous-entendre). Dukku et lui sont représentants en godemichets.

Paraît qu’en Scandinavie c’est un travail rémunérateur. Ils font du porte à porte. De la démonstration. Chez les veuves, les vieilles filles surtout. Dans les clubs de partouzes également, leur commission d’achat, aux clubs, passent commande pour des cinq six godes à la fois. Faut dire qu’ils ont du choix, les duettistes. Tuppud insiste pour me montrer sa valise-exposition. Elle se déroule kif kif une trousse de mécanicien. Madoué, tous ces godes ! Tu peux pas croire la richesse de la collection. Des godes africains, mastars et sculptés ! Des godes sud-américains, garnis de poils de mulet pour la chatouille urbi et orbi. Des godes japonouilles, minces et flexibles, en ivoire articulé. Des godes russes, en cuir repoussé, façon moujik. Y a des godes suisses, à musique et qui font coucou. Des godes en caoutchouc, qu’on peut dilater à volonté par injection d’air comprimé. Des godes britanniques, en pâte à modeler, que t’introduis avec une corne à chaussures et qui donnent franc aux dames angliches l’impression de se faire calcer par un ressortissant de Sa Majestueuse Majesté. Y a des godes à ressort. Des godes à suspension télescopique. Des godes avec rétroviseur. D’autres qu’ont une sirène à déclenchement orgasmique. Des godes qui font moulin à poivre. D’autres avec le Sacré-Cœur de Montmartre en couleurs peint dessus. Des godes que ça représente la tour Eiffel. Et puis des très jolis, avec des fleurettes en relief tout autour, style Mimi Pinson. Mais le plus étonnant, j’te jure, le plus gadget du lot, c’est celui qui ressemble tellement à une bite que t’irais quasiment à la pissotière avec.

Ce qu’ils vont inventer, de nos jours, vrai ! Y en a qu’ont l’imagination en surchauffe, biscornue. Leur esprit bat la chamade. Jadis, t’inventais le contre-écrou, le fil à couper le beurre ou le laser. Eh ben maintenant, c’est le gode hyper-réaliste. Plus vrai que nature dans les tons bistres et praline, veiné, superbe, turgescent ! Le gode en matière plastique souple et nerveuse, dans la consistance camionneur, si tu vois ? Tu vois ? Bon ! Un tanti-soit peu arqué, avec une tronche belle comme celle du général Massu, appétissante, énergique. Le gode vaillant, pas feignasse, décidé à avoir sa place au soleil (ou dans la lune, à défaut). Tuppud me montre la toute suprêmement nouvelle invention : le double gode. Primé au salon du Chibre de Copenhague cette année. Il est à deux usages simultanés, pour dame à double cratère préhensible. Et réglable, attention ! Monté sur tige flexible. La partie avant est mycoforme tandis que la partie arrière, plus modeste, revêt les apparences et dimensions d’un médius moyen. De toute beauté. D’ailleurs il est présenté à part, dans un écrin, livré avec lubrifiants, carnet d’entretien. Garantie d’un an. Aspirfoutrincorporé, le brevet ! Label de qualité ! Attestation de la reine d’Angleterre ! Tout, quoi ! The invention of the century, faut reconnaître. Jusqu’où le génie de l’homme va se loger, hein ?

Tuppud remise sa panoplie. Je lui présente mes excuses pour notre intrusion forcée. Je l’affirme que nous ne sommes pas des canailles et qu’il n’a rien à redouter, mais il m’arrête.

— De grâce, cher monsieur, ne cherchez pas à me rassurer. Vous nous apportez le frisson, et c’est délectable. Si même vous pouviez nous terroriser un peu, il s’ensuivrait pour nous des contractions rectales dont nous aurions à profiter.

Je lui promets de faire l’impossible pour lui donner satisfaction et la nuit s’achève dans une ambiance de rêve mou, d’insomnie doucereuse. On a l’impression de veiller un mort. Tu sais ? Lorsque les minutes se traînent, que tu évoques le disparu dans des océans de peine, et puis que tu recommences d’espérer en la vie, en la tienne, of course. T’attends le matin pour t’arracher aux tentacules du chagrin.