Выбрать главу

Il arrive sans peine, la nuit n’ayant pas été franchement la nuit. Eggkarte et ces messieurs Tuppud et Dukku confectionnent des œufs au lard pour tout le monde. Quand on a briffé notre brique-faste, je libère un bras de chacun de nos prisonniers pour qu’ils puissent s’alimenter sous surveillance. La fille au jean demande les toilettes à Eggkarte. Bien qu’étant un homme admirablement élevé, je les escorte dans la salle de bains. Une fois dans cette pièce exiguë, la fille se met à parler à ma compagne, avec volubilité. Elle semble en transes. Il y a soudain quelque chose de pathétique chez cette ravissante créature.

— Que dit-elle ? m’enquiers-je.

— Elle a un remède à prendre dans leur voiture et me demande d’aller le lui chercher. Elle souffre d’une maladie cardiaque et ce médicament lui est indispensable.

— Où se trouve-t-il ? Je vais aller le lui chercher.

Blabla suédiche.

— Dans un compartiment logé sous le volant, il y a une petite trousse de plastique, ses pilules sont à l’intérieur.

J’hésite, pris entre mon sens de l’humanité et les bas calculs. Un malade auquel tu refuses sa potion salvatrice est prêt à bien des compromissions pour l’obtenir. Ce peut devenir une bath monnaie d’échange. Nous ramenons la fille dans le livinge et je décide d’aller lui chercher son remède, quitte à la « taquiner » un chouille avant de le lui donner.

Nos tutures sont placardées serrées dans le garage des deux follingues. Je reste pour atteindre celle de Borïgm. M’enquille dedans par une portière arrière et enjambe le dossier de la banquette avant. J’aperçois le coin de la pochette de plastique dans le vide-poches disposé sous le volant.

J’avance la main pour m’en emparer. Mais voilà que quelque chose se produit.

En moi.

Mon petit lutin intime, tu sais ?

Il me chuchote j’ignore quoi dans le creux des baffes. Ça ressemble à un conseil. Mais quel conseil ? Il pourrait se montrer plus explicite, le fripon ! Causer français comme tout le monde.

Toujours est-il que je suspends mon geste. Y a un brusque malaise autour de moi. Je me penche pour mater la trousse. Elle est innocente, c’est une pochette comme en vendent les parfumeurs et qui servent aux gonzesses à trimbaler leurs ustensiles à beauté. Du bout des doigts, je palpe. Elle est vide. Ma main précautionneuse s’enfonce un peu plus pour explorer le compartiment. Vide aussi. Sauf, toutefois… Oui, il s’agit d’un fil de nylon. Attends que je vérifie… Il est attaché à la boucle de la fermeture Eclair du petit réticule. Il disparaît par un trou percé au fond du vide-poches. Où qu’il va ? Je retire ma paluchette exploreuse pour palper l’extérieur du compartiment. Ça y est, v’là que je retrouve la sortie du fil. Il remonte contre l’intérieur feutré de la carrosserie. On l’y fait tenir plaqué au moyen de bouts de scotch. Je le suis toujours, il passe sous le tableau de bord, revient jusqu’à la tige de la direction. Bon Dieu ! En haut, un peu au-dessous du tableau de bord, je sens un gros machin de métal. Je gratte une allouf pour mieux mater. Une grenade, Mec ! Mahousse comme mes deux noix réunies. Elle tient avec des bandes de sparadrap. L’autre extrémité du fil de nylon est attaché à la goupille. Tu mords le topo ? Un julot qui saisit la pochette de plastique provoque le déclenchement de la grenade, soit un charmant feu d’artifice.

La voix angoissée de Béru retentit, toute proche :

— San-A. !

— Présent !

— Touche z’à rien, surtout ! Touche z’à rien, mon pote !

Je m’extrais de la tire. Le Gravos est en grande alarme sur le seuil du garage. Roulant des lotos de la dimension de ses poings.

— Qu’est-ce qui t’arrive, Panosse ?

— A peine que tu fusses sorti, j’eusse une vision, Gars. Je te voyais te baisser dans la chignole, et y avait en superposition, un volcan en érection. Ça crachait feu et flammes. Je m’ai mis à te crier casse-couille par la pensée. J’hurlais de la gamberge, est-ce que t’as reçu le message ?

— En express-recommandé, ma Belle Pomme, merci.

Je lui relate.

— Pourquoi qu’elle a voulu t’effacer, cette perdrix ?

— Franchement, je ne crois pas que ce soit spécialement moi qu’elle visait, ni même l’un de nous. Ce qu’elle souhaitait, c’était l’explosion, uniquement l’explosion.

— Y pige pas, avoue le mage.

— Pour donner l’alerte. Un tel badaboum aurait fatalement provoqué la panique dans le village et attiré la police. Elle préfère l’intervention des poulagas plutôt que de demeurer dans nos mains, probable que son sort lui semblerait plus enviable chez les bourres et qu’elle redoute des trucs moches de nous. Seulement, son compagnon ignore son choix, car c’est hors de sa présence qu’elle nous a réclamé ce remède.

On rejoint le gros des troupes.

Je me penche au-dessus de miss Peau-de-Garce et lui virgule un mutin clin d’œil. Des deux mains je mime une explosion.

— Boum ! lui dis-je. Jawohl, Fräulein !

Elle comprend et rougit comme une pivoine sur le point de se faner.

Se dit que sa gaminerie ne fait qu’aggraver son cas.

Je la sermonne d’un doigt menaçant.

— Eggkarte, dites à cette jeune personne que le temps se couvre pour elle et qu’il va y avoir de l’orage dans son futur.

Ayant exprimé, je regarde l’heure.

Le Vieux doit être parvenu à Milsabör présent. J’ai hâte de lui remettre ma capture.

Je fais appeler l’hôtel par Eggkarte. On lui répond que personne n’a pu y descendre cette nuit, vu qu’il est complet. Je fais alors demander si un monsieur aussi chauve qu’une loupe n’attendrait pas au bar. On lui répond qu’effectivement. Bref, au bout d’une minute trente, j’ai Mister Dirluche au bigophone.

— Dites donc, mon petit, on dirait qu’il s’est passé de drôles de choses dans cet hôtel, s’exclame le Vénérable.

— Pas seulement dans l’hôtel, Patron. Je vous raconterai. Vous disposez d’une voiture ?

— Celle de l’ambassadeur, une grosse Mercedes noire avec chauffeur.

— Alors nous vous attendrons ; voici notre adresse.

Eh bien, oui : c’est de la magie noire (ou en tout cas gris foncé)

On sonne.

C’est pas Grouchy, mais un personnage pareil à un corbeau très myope, en l’occurrence, le pasteur Bôchibrok. Trois lignes pour te le bonnir, après, on causera d’autre chose.

Il est long, d’une maigreur qui inquiéterait un squelette. Il a le visage verdâtre, allongé, de guingois, avec un regard proéminent, qui pend sur les paupières inférieures et que d’énormes verres démesurent.

Il porte un costume noir, une chemise blanche à col, de celluloïd, un manteau d’astrakan, des gants noirs et il tient une mallette également noire à la main.

Il parle peu, il est affairé, distant, pressé.

Tuppud le fait entrer dans un petit salon contigu au living et le prie de s’asseoir. L’autre refuse d’un bref secouement de tronche.

Pose une question sèche.

A laquelle Dukku répond « mais certainement », en suédois moderne.

Tuppud ouvre un secrétaire. Cueille une enveloppe dans un tiroir, la tend au pasteur.

Ce dernier, d’un coup de griffe, éventre l’enveloppe. Il en sort des coupures de la banque de Suède, les compte soigneusement, puis les enfourne dans sa vague intérieure, tout contre son cœur sec. Plus près de toi, mon Dieu ! Pas un muscle de son visage n’a tressailli.